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Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson ; l’espace, le silence et la solitude

sylvain tesson dans les forets de siberie

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Dans les forêts de Sibérie est un récit de voyage d’un écrivain voyageur, d’un Robinson des temps modernes, qui a choisi de découvrir un monde à part obligeant pourtant aux gestes les plus simples. Celui de la taïga russe, impénétrable, du lac Baïkal, de ces villages perdus qui rappellent qu’il y a de la vie dans ce désert glacial… Un monde rude, fait de grands espaces, de silence et de solitude…


De son expérience de Robinson volontaire, Sylvain Tesson a fait, en poète, un nouveau chant du monde.

dans les forets de siberie slvain tessonLes lecteurs potentiels qui ne peuvent se passer d’une ambiance et d’un environnement urbain se sentiront sans doute quelque peu dépaysés en pénétrant dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, ce journal d’un Robinson volontaire qui, à la veille de ses quarante ans et après moults aventures vécues à travers le monde, ressentit l’appel de la forêt et le désir de vivre six mois loin des hommes, afin de prendre la mesure de lui-même et de s’assurer qu’il pouvait trouver en lui matière à subsister.

 » Habiter joyeusement des clairières sauvages vaut mieux que de dépérir en ville« . La profession de foi est ainsi déclinée dès les premières pages. Et qu’emporte-t-il notre écrivain pour cette traversée du désert intérieur, à la pointe du cap des Cèdres, sur les rives du lac Baïkal : des livres (67 au total ), des cigares et de la vodka ?  » Le reste, écrit-il, l’espace, le silence et la solitude, était déjà là « . « Dans ce désert – ajoute-t-il – je me suis inventé une vie sobre et belle, j’ai vécu une existence resserrée autour de gestes simples. J’ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J’ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et bu de la vodka, à la fenêtre. La cabane était un poste d’observation idéal pour capter les tressaillements de la nature. J’ai connu l’hiver et le printemps, le bonheur et le désespoir et, finalement, la paix. » Le début de la sagesse, en quelque sorte, mais une sagesse chèrement acquise, car  » si la liberté existe toujours, il faut en payer le prix » – affirmait, non sans raison, Henry de Montherlant.

Une sagesse qui exigera beaucoup de Sylvain Tesson, non seulement de la force mentale mais des efforts physiques et de la résistance, afin de venir à bout de 24 semaines loin de tout, dans un environnement peu clément aux êtres aussi civilisés que lui. » Vivre seul entre quatre murs de bois – avoue-t-il – rend modeste « . Et c’est en effet un sentiment de modestie que dispense, dans un premier temps, cette existence qui a le mérite de vous réduire à vos seules frontières intimes. Comme le petit prince sur sa planète, Sylvain va devenir l’ami des mésanges –  » car l’ermite s’interdit toute brutalité à l’égard de son environnement. C’est le syndrome de saint François d’Assise. Le saint parle à ses frères oiseaux, Bouddha caresse l’éléphant enragé, saint Séraphin de Sarov les ours bruns, et Rousseau cherche consolation dans l’herborisation « .

Taiga foret de siberie

Alors qu’un monde obsédé par l’image, comme le nôtre, se refuse à goûter « aux mystérieuses émanations de la vie« . L’ermite, étant seul face à la nature, demeure fatalement l’unique contemplateur du réel et « porte le fardeau de la représentation du monde, de sa révélation au regard humain« . A travers ces lignes, l’auteur nous rend compte d’un voyage qui est d’abord et avant tout une traversée de soi-même, un pèlerinage au coeur de ses doutes et de ses aspirations qui condamne à ne se nourrir que de sa propre substance. Si l’homme civil veut que les autres soient contents de lui, le solitaire est forcé de l’être de lui-même, sinon sa vie est insupportable. D’où cette astreinte au devoir de vertu. Plutôt que de vouloir agir sur le monde, laisser le monde agir sur vous. Renversement des perspectives et des diktats de la vie sociétale. En s’isolant dans une cabane à mille lieux de toute habitation, on disparaît obligatoirement des écrans de contrôle, on s’efface dans le murmure du vent, de la prière ou des livres.

Mais ce n’est pas tant d’abnégation que Sylvain Tesson a besoin. Il n’est pas un moine qui aurait mis ses pas dans ceux de saint Antoine ou de saint Pacôme. Non, l’ermite des taïgas qu’il s’est voulu pour six longs mois est davantage un forestier qui veille à se tenir aux antipodes des renoncements. Si le mystique tente de disparaître du monde, l’homme des bois, amoureux de la vie sauvage, veut se réconcilier avec lui. Il a le goût de la beauté, de l’ordre des choses et, à l’occasion, de la vodka.

« Les voyageurs pressés ont besoin de changement. Ils ne trouvent pas suffisant le spectacle d’une tache de soleil sur un talus sablonneux. Leur place est dans un train, devant la télévision, mais pas dans une cabane. Finalement, avec la vodka, l’ours et les tempêtes, le syndrome de Stendhal, suffocation devant la beauté, est le seul danger qui menace l’ermite« .

J’aime ces notations avec lesquelles l’écrivain-voyageur rythme son récit, ses coups de griffe, ses enthousiasmes, ses mélancolies, ses fulgurances qu’il dispense de son écriture de poète :  » Le soir, je fais du pain. Je pétris longtemps la pâte« . Cette simplicité des mots pour exprimer les gestes les plus humbles sonne comme une cloche de monastère dans le silence des mots qu’il nous plaît d’expérimenter parfois.

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

Je suis libre de tout faire dans un monde où il n’y a rien à faire.

Il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne m’apportait plus : la paix.

Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. Sur une terre surpeuplée, surchauffée, bruyante….

L’ennui ne me fait aucune peur. Il y a morsure plus douloureuse : le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus. La solitude : ce que les autres perdent à n’être pas auprès de celui qui l’éprouve. A Paris, avant le départ, on me mettait en garde. L’ennui constituerait mon ennemi mortifère ! J’en crèverais ! J’écoutais poliment. Les gens qui parlaient ainsi avaient le sentiment de constituer à eux seuls une distraction formidable. « Réduit à moi seul, je me nourris, il est vrai, de ma propre substance, mais elle ne s’épuise pas… » écrit Rousseau dans les Rêveries.

L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elles coulent de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et, soudain, on ne sait même plus qu’il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont.

Quand deux petits chiens vous fêtent au matin, la nuit prend la saveur de l’attente. La fidélité du chien n’exige rien, pas un devoir. Son amour se contente d’un os. Les chiens? On les fait coucher dehors, on leur parle comme à des charretiers, on leur aboie dessus, on les nourrit des restes et de temps en temps, vlan! une baffe dans les côtes. Ce qu’on leur offre en coups, ils nous le rendent en bave. Et je comprends soudain pourquoi les hommes ont fait du chien leur meilleur ami : c’est une pauvre bête dont la soumission n’a pas à être payée en retour. Une créature qui correspondait donc parfaitement à ce que l’homme est capable de donner.

Le cigare et la vodka, compagnons idéaux de ces moments de repli. Aux pauvres gens solitaires, il ne reste que cela. Et les ligues hygiénistes voudraient interdire ces bienfaits ! Pour nous faire parvenir à la mort en bonne santé ?

Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir.

Et si la liberté consistait à posséder le temps?Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures?Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.

Je suis empereur d’une berge, seigneur de mes chiots, roi des Cèdres du Nord, protecteur des mésanges, allié des lynx et frère des ours. Je suis surtout un peu gris parce qu’après deux heures d’abattage de bois, je viens de m’envoyer un fond de vodka.

La marque Heinz commercialise une quinzaine de variétés de sauces. Le supermarché d’Irkoutsk les propose toutes et je ne sais quoi choisir. J’ai déjà rempli six caddies de pâtes et de Tabasco. Le camion bleu m’attend. Micha, le chauffeur, n’a pas éteint le moteur, et dehors, il fait -32. Demain, nous quittons Irtoutsk. En trois jours, nous atteindrons la cabane, sur la rive ouest du lac. Je dois terminer les courses aujourd’hui. Je choisis le « super hot tapas » de la gamme Heinz. J’en prends dix-huit bouteilles : trois par mois.
Quinze sortes de ketchup. A cause de choses pareilles, j’ai eu envie de quitter ce monde.

Je pense au destin des visons. Naître dans la forêt, survivre aux hivers, tomber dans un piège et finir en manteau sur le dos de rombières dont l’espérance de vie sous les futaies serait de trois minutes… Si encore les femmes couvertes de fourrure avaient la grâce des mustélidés qu’on écorche pour elles. Il y a cinq jours, Sergueï m’a raconté une histoire. Le gouverneur d’Irkoutsk s’adonnait à la chasse à l’ours de son hélicoptère dans les montagnes qui dominent le Baïkal. Le MI8, déstabilisé par une rafale, s’est écrasé. Bilan, huit morts. Sergueï : « Les ours devaient danser la polka autour du brasier. »

Je n’ose me lever ce matin. Ma volonté est lâchée en liberté dans le champs des jours vierges. Le danger: demeurer tétanisé jusqu’à la nuit à regarder le blanc en disant: »Dieux! comme je suis libre! »
Il s’est remis à neiger. Il n’y a personne. Même pas un véhicule au loin. La seule chose qui passe ici, c’est le temps.

Aujourd’hui, je n’ai nui à aucun être vivant de cette planète. Ne pas nuire. Etrange que les anachorètes du désert n’avancent jamais ce beau souci dans les explications de leur retraite. Pacôme, Antoine, Rancé évoquent leur haine du siècle, leur combat contre les démons, leur brûlure intérieure, leur soif de pureté, leur impatience à gagner le Royaume céleste, mais jamais l’idée de vivre sans faire de mal à personne. Ne pas nuire. Après une journée dans la cabane des Cèdres du Nord, on peut se le dire en se regardant dans les glaces.

Se lever de son lit demande une énergie formidable. Surtout pour changer de vie. Cette envie de faire demi-tour lorsqu’on est au bord de saisir ce que l’on désire. Certains hommes font volte-face au moment crucial. J’ai peur d’appartenir à cette espèce.

Cliquez sur la vidéo pour la visionner :

Entretien à la librairie Galerne|


Marque Page|

Images de la cabane|

Six mois en ermite sur le Baikal|

5 commentaires sur “Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson ; l’espace, le silence et la solitude”

  1. Ce récit est vraiment captivant. Je l’ai lu d’une traite, j’ai vraiment accroché. Il relate bien ce qu’il a vécu. J’avais aussi lu L’axe du loup il y a quelques temps. Si vous ne connaissez pas, L’axe des loups cumule l’aventure, la géographie, l’histoire et la vie de ces gens à l’époque du goulag, et l’humour propre à Tesson.

  2. il y a quelque mois de cela, il y avait une très beau reportage dans ..rendez vous en terre inconnue… avec Charlotte de Turckheim et Frédéric Lopez dans la péninsule du Yamal au nord de la Sibérie occidentale. pour avoir été plusieurs fois en Russie, je crois qu’il est préférable de la faire l’été, l’hiver c’est dans la toundra-50

  3. C’est à coup sûr un défi car les conditions sont extrêmes mais quelle beauté que cette nature sauvage ! Et Sylvain Tesson est un habitué de ces genres de défi.

  4. A découvrir ce récit de voyage de Sylvain Tesson, où l’aventure se mêle à la quête intérieure dans un monde rude, fait d’espace, de silence et de solitude. Plus qu’un voyage en Sibérie, la contemplation du Réel comme le rappelle si bien Armelle… Pour vous convaincre de lire ce livre, lisez la critique d’Armelle Barguillet Hauteloire… Vous n’hésiterez plus à plonger au coeur de la taïga russe!

    Ma prochaine lecture… Ce qui me fait regretter finalement de ne pas lire plus vite!
    Cela fait aussi une vingtaine d’années que je rêve d’un tel voyage… c’est d’ailleurs assez paradoxal pour une intolérante au silence et à la solitude…

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