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L’amour au temps du communisme

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A bout de souffle. Le titre du film de Godard conviendrait parfaitement. Le roman est haletant, constamment sous tension. Il n’arrive au calme qu’à la dernière ligne de la dernière page. Mais j’aurais pu titrer également : « l’anorexie au temps du communisme ».

Nous sommes entre l’Estonie et la Finlande. C’est-à-dire, au début de l’histoire, entre l’URSS et le reste du monde. La jeunesse de l’héroïne – sans jeu de mot, elle préfère la cocaïne – et celles de sa mère et de sa grand-mère se passent entre la fin d’une sale guerre et la traversée d’un sale régime, entre la campagne des kolkhozes et la ville où un jeu constant de répulsion – fascination amène des flux et des reflux de haine envers Helsinki, Tallinn et Moscou.

Voyages, prostitution, trafic, chantage, dénonciations, souffrance quotidienne. Tous les frontaliers du grand empire, que l’incorporation forcée contraint à vivre dans la dissimulation et le mensonge, réagissent de la même manière et connaissent les mêmes amertumes, de la Mer Noire à la Baltique, du Caucase au Danube.

Mais il s’agit de l’histoire d’une malade. Et elle le sait. Et elle savoure son récit qui, étape par étape, relie sa relation à la bouffe à sa relation au secret. Dans un monde de fausse apparence permanente, elle prend elle-même l’apparence du presque rien, elle s’efface et se gomme et elle met au point en raffinant de plus en plus, la stratégie de sa souffrance. Une véritable œuvre d’art ! Du body art à l’état pur.

Au-delà de cette simple introduction il faut citer l’auteur et donner le titre de son ouvrage. Sofi Oksanen propose en effet avec « Les vaches de Staline » Stock 2011 (Parution en finnois 2003) un entrelacs entre les destins de deux femmes : une mère et sa fille et un portrait sensible de l’exil de proximité dans un pays – la Finno-Finlande, comme elle le dit – qui constitue dans un premier temps le symbole de la liberté, puis ensuite le symbole d’une compromission dont chacun rêve, avant que progressivement, avec l’entrée dans l’Union Européenne de l’Estonie, ce pays se réduise à une zone d’emplois où on peut faire le voyage chaque jour, comme le font les frontaliers du Luxembourg. Autrement dit, le retour à la normalité.

Sur ce tressage de vies, la virtuosité  du découpage en courtes séquences, prises dans un jeu de miroir, est également virtuose. Plus encore, passionnante.

Pour ceux qu’intéresse vraiment la manière dont l’Estonie et la Finlande ont constitué un couple infernal depuis la victoire des communistes et l’éradication des nationalistes estoniens, l’histoire est bien présente. Elle n’est pas seulement un décor de fonds, mais imprègne la vie des personnages, colle à leur peau. Elle explique finalement leurs blocages, leurs terreurs, leur mal à vivre.

De 1944 à aujourd’hui, de courtes scènes de vie.

Exemples :

1964.  « Comme Katariina est admise au lycée qui est en ville, le Kolkhoze lui donne la permission de partir pour la ville. Arnold est content que le kolkhoze ne récupère pas ses enfants, même s’il a ceux des autres.

Au lycée, on remet à Katariina sa carte d’étudiant, opilaspîlet, accompagnée d’un code de conduite en dix-sept points.

Règle numéro un : le devoir de l’élève est d’acquérir avec persévérance des savoirs et compétences afin de devenir un constructeur du communisme doté d’une instruction et d’une culture diversifiées.

Règle numéro quatre : en tous ses faits et gestes, l’élève doit observer les exigences de la morale communiste. »

1968. En remplissant des formulaires, à l’endroit de la profession de ses parents, Katariina refuse d’écrire  kolkoosnik. Après la collectivisation des terres, ils n’étaient plus agriculteurs, mais Katariina ne qualifieraient jamais ses parents  de « kolkhoziens ». A la place, Katariina a écrit retraités. Tout le monde finira bien retraité, un jour ou l’autre.

Au fait, ce livre est aussi un chef-d’œuvre d’humour. Les vaches de Staline ne sont que des chèvres étiques.

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