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Le « Salon du livre insulaire » sur l’île d’Ouessant : pourquoi les îles nous fascinent?

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ouessant0ouessant1Chaque année, depuis 1999, l’île d’Ouessant accueille le « Salon du livre insulaire » (www.livre-insulaire.fr). Il se tiendra du mercredi 19 au 23 août, autour de plusieurs thèmes : « Le roman policier insulaire » – « La littérature des îles d’Atlantique Nord : Saint Pierre et Miquelon, les îles de la Madeleine » – « Ecrire et éditer en français dans les îles » – « Hommage à l’écrivain crétois, Nikos Kazantzakis, auteur de « Zorba le grec ». ».

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Plusieurs prix seront décernés : Grand prix du Ponant, Beaux livres, sciences, poésie, fiction, jeunesse. Le salon édite aussi la revue « L’archipel des Lettres ». On trouve une très riche « Bibliothèque insulaire virtuelle » sur le site « Vers les îles ». Pour parler, en cette chaude fin d’été, de la fascination que les îles exercent sur l’âle humaine, voici le récit d’une rencontre avec Louis Brigand, géographe à l’université de Brest et « nissonologue » c’est-à-dire spécialiste des îles. Il vient de publier un joli essai personnel intitulé « Besoin d’îles » (Stock, 2009)

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L’« Enez Eussa III » s’éloigne du port, les cuivres déchirants d’un orchestre – parmi la dizaine embarquée pour le festival « Fanfares ! »  qui tourne entre Brest et les îles de Molène et Ouessant – saluent le départ. Sur les quais les mouchoirs, au bastingage les grands gestes d’adieu, nous sommes partis. La mer est tranquille, la journée belle, déjà sur le pont arrière la foule s’agite, les uns cherchent le bar, d’autres se penchent au-dessus du sillage, les amoureux s’embrassent, on ressent le frémissement de l’adieu à la Terre. En route pour Ouessant, la dernière île au-delà du Finistère, l’extrême pointe de l’Europe. Cent trente musiciens, autant de visiteurs et de gens des îles, la fanfare joue « Arizona Dream » dans le soleil, les bouteilles tournent. Très peu de roulis, pour une fois, dans cette mer d’Iroise. Imaginez la folie quand un grand dauphin luisant jaillit devant l’étrave, pour nous accompagner un bon kilomètre. La côte disparaît enfin, le vent souffle fort comme pour nettoyer les derniers liens qui nous relient à la terre. Nous allons vers les îles, où disent les légendes tout peut s’oublier.

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À Molène, Louis Brigand est monté avec la fanfare “Zebaliz”, une joyeuse troupe bretonne de 17 à 77 ans qui soufflait une cumparsita. Lui poussait sur un trombone, en costume noir et béret. À bord, la fête est repartie de plus belle, le bateau hérissé d’instruments de musique. Louis Brigand est « nissonologue », un spécialiste pour qui l’île est un objet d’étude – l’île : « une étendue de terre ferme émergée de manière durable dans les eaux d’un océan, d’une mer, d’un lac et d’un cours d’eau » dit Le Robert 2000. Il est aussi géographe, professeur à l’université de Brest, et visite méthodiquement depuis 30 ans les îles et les archipels du Ponant, entendez toutes celles de la Manche et de l’Atlantique – soit 800 îles et îlots -, auquel il a consacré un énorme ouvrage préfacé par Erik Orsenna (aux éditions Palantines). On y trouve cet historique de la notion d’ « île » : « On sait que le terme île vient du latin « insula », qui désignait à la fois une île et un îlot (…) L’îlot désigne une « petite ou très petite île », dont la superficie n’est pas précisée mais qui peut correspondre à « un petit espace isolé dans un ensemble d’une autre nature » (..) Pour autant, on ne sait toujours pas quand un rocher devient île ou îlot, si une île rattachée par un pont peut ou non être considérée comme une île, si une île à haute mer, devenue presqu’île à basse mer est toujours une île ou non. » Pour se libérer des sciences géographiques, Louis vient d’écrire un essai personnel, « Besoin d’îles » (Stock), où il tente d’expliciter les sentiments singuliers que les îles déclenchent chez les humains. Un autre versant de la « nissonologie » : l’étude de la psychologie associée aux îles, l’imaginaire et les passions qu’elles soulèvent, les mythes qu’elles font naître. Louis Brigand les égraine : « L’île refuge, l’île prison, l’île paradisiaque et permissive, l’île labyrinthe, l’île déserte, l’île microcosme, l’île laboratoire, l’île jardin… ».

La traversée, temps fort

Besoin d’îles ? Possédé par son sujet, Louis Brigand me montre l’animation joyeuse du pont : « La traversée vers l’île est toujours un temps fort. C’est souvent la fête sur le bateau. Vous remarquerez qu’il reste le dernier moyen de transport où l’on se déplace librement, s’installe où l’on veut, sans être attaché à son siège. Chaque passager lui aussi largue les amarres, il entre dans un autre rythme, il se retrouve livré à lui-même, au tangage, loin de tout. Il en profite, pour s’enivrer, ou pour méditer. C’est le moment de la transition, une parenthèse s’ouvre, on s’éloigne du continent, du passé, de l’ordre terrestre. Les passagers partagent une sorte de communion, les regards se tendent vers l’horizon, où l’île nous attend. Je préfère les approches maritimes. On entre sensuellement dans l’espace de l’île, on éprouve l’encerclement par la mer,la houle, l’isolement. » Dans ses cours, Louis Brigand fait lire « L’île mystérieuse » à ses étudiants, qui reste pour lui un des archétypes du roman des îles : découverte d’un royaume, vie naturelle, côte escapée, secrets. Mais surtout, il les emmène en mer, et le cours commence sur le zodiac. « Quand on approche en bateau, l’île se livre peu à peu, on découvre les côtes battues par les vagues, les criques, les plages… Toujours les oiseaux l’annoncent. Ici les goélands colonisent l’archipel. Il y a encore des cormorans, des pétrels, des huîtriers pie, des sternes. Oiseaux riment avec île. Je dors souvent au centre ornithologique d’Ouessant, des centaines d’amateurs et d’étudiants viennent au printemps et à l’automne les observer, les photographier. Partout dans le monde, les îles deviennent des réserves, pour les oiseaux comme pour beaucoup d’autres espèces, elles attirent les amoureux de la nature. Avec le sentiment grandissant d’une Terre menacée, les gens visitent les îles comme des monuments naturels, des sanctuaires. »
Pendant l’année 1980, officiellement consacrée au patrimoine, le professeur Louis Brigand a cartographié « les landes, les zones humides, les boisements, les pelouses littorales, les villages, les hameaux » de toutes les îles habitées de Bretagne. À pied et en vélo. Cela lui a permis de connaître lentement, physiquement, « musculairement » son terrain de recherche. Sur l’« Enez Eussa III », il se penche sous le vent. « L’île est le lieu du vent, de tous les vents, tous portent un nom. Les vents influencent l’occupation humaine, l’orientation des maisons, l’agriculture. À Lanzarote, aux Canaries, pour s’en protéger, les paysans font pousser chaque pied de vigne dans de petites cuvettes surmontées de murets circulaires. Le vent peut annoncer le gros temps, la mer mauvaise, les côtes balayées. L’île est le grand espace du vent, plantée au milieu des éléments. Aujourd’hui la tempête elle-même est devenue un spectacle, un sujet photographique et de carte postale. N’oublions pas que dans les îles grecques le vent, Eole, est un dieu dangereux. Certains vents développent une puissance gigantesque, qui déplace des blocs de plusieurs tonnes. »
Le bateau approche d’Ouessant, une petite foule nous accueille à l’embarcadère, les deux saxos des Nymphonics, une fanfare parisienne, miaulent, Louis Brigand lance un grand coup de trombone. Accessoirement à sa carrière de géographe, il organise depuis 5 ans le festival international « Fanfares ! » qui tourne dans Brest – où il a rempli le Quartz, 1200 personnes enflammées par le Hot 8 Brass Band de la Nouvelle Orléans – puis dans les îles proches. « La musique et les îles font bon ménage. Quand on joue sur le bateau, cela ajoute à la célébration de l’arrivée. L’île a toujours été un lieu de célébration. On se recueille face à la mer, sur les rochers, les amoureux y font des serments, viennent en voyage de noces. L’île reste le lieu rêvé pour vivre une aventure sentimentale, ou pour des vacances intenses. Le soir, beaucoup de visiteurs se retrouvent pour admirer le coucher de soleil sur la mer. C’est le rituel du « sunset »… Remarquez que beaucoup d’îles sont réputées pour leur musique, Cuba, la Jamaïque, Santo Domingo, la Guadeloupe, comme si certaines musiques ne pouvaient s’élaborer que là, où se mêlent des gens très divers et des sentiments puissants. »

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La marée, je l’ai dans le coeur

Après la réception des fanfares par le maire à la salle des fêtes de Lampaul, nous allons nous promener avec Louis Brigand le long de la Pointe de Pern, autour du phare du Creac’h où une retraite d’écrivains a été créée dans le sillage du « Salon international du livre insulaire » – du 19 au 23 août. D’effrayants  dragons de pierre se dressent face à l’Atlantique, de masques de titans sculptent les falaises. La marée est haute, l’eau verte, des visiteurs s’éparpillent dans les rochers, ramassent des galets, des débris de bois, comme autant d’objets précieux. « Soumise aux vents, aux embruns, au ressac, rongée par le sel et la houle, l’île offre toujours des paysages extraordinaires, des dentelles de granit, des blocs cyclopéens, des à pics. Et puis, chaque jour, la marée basse libère de nouvelles terres, des récifs cachés, des estrans couverts d’algues. Ça sent fort, ça enivre, on voit courir les crabes, on découvre les crustacés, les trous d’eau, les grottes. Avec les marées, les décors changent, l’île s’agrandit, rapetisse. Elle vit, elle bouge, elle respire, Pour moi, une île sans marée n’est pas tout à fait une île. » Louis Brigand parle des îles comme d’une femme qui se dénuderait, retrousserait ses jupes ; elles le font rêver, comme elles inspiraient le Léo Ferré de la chanson « La mémoire et la mer » – qui commence par « La marée, je l’ai dans le cœur… » -, Léo Ferré qui acheta l’île du Guesclin, près de Saint-Malo. L’écrivain Lawrence Durell, une des figures du livre insulaire, propose dans « Vénus et la mer » (poche, Biblio) cette analyse mythologique de l’« islomanie », la passion pour les îles : « Il y a des gens (…) sur qui les îles exercent un attrait irrésistible. Le seul fait de se savoir dans une île, dans un petit univers entouré par la mer, les remplit d’une ivresse indescriptible. Ces « islomanes » (…) sont les descendants directs des Atlantes, et c’est vers l’Atlantide disparue que leur existence insulaire tend tous leurs désirs secrets. »

Lampaul, place du village.

En revenant vers Lampaul des cyclistes roulent à gauche, zigzaguent, crient. Quelques musiciens jouent sur la côte, dans les herbes hautes. Louis Brigand propose cette explication : « Sur une île, les gens venus des terres se laissent aller, ils se sentent plus libres, ils croient échapper à la loi commune. Parfois, ils se conduisent n’importe comment, c’est très connu. Pendant l’été, ou les fêtes de fin d’année, ils vont en bande dans les îles pour se défouler. Les débordements, les excès accompagnent toujours ces visites. » Nous voilà sur la place du village, les gens discutent autour des fanfares. Plusieurs d’entre eux, nés à Ouessant, apprécient l’animation et la musique. L’un d’entre eux, la trentaine, un bénévole du festival, très occupé, est ravi d’aller au concert du soir. Une femme de cinquante ans l’approuve, mais tient à préciser : « Il ne faut pas que cela dure trop longtemps. J’adore l’hiver, quand j’ai l’impression d’être seule au monde dans les rues. » D’autres sont venus vivre ici par choix. Une femme âgée est arrivée à Ouessant six ans auparavant, atteinte d’un cancer, mais aussi « pour oublier son ancienne vie ». Elle pense aujourd’hui être guérie, et ne veut plus partir. Un couple de Brest a fait rénover une résidence secondaire. Ils viennent souvent, le week-end, les vacances, ce sont des îliens à mi-temps. Un ancien infirmier parisien a quitté la capitale pour venir vivre entre Brest et l’archipel, cabotant avec un petit bateau : « Ça été difficile d’abandonner Paris. Je ne regrette pas. Depuis que la mairie de Brest est socialiste, la vie culturelle s’est réveillée. Il se passe plein de choses. » Louis Brigand commente mes rencontres : « Certaines gens viennent dans les îles pour surmonter un échec, parfois pour mourir. Les uns d’une maladie, d’autres en se suicidant lentement, alcooliques, à l’écart de tous. Beaucoup viennent aussi pour renaître, se reconstituer, ou encore commencer ou finir un travail, une oeuvre. Il ne faut pas croire que les îles n’attirent que des solitaires ou des déçus de la vie. Toutes sortes de gens aiment les îles, des artistes, des musiciens, des naturalistes amateurs, des urbains qui veulent se ressourcer. A l’inverse du cliché, les îles attirent depuis toujours des étrangers, abritent une population composite, elles aimantent même des nomades qui tournent d’île en île. Beaucoup d’entre elles forment des archipels, au carrefour de plusieurs influences, leurs ports attirent les populations voisines. L’île n’est pas forcément isolée.»
Nous discutons à la terrasse du « Roc’h Ar mor », le petit hôtel restaurant panoramique de Lampaul, 10 chambres face à la houle, un rêve d’amoureux. Changement d’ambiance, la serveuse refuse de nous servir un kouign amann, et le patron, qui a toujours habité Ouessant, apostrophe Louis Brigand  :
-Vous auriez pu faire votre festival dans Lampaul, c’aurait été bon pour le commerce. Mais non, vous allez le faire dans les terres, loin de tout, c’est pas sérieux ça, un week-end de la Toussaint !
Louis Brigand a beau protester que les fanfares vont jouer dans Lampaul toute la journée, que le soir mieux vaut faire souffler les cuivres et tonner les percussions loin des maisons, peine perdue. Le patron du Roc’h Ar Mor lui fait un abattage. Tout y passe. Le maire qui se moque du monde, les résidences secondaires qui parasitent le paysage, les prix des denrées et du transport, le concert en dehors du village. Peu à peu, le patron se calme, offre le café, et propose de recevoir les fanfares. Il faut dire qu’avec la disparition des emplois dans la marine nationale et marchande, la raréfaction de l’agriculture, l’exil des jeunes, les îles françaises du Ponant voient leurs activités et ressources péricliter. Depuis plusieurs décennies, elles se convertissent dans le tourisme de masse, ou l’écotourisme, la navigation de plaisance – et le boom de l’immobilier résidentiel. Forcément les îliens s’inquiètent, beaucoup craignent de voir leur territoire envahi, racheté, dénaturé. D’en être dépossédés. Avec la spéculation, les prix des terrains deviennent prohibitifs, les familles vendent, les héritages s’effritent. En même temps, comme ils n’ont pas d’autre choix que de s’ouvrir à la fréquentation des touristes et des continentaux, les habitants tournent un peu schizophrènes. Louis Brigand fait cette remarque : « Vous remarquez que si des vieilles querelles opposent souvent les gens des îles, et ceux îles et du continent, ils forment un bloc terrible, unanime, quand la beauté, les richesses naturelles de l’île sont menacées, mais aussi leur survie économique, ou quand ils subissent une pression trop forte du continent. Voyez les colères régulières des Corses, ou encore les énormes mobilisations qui ont secoué la Guadeloupe au printemps. Tous veulent habiter une île belle, où il fait bon vivre, ce qui est un des rêves récurrents nés des îles.»
Laissons Erik Orsenna conclure, qui écrit dans sa préface au livre de Louis Brigand sur les îles du Ponant : « Nos îles sont fragiles. Un jour, si rien n’est fait, elles baisseront pavillon. Fatiguées de combattre, elles se résigneront au pire, à la négation d’elles-mêmes, une manière de suicide : elles accepteront qu’un pont les relie a continent, je veux dire à la banalité, au lieu commun. »

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1 commentaire pour “Le « Salon du livre insulaire » sur l’île d’Ouessant : pourquoi les îles nous fascinent?”

  1. Chaque île lointaine est différente. Qui dit lointaine, dit difficile d’accès, tributaire des marées, des ferry rouillés, des avions déglingués. Mais elles ont également des grandes similitudes. La vie y est chère, les ragots y fleurissent, les âmes soeurs y sont rares, le travail difficile, le dentiste et l’universitaire y sont sporadiques. Tout le monde se connaît. Les gens s’y sentent bien et y étouffent, paradoxalement. La vie est dure dans les îles lointaines, exaltante, toujours différente. Alors, on y revient. Toujours, et avec un singulier bonheur. Pourquoi les îles me fascinent-elles? J’ai arrêté de me poser cette question.

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