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« L’Œuvre d’art et ses intentions » , d’Alessandro Pignocchi

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La question de la réception d’une œuvre d’art, de son interprétation par le spectateur au regard des intentions de l’artiste, s’impose d’autant plus à nous qu’elle concentre un certain nombre de débats. Son intérêt se révèle encore davantage, s’agissant de spectateurs n’ayant pas l’habitude de fréquenter les musées ni les expositions et ne disposant pas nécessairement d’une culture académique ou livresque. Souvent intimidés, ces derniers hésitent à se confronter à l’art, pensant que ce domaine leur échappe alors qu’il peut leur apporter une réelle source de plaisir et d’épanouissement.

C’est cette question de l’interprétation qu’aborde Alessandro Pignocchi dans son essai L’Œuvre d’art et ses intentions (Odile Jacob, 238 pages, 24,90 €). Certains théoriciens considèrent qu’une œuvre s’exprime par elle-même, que seule l’émotion du spectateur compte, indépendamment de tout apport extérieur. Sans doute cette expérience du regard vierge, qui peut se révéler forte, compte-t-elle. Pour autant, en se laissant guider par son seul « ressenti », le spectateur risque de passer à côté de l’essentiel. Peut-être sera-t-il séduit par une toile figurative – La Pie de Monet, par exemple – mais quelle réaction sera la sienne devant une toile abstraite de Hans Hartung, de Jackson Pollock ou de Pierre Soulages ? Il risque de n’y être point sensible, faute d’un minimum d’information concernant la biographie de l’auteur, sa démarche intellectuelle, la place qu’occupe l’abstraction dans l’histoire de l’art, etc. Même s’il se trouve face à une œuvre des plus classiques – prenons Les Ambassadeurs d’Holbein – il n’y verra, le plus souvent, que deux diplomates en costume d’époque posant devant un meuble chargé d’objets hétéroclites, fort bien peints, et se demandera probablement ce que vient faire, à leurs pieds, cette étrange galette inclinée qui ressemble à un crâne aplati, donc plutôt maladroitement rendu.

Toute autre sera sa réception de la toile s’il dispose du minimum d’informations que peut lui fournir l’histoire de l’art et la critique. Connaître le contexte de la réalisation de ce tableau, les éléments biographiques et historiques qui s’y rattachent, prendre en considération la signification cachée et presque ésotérique des objets présents, savoir enfin qu’en se déplaçant, il pourra apprécier l’illusion d’optique dont le crâne fait l’objet contribueront à modifier le regard qu’il portera sur l’œuvre et à augmenter significativement le plaisir qu’il prendra à l’exercice.

Cependant, pour Alessandro Pignocchi, ces informations peuvent se compléter en faisant appel aux sciences cognitives, un outil dont, il est vrai, se servent peu les amateurs et les historiens de l’art, le plus souvent faute de le maîtriser. Pour l’auteur, « nous ne sommes pas conscients de la complexité des intentions que nous prêtons à l’artiste lorsque nous faisons l’expérience d’une œuvre, ni des principes qui guident cette attribution d’intentions. […] De plus, […] les intentions que nous attribuons à l’artiste ne sont pas seulement des projets conscients et délibérés. Nous lui attribuons avec la même facilité des émotions, des intuitions, des traits de caractère, des goûts, des envies et, plus généralement, n’importe quel type d’état mental, y compris inconscient, qui a pu contribuer causalement au processus de production de l’œuvre. »

Ce sont ces processus cognitifs inconscients qu’Alessandro Pignocchi nous propose d’explorer. On cherchera vainement dans cet essai portant sur une problématique complexe les raisonnements ampoulés et le style hermétique qui sont trop souvent le propre de ce type d’ouvrage ; la démarche est au contraire claire, pédagogique, accessible à tous et illustrée de multiples exemples pertinents. Le lecteur découvrira ainsi les mécanismes sophistiqués qui l’invitent, à son insu, à attribuer au créateur un certain nombre d’intentions et même à reconstruire sa démarche, qui expliquent, notamment, pourquoi nous pouvons, sans attendre de lire une signature, reconnaître le style d’un artiste ou détecter les influences qui s’exercèrent sur lui de la part d’autres artistes. L’exemple de dessins d’Egon Schiele et de Gustav Klimt, illustré dans le livre, se montre, à cet égard, tout à fait convainquant. Naturellement, cet exercice connaît des limites ; il n’est, reconnaissons-le, pas toujours évident de deviner, devant une œuvre issue du cubisme analytique, qui, de Picasso ou de Braque, en est l’auteur, tant leurs démarches respectives peuvent coïncider.

Il est évident, pour l’amateur comme pour le spécialiste, qu’une œuvre d’art n’est pas univoque. C’est d’ailleurs l’argument que l’on peut à bon droit utiliser lorsque des juges, suite à une plainte pour « pornographie » portés contre un artiste, se livrent à une interprétation de l’œuvre incriminée en donnant l’impression que celle-ci aurait valeur universelle. Ce qui est « pornographique » pour un individu ne l’est pas pour une multitude d’autres et le juge, spécialiste du droit et non de l’art, ne saurait interpréter une œuvre avec plus de pertinence que tout autre individu. Marcel Duchamp l’avait bien compris lorsqu’il suggérait qu’il existait autant d’interprétations d’une œuvre que de spectateurs. Voilà pourquoi l’apport de l’essai d’Alessandro Pignocchi est ici utile ; il nous propose des outils de nature à multiplier les champs d’interprétations possibles  d’une peinture, d’une sculpture ou d’un roman et nous laisse le choix d’utiliser (ou non) les sciences cognitives pour accroître l’intensité de notre expérience.

Illustrations : Hans Holbein, Les Ambassadeurs, 1533, National Gallery, Londres – Idem, détail du crâne.   

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