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« Noa Noa », de Paul Gauguin

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Paul Gauguin s’est depuis longtemps imposé comme l’un des peintres majeurs de son temps. Ce que l’on sait moins, c’est que cet ancien courtier en bourse fut aussi, à sa manière, un écrivain. Son texte majeur, Noa Noa (Bartillat, collection Omnia, 135 pages, 10 €) qui vient d’être réédité, en apporte la preuve.

Ce récit, entrepris au retour de son premier voyage à Tahiti, est avant tout celui de la découverte amoureuse d’un pays, de ses habitants, de leur culture. En filigrane, transparaît aussi, derrière l’enthousiasme, une certaine forme de déconvenue. En effet, l’Océanie fantasmée par le peintre à partir de diverses lectures, cette forme de paradis terrestre encore préservé qu’il s’attendait à explorer, n’existait plus depuis fort longtemps lorsqu’en juin 1891, il débarqua à Papeete. La férocité avec laquelle il décrit les Européens installés dans cette ville, surtout le gouverneur Lacascade, trahit autant le profond dégoût qu’ils lui inspirent que la déception qu’il ressent. Dans son chant intérieur, si les paroles (Tahiti, Bora-Bora, les Marquises) sonnent juste dans le registre du rêve, il nous laisse entendre toute la dissonance qu’apporte la mélodie locale, déjà trop occidentalisée.

Sans doute, par réaction, abuse-t-il du mythe rousseauiste du « bon sauvage » – à moins qu’il ne soit abusé par ce cliché – en embellissant de temps à autres une réalité plus triste, celle de Tahitiens soumis à l’autorité coloniale et à un christianisme (catholique et protestant) qui s’était empressée de chasser les cultes ancestraux et de réprimer la liberté des mœurs qui régnait avant son implantation. La perte de l’identité des autochtones saute au visage de l’artiste. « Arriverai-je à retrouver une trace de ce passé si loin, si mystérieux ; et le présent ne me disait rien qui vaille. Retrouver l’ancien foyer, raviver le feu au milieu de toutes ces cendres », note-t-il 

Comme beaucoup d’idéalistes, il a soif d’authenticité, c’est pourquoi il s’installe à Mataiea pour y peindre et se lasse vite de sa vahiné Titi, métisse trop européanisée, pour vivre avec Tehamana, une adolescente de treize ans, qui partagera sa vie jusqu’à son retour en métropole.

Son texte tient à la fois du journal de voyage et du reportage ; écrit dans un style spontané, imagé, parfois rugueux et non dénué d’humour, il témoigne de la fascination de l’auteur pour les paysage, les couleurs, mais aussi les habitants dont il partage le quotidien, revendiquant lui-même de vivre « en sauvage ».

Précieux, parce que l’un des rares documents que nous possédions, avec sa correspondance, pour connaître cette période de la vie de Gauguin, ce récit sincère n’est toutefois pas exempt de quelques artifices : le peintre n’y évoque guère ses ennuis de santé, ni ses soucis financiers, cependant bien réels. De plus, s’il cite à plusieurs reprises des légendes tahitiennes (La Naissance des étoiles, La Légende de Roua hatou, etc.), il omet d’en préciser les sources, qui, contrairement à ce qu’il laisse entendre, n’ont rien d’une découverte locale. Elles furent en effet identifiées par René Huyghe comme provenant d’un ouvrage de Jacques-Antoine Moerenhout, Voyages aux îles du grand océan, publié en 1837 à la Librairie d’Amérique et d’Orient.

Ce détail est absent de l’intéressante préface de Sylvain Goudemare qui, en revanche, explique avec une grande précision l’étonnant destin de ce texte que Gauguin avait confié à son ami le poète et journaliste Charles Morice, aux fins de réécriture. Ainsi, dans une lettre à son ami Daniel de Monfreid, le peintre écrivait : « Cette collaboration a eu de ma part deux buts. Elle n’est pas ce que sont les autres collaborations, c’est-à-dire deux auteurs travaillant en commun. J’avais eu l’idée, parlant des non-civilisés, de faire ressortir leur caractère à côté du nôtre, et j’avais trouvé assez original d’écrire […] à côté le style d’un civilisé qui est Morice. J’avais donc imaginé et ordonné cette collaboration dans ce sens ; puis aussi, n’étant pas comme on dit du métier, savoir un peu lequel de nous deux valait le mieux ; du sauvage naïf et brutal ou du civilisé pourri. »

Charles Morice s’acquitta de cette tâche de manière assez singulière, qui tenait moins de la collaboration que de la trahison. C’est pourquoi, au texte qu’il publia en 1901, qui perd en spontanéité ce qu’il gagne en lourdeur et fait l’impasse sur la version originale du peintre, on préférera largement celui de la présente édition, établi d’après le manuscrit initial de Gauguin.

Et, puisqu’un livre en appelle parfois un autre, on ne pourra que recommander aux lecteurs de Noa Noa  de redécouvrir ce chef d’œuvre du roman picaresque qu’est La Tête coupable de Romain Gary (Gallimard, collection Folio). Ils y retrouveront de nombreuses références à Gauguin, ainsi que des passerelles que le grand romancier s’était malicieusement attaché à construire entre son livre et celui du peintre.

Illustrations : Paul Gauguin, deux gravures sur bois (d’une suite de six), 1893-1894.

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