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La virginité féminine, Mythes, fantasmes, émancipation ; une approche historique de Yvonne Knibiehler

virginité féminine

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Yvonne Knibiehler est une intellectuelle féministe reconnue, spécialiste de l’histoire des femmes ; elle s’est aussi souvent distinguée par des prises de position assez iconoclastes, voilà pourquoi la publication de son essai, La Virginité féminine, Mythes, fantasmes, émancipation (Odile Jacob, 216 pages, 29,90 €) mérite attention.

L’auteure s’est aventurée sur un terrain aujourd’hui peu exploré, après avoir constaté que le nombre des vierges consacrées (c’est-à-dire des femmes ayant virginité féminine demandé la consécration, mais vivant dans le siècle) augmentait parmi les catholiques, que le mouvement « No Sex » se développait aux Etats-Unis et que la demande d’hymenoplastie explosait, en Europe et dans le Bassin méditerranéen, chez les jeunes filles musulmanes.

Que l’importance accordée à la virginité revienne ainsi en force dans une société occidentale que l’on dit laïcisée et passée depuis des années au filtre de l’émancipation sexuelle pourrait sembler surprenant. A moins toutefois de se méfier de cette image d’Epinal d’une société hypersexualisée, largement dénoncée pour des raisons idéologiques par les puritains actuels et les tenants de la panique morale. Il serait en effet plus juste de reconnaître, au sein de la société, une montée en puissance, à la fois, des communautarismes monothéistes (au sein desquels des courants influents ont toujours entretenu des relations conflictuelles, sinon névrotiques avec le corps) et d’une bien-pensance laïque de type « gauche morale » qui, même si elle s’en défend, pratique une méfiance envers la sexualité qui s’enracine dans l’héritage judéo-chrétien.

Une approche historique de la virginité féminine

L’auteure aborde la virginité féminine en historienne. La Grèce, Rome et le judaïsme sont passés au crible dans son essai. Dans ces univers, la subordination de la femme est de mise et, même si l’importance accordée à la virginité des femmes peut s’expliquer par divers facteurs, un point commun les unit : l’homme désire préserver la pureté de sa filiation, avoir la certitude d’être « le premier » et, naturellement, le seul. On connaît l’adage romain traduisant cette angoisse : « Mater semper certa, Pater semper incertus ».

Yvonne Knibiehler examine ensuite le christianisme tel qu’il fut diffusé par Paul de Tarse, marqué par un rejet obsessionnel des tentations de la chair et la promotion d’un idéal ascétique qui s’apparente peu ou prou à un recyclage du platonicisme. Curieusement, elle voit dans cette promotion de la virginité par l’Eglise une liberté acquise par les femmes de renoncer à la domination masculine, une forme d’autonomisation – en d’autres termes une liberté d’échapper à l’obligation de devenir épouses, de connaître la grossesse. C’est vrai pour celles qui firent ou font ce choix en toute connaissance de cause, mais nettement plus contestable pour la majorité des femmes, auxquelles cette virginité fut imposée comme une prison morale – voire, plus tard, un impératif hygiéniste – derrière laquelle les valeurs de l’ordre patriarcales (pureté de la lignée, transmission de l’héritage, domination de la femme sous couvert de « pudeur » ou « d’innocence ») se dissimulaient plus ou moins habilement. Le XIXe siècle fut, à cet égard, archétypal. Wilhelm Reich l’avait fort bien démontré, notamment dans son passionnant essai, L’Irruption de la morale sexuelle.

Vers la désacralisation de la virginité féminine?

virginité Qu’en est-il aujourd’hui ? L’auteure note que, si la virginité est désacralisée, elle n’est pas « désactivée ». Elle semble, écrit-elle, « en passe de retrouver sens et valeur, et pas seulement pour les personnes qui gardent une sensibilité religieuse ». Et de citer le mouvement « No sex » qui, affirme-t-elle, « ne se rattache officiellement à aucune confession ». Officiellement, peut-être ; dans les faits, voilà qui mériterait discussion. Car, dans l’un et l’autre cas, on ne peut s’interdire d’écarter l’influence médiatique directe ou indirecte, depuis quelques années, du discours néopuritain venu d’Outre-Atlantique, à forte connotation culturelle évangélique et Républicaine ; mais Yvonne Knibiehler n’y fait guère allusion, préférant attribuer l’origine du phénomène à un « espoir de limiter le nombre de grossesses et de freiner la propagation du sida ». L’examen des statistiques met pourtant en lumière que, sur ces deux points, les résultats obtenus aux Etats-Unis sont catastrophiques ; avec ce retour d’expérience, on pourrait donc penser que ce mouvement semble aujourd’hui moins relever d’un souci prophylactique que de l’idéologie conservatrice. D’autant plus que le nombre le plus réduit de grossesses accidentelles se trouve aux Pays-Bas et en Scandinavie, Etats qui ont pris le contrepied des Etats-Unis en organisant, non une promotion de l’abstinence, mais des cours d’éducation sexuelle adaptés aux classes d’âge dès l’enfance.

Le chapitre que l’auteure consacre à la situation des jeunes musulmanes nous ramène à la multiplication des demandes d’hyménoplastie et de certificats de virginité, phénomènes qui ne sont évidemment pas sans intérêt : « Les enfants d’immigrés, on le sait, souffrent d’une socialisation dichotomisée : l’éducation publique, fondée sur l’émancipation de l’individu, se trouve en contradiction avec l’éducation privée, familiale, fondée sur le respect des traditions. […] Face à cette tension, les unes se révoltent, les autres s’adaptent. » Parmi ces dernières, celles qui choisissent le repli identitaire et la stricte pratique religieuse revendiquent leur virginité, ce qui est leur droit. Les autres se trouvent confrontées, puisque la virginité reste une condition incontournable du mariage dans leur milieu familial, aux angoisses liées à la réfection de l’hymen. Mais, là encore, l’analyse que l’auteure en donne ne laisse pas de surprendre. Au lieu de préciser que cette exigence relève d’une tradition socio-religieuse, d’une obligation faite aux filles de renoncer à toute activité sexuelle avant un mariage cependant de plus en plus tardif, Yvonne Knibiehler, plus heureuse en historienne qu’en sociologue, met en lumière deux arguments discutables voire, pour le second, tout à fait contestable.

Le premier est ainsi exprimé : « […] pour les filles d’immigrés, faire l’amour avant le mariage est un critère d’intégration au pays d’accueil. » C’est pourtant aussi, et avant tout, un choix personnel fondé sur la libre disposition de leur corps – un droit que l’auteur reconnaît… aux jeunes filles qui « restent vierges pour signifier leur différence. […] Et, féministes à leur manière, […] tiennent les mâles à bonne distance » ! Voilà bien une conception plus proche du féminisme sexophobe d’Andrea Dworkin que de celui de Judith Butler…

virginité chez les jeunes musulmanes Le second argument est encore plus surprenant. Selon Yvonne Knibiehler, les jeunes musulmanes ayant recours à l’hyménoplastie seraient en effet pour beaucoup déçues de leurs expériences sexuelles et chercheraient ainsi à se réconcilier avec leur environnement familial traditionnel, à « repartir de zéro » ! A redevenir, pourrait-on dire dans le langage du XIXe siècle, des oies blanches « vertueuses », rentrées dans le rang de l’ordre moral.

Outre que cet argument n’explique en rien les demandes croissantes de certificats de virginité (toujours prématrimoniaux et qui témoignent de l’état de soumission des filles), il est loin de correspondre à la majorité des cas. La plupart des candidates à l’hyménoplastie y sont forcées, car elles sont tenues de respecter l’obligation de virginité dont elles s’étaient affranchie – ce qui était bien leur droit. Elles ont donc discrètement recours à cette intervention chirurgicale peu de temps avant leur mariage, afin de satisfaire leur famille et leur futur époux.

Pour mieux comprendre de phénomène, plutôt qu’aux développements de l’auteure, on préfèrera regarder l’excellent film de la cinéaste libanaise Nadine Labaki, Caramel, disponible en vidéo. On pourra aussi lire l’intéressante étude de la sociologue Isabelle Clair, publiée dans le n°60 de la revue « Agora débats/jeunesse » (Les Presses de Sciences Po) intitulée Le Pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel, dans laquelle l’auteure note : « Les filles notamment font l’objet d’un regard réprobateur a priori constant, leur sexualité constituant une clé de voûte de l’ordre social. Et les garçons sont obligés par l’ensemble des garçons et par l’ensemble des filles d’exercer ce regard réprobateur, la sexualité des filles étant pour eux un enjeu d’affirmation de leur virilité. […] La « nature » fait les filles « putes » : pour cela, elles sont méprisées collectivement, valorisées uniquement quand elles échappent à leur stigmate ; du fait que la maternité est encore inaccessible aux jeunes filles de mes enquêtes, elles ont d’autres moyens de se faire « respectables » : viriles ou éventuellement religieuses quand elles ne sont pas en couple, amoureuses, obéissantes et fidèles quand elles le sont. »

Nous sommes ici très éloignés des analyses d’Yvonne Knibiehler, qui fleurent si fort la moraline qu’elles ne font jamais allusion aux notions de désir et de plaisir (comme si les femmes n’en éprouvaient pas !) et qu’elles s’inscrivent dans une conception sociale hétéronormée où la seule autonomisation féminine serait de « tenir les mâles à bonne distance » et d’éviter une sexualité perçue comme un danger. Triste perspective.

Illustrations : Couronnement de la Rosière, image d’Epinal – Gravure humoristique de « chats », carte postale ancienne.

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