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Le Sexe de la femme de Gérard Zwang : un livre licencieux dans les années 60 devenu un classique

Lorsqu’en 1967, le docteur Gérard Zwang publia chez Jean-Jacques Pauvert son essai, Le Sexe de la femme, le retentissement fut considérable. A une époque où la censure se montrait féroce, même avec les œuvres littéraires et cinématographiques reconnues et où, à l’Elysée, Tante Yvonne refusait toujours de recevoir des invités divorcés, oser traiter un tel sujet, a fortiori dans l’optique de réhabiliter un sexe victime de plus de vingt siècles de tabou, ne manquait pas d’audace.

Une oeuvre fracassante à une époque où la censure était féroce

« Le Sexe de la femme », de Gérard Zwang 1

Si le livre échappa à l’Enfer et au tribunal correctionnel, c’est sans doute eu égard à son prix élevé qui en limitait la diffusion, notamment auprès des mineurs : en effet, l’édition originale se présentait sous la forme d’un fort volume relié sous étui, doté d’une iconographie exceptionnellement riche qui fait encore référence, au même titre que L’Erotique de l’art de Lo Duca. C’est dans cette édition que fut publiée pour la première fois en couleur (une petite photo en noir et blanc avait déjà figuré dans Die Grossen Meister der Erotik, vers 1930) une reproduction de L’Origine du monde de Gustave Courbet… qui s’est en fait révélée être une copie présumée de Magritte, l’original étant accroché dans le bureau de Jacques Lacan.

L’ouvrage est, depuis lors, devenu un classique, mais un classique dont le sujet universel conserve son actualité ; c’est pourquoi il vient d’être une nouvelle fois réédité (La Musardine, 428 pages, 16 €), mis à jour et augmenté d’un préambule. Autant le préciser dès à présent, cet essai, remarquablement documenté, hymne au corps de la femme et plus particulièrement à son sexe, fera grincer bien des dents. Car l’auteur y exprime ses idées avec un franc-parler auquel nous ne sommes plus guère habitués de nos jours.

Si sa critique de l’influence nuisible des religions sur l’épanouissement sexuel reste des plus vigoureuses, celle des coutumes religieuses et tribales de mutilations (excision, infibulation, circoncision) et du culte de l’hymen « marchandise monnayable » l’est tout autant, sinon davantage. Voilà qui devrait singulièrement irriter les tenants d’un tiers-mondisme angélique et les croyants plus ou moins fondamentalistes des trois religions du Livre.

Mais les foudres de Gérard Zwang ne s’abattent pas que sur ces derniers. Celui-ci s’attaque aussi, non sans virulence, aux phénomènes de mode (épilation intime, piercings), aux théories de Freud, au « puritanisme le plus caleçonné », aux idéologies conservatrices opposées à l’érotisme (y compris les communismes), au féminisme intégriste. Il assure parallèlement tout au long des chapitres la promotion d’une sexualité libre de contraintes, mais dans un cadre clairement hétéronormé.

Une approche physionomique utile

L’ouvrage se divise en trois parties : morphologie et physiologie, puis analyse des représentations et de la symbolique, enfin approche de l’esthétique dont le fil conducteur est l’histoire de l’art. La première partie traite du sexe de la femme sous l’angle anatomique et fonctionnel ; elle intéressera tous les lecteurs qui y découvriront les détails de cette terra – encore trop souvent – incognita et les différentes manières d’en tirer du plaisir.

Cette approche n’a rien d’inutile : faut-il rappeler ici cette étude récente, mentionnée dans La Fabuleuse histoire du clitoris, réalisée auprès de lycéennes, qui concluait que seulement 49 % des filles de 4e et 74% des filles de 3e disaient avoir un clitoris, tandis que 66% de ces dernières ignoraient à quoi il pouvait servir ? Il sera en outre rassurant pour les lectrices inquiètes de découvrir que la morphologie de leur sexe est plus variée encore que celle des visages et qu’il n’existe donc pas, en la matière, de « canons de la beauté ».

« Le Sexe de la femme », de Gérard Zwang 2

Dans la deuxième section, il est question de l’ostracisme, voire de la diabolisation dont le sexe féminin fut victime, tant d’un point de vue social que religieux (le second se plaçant toujours au service du premier dans un grand dessein de domination phallocratique .). Depuis les origines – cet ostracisme génère auprès des femmes un sentiment de culpabilité savamment orchestré comme le montre mieux encore le rapport à la virginité féminine à travers les siècles. La dernière partie se révèle tout à fait passionnante pour les amateurs d’histoire de l’art, puisqu’elle embrasse l’interdit conventionnel de la représentation du sexe féminin dans la peinture et la statuaire, jusqu’à une époque très récente.

Ecrit d’une plume ferme, et facilement abordable par tous les publics, l’essai reflète la belle érudition de son auteur ; il est en effet rare de voir un discours anatomique ou physiologique émaillé de citations littéraires (Théophile Gautier, Mallarmé, Breton, Saint-John Perse, etc.) ou de références musicales – et plus rare encore d’y trouver un humour parfois fort piquant. Exemple : « […] l’art érotique qui ne figure point dans les musée officiels : les scènes de carnage guerrier sont plus édifiantes pour la jeunesse. »

Le public contemporain sera éventuellement étonné du contraste existant entre certains propos de l’auteur fort éloignés de la doxa (sa conception hétéronormée ou son réquisitoire contre la sodomie, par exemple) et d’autres, qui célèbrent sans ambiguïté l’érotisme et le plaisir. De même, l’observateur des évolutions sociétales trouvera peut-être trop optimiste le constat de Gérard Zwang lorsqu’il décrit (dans une préface de 1997, il est vrai) les heureux événements intervenus depuis la fin des années 1960, parmi lesquels il cite « la censure [qui] cessa de saisir les ouvrages licencieux, la pornographie [qui] put montrer ses films, les baigneuses [qui] purent montrer leurs seins […] ».

Car, en 2012, le pouvoir de nuisance du néopuritanisme met plutôt à la mode la censure des artistes, la création de paniques morales autour de la pornographie et la désapprobation de moins en moins discrète des seins nus sur les plages. Philippe Muray l’avait déjà noté, la société offre à homo festivus de plus en plus de distractions, mais celles-ci sont également de plus en plus encadrées par des notions de « bienséance » qui s’apparentent à autant de régressions : l’interdiction des seins nus à Paris-plage en offre un exemple édifiant.

Cet excès d’optimisme, d’ailleurs limité à quelques lignes, est toutefois largement compensé par des passages que l’on aimerait lire plus souvent, tant dans des essais que dans la presse, tel celui-ci : « Accouplant monstrueusement Eros et Thanatos, cette conception désespérante anime tout un courant aberrant de la pensée occidentale : la Mort et l’Amour, c’est tout un… Sophisme professé évidemment par des gens n’ayant aucune envie de mourir dans l’instant, ni de renoncer à la copulation. On n’en tint pas moins Schopenhauer pour un grand penseur, Wagner fit de cette impureté la perle de sa mort d’Isolde (der Liebestod), et l’intelligentsia parisienne se délecta un moment des préciosités nécrophiliques de Georges Bataille, identifiant dans l’érotisme un désir de mort. C’est bien sûr l’inverse qui est vrai : la joie érotique est le seul antidote “valable” à l’angoisse qu’engendre chez chaque homme la connaissance de sa mort inéluctable ». Voilà qui est appeler, si l’on ose dire, un chat un chat…

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Illustration : L’Origine du monde, copie présumée de Magritte, reproduite in Gérard Zwang, Le Sexe de la femme, La Jeune Parque, 1967.

Thierry Savatier

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