« Dans un jardin sur les hauteurs de Reykjavik, un bébé mâchouille un objet étrange…Un os humain! Enterré sur cette colline depuis un demi-siècle, le squelette mystérieux livre peu d’indices au commissaire Erlendur. L’enquête remonte jusqu’à la famille qui vivait là pendant la Seconde Guerre mondiale, mettant au jour des traces effacées par la neige, les cris étouffés sous la glace d’une Islande sombre et fantomatique… »
Quand Erlendur remonte le temps : du grandissime Indridason
Après la lecture d’une telle quatrième de couverture, on ne peut qu’être impatient de lire la deuxième enquête d’Erlendur et retrouver l’atmosphère particulière de cette île du bout du monde septentrional.
Les fondations d’une maison en construction, terrain de jeu des enfants de ce quartier en expansion, recèlent un squelette énigmatique. D’où vient-il, qui est-il? Un archéologue est envoyé sur place ainsi que l’équipe d’enquêteurs d’Erlendur. L’exhumation des ossements se fait au rythme des fouilles archéologiques: lentement, avec précautions et gestes mesurés afin que les indices les plus subtils ne soient pas détruits….au grand dam d’Erlendur qui souhaiterait que cela soit achevé le plus promptement possible.
Les indices recueillis ci ou là permettent à Erlendur de remonter le temps. La Seconde Guerre mondiale a vu l’exode rurale remplir les villes et changer le visage de Reykjavik: les logements sont de plus en plus onéreux, mettant à la rue les plus démunis. La famille de Grimur s’installe dans une maison inachevée sur les hauteurs de la Capitale. Grimur est un homme dur, méchant et violent avec sa famille, notamment sa femme qu’il tabasse sans retenue. Ses enfants, Simon, Tomas et Mikkelina, la fille de leur mère, sont terrorisés par les tortures physiques et morales exercées sur cette dernière par leur père. Deux fois, elle tenta de s’enfuir loin de cet époux violent, deux fois, elle dut revenir avec lui sous peine de voir sa vengeance s’abattre sur les enfants, notamment sur Mikkelina, fillette handicapée suite à une méningite.
La descente aux enfers s’effectue lentement mais sûrement: la mère devenant l’ombre d’elle-même au fil des coups et des insultes. Seul, le bosquet de groseillers apportent une relative douceur à ces êtres malmenés par la vie: chaque année, ils donne des baies juteuses et sucrées dont la mère fait des confitures. Les groseillers symboles du renouveau et de la beauté généreuse de la Nature. Un jour, Grimur est arrêté par la police militaire américaine pour marché noir et est envoyé en prison: une période de liberté et de bonheur vient ensoleiller la famille. La mère renaît de ses cendres grâce à l’amour d’un soldat, la joie et l’insouciance rendent leur enfance aux enfants. Hélas, l’ombre fait sa réapparition lors de la libération de Grimur. C’est alors que le drame, inévitable, survient.
Dans le même temps, Erlendur est confronté à une terrible crise familiale: sa fille, Eva Lind, sombre dans le coma à la suite d’un accouchement prématuré, du à l’absorption de drogues. Elle est entre la vie et la mort. Le médecin conseille à Erlendur de maintenir le contact avec elle en lui parlant. Mais que dire à sa fille qui est encore une énigme pour lui? Finalement, au gré des indices glanés, Erlendur lui parle de son enquête au sujet du squelette enfoui depuis un demi-siècle. Il parle, parle et parle encore sans s’apercevoir qu’il remonte dans le temps, dans son temps, dans son enfance. Erlendur devient l’archéologue de lui-même et entreprend, dans la douleur, une fouille de sa mémoire, bien malgré lui. Un épisode traumatisant de son enfance refait surface, éclairant l’homme qu’il est devenu d’un jour particulier: la peur de ne pas savoir protéger un proche. L’hiver islandais, sa neige et ses tempêtes effacent bien des choses mais le printemps, un jour ou l’autre, exhume les terreurs, les horreurs cachées sous la glace et ces dernières doivent être affrontées pour être enfin domptées.
« La femme en vert » est un roman qui va au-delà du roman policier. Par certains aspects, Indridason s’illustre dans le genre du polar social: cette enquête est difficile et douloureuse car évoque des situtions sociales désespérées. La violence conjugale côtoie la maltraitance vis à vis des enfants et les ravages de la drogue: les scènes où Grimur brutalise physiquement sa femme et psychologiquement ses enfants sont aussi insoutenables que celles où Erlendur, à la recherche de sa fille, entre dans un appartement où un bébé est livré à lui-même car ses parents sont en plein trip. Ces quelques scènes ébranlent le lecteur et le mettent en présence d’un monde bien moins lointain qu’il ne le paraît. Le sordide est tapi parfois sous nos yeux, transparent et muet.
« Explorateur des angles morts de l’humanité, Arnaldur indridason toque doucement à la porte de nos consciences. La douleur est cuisante. » (Le Magazine Littéraire). « La femme en vert » est une excellentissime illustration du talent de conteur d’Indridason.
Un roman noir qui provoque plus de frissons que les thrillers les plus sanglants: Indridason met son lecteur devant les violences ordinaires, celles qui se fondent le plus dans le paysage du quotidien.
Le petit plus qui ajoute à l’intensité dramatique du récit: les va-et-vient entre passé et présent qui se répondent et éclairent les avancées de l’enquêtes et égarent, juste comme il faut, le lecteur et lui permettent de construire et d’échaffauder ses propres solutions.
La chute du roman est un moment d’intense et d’immense émotion: ce dernier chapitre est un hymne à l’espoir, à la vie et à la tendresse. Le lecteur ferme alors le livre, la gorge nouée (quand il a une grande maîtrise de soi) ou les larmes ruisselant sur les joues (quand il est submergé par son émotion). « La femme en vert »: un roman bouleversant, un roman réussi, un roman comme on aime en lire! Du grand Indridason!!!
lITTERATURE ISLANDAISE
« Explorateur des angles morts de l’humanité, Arnaldur Indridason toque doucement à la porte de nos consciences. La douleur est cuisante. » Le Magazine littéraire
Date de publication – 2007
Traduit de l’islandais par Éric Boury