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Beauté de Berlin : Full Sun Party au Badeschiff

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«Allô?
– Salut Pierre, ça va toi?
– Ouais bien, et toi?
– Tranquille. Tu fais un truc ce soir après les matches de foot?
– Bah je pensais aller au Badeschiff, il y a un open-air qu’a l’air trop bien. C’est Aude qui m’en a parlé.
– Cool, ça a l’air sympa. J’aime bien le Badeschiff. Remarque, je n’y suis jamais allé en soirée. Ça doit être vraiment cool.
– Ça te dit? J’irai avec Aude et Thibault et Machin et des potes, tout ça.
– Ouais pourquoi pas. On verra bien.»
Samedi 9 juin au Badeschiff. À 3 heures 19 du matin, la nuit de bringue ne fait que commencer. Mais déjà, une lueur de plus en plus nette et brillante grandit à l’horizon et dilue lentement le noir du ciel. Il n’y a plus de doute possible: l’aurore est bien là!

 

3h19 au Badeschiff.
«Salut Janne!
– Salut toi!
–  Ça va?
– Ouais, carrément! Il s’annonce bien ce vendredi soir! Je vais au Badeschiff avec Pierre et Aude et son copain. Comment il s’appelle déjà? 
– Euh… Je sais plus… Étienne, non?
– Ouais, c’est ça. Et puis aussi avec Machin et des potes, tout ça.
– Ah ouais cool. On dirait que toute la bande est motivée dis donc… 

Bah ouais. 

– Tu viens?

–  Je sais pas trop, j’irais bien prendre un verre avec Sarah avant son départ.

– Comme tu veux. Je fais la sieste pendant que vous regardez votre football, et on s’appelle quand c’est fini, OK? 
– OK.
– À toute!
– Bonne sieste!»
3h38. Le beat techno résonne en continu. Les jeunots et jeunottes tout alentour, dont certains n’étaient même pas nés quand le Mur de Berlin est tombé, s’enivrent toujours plus d’alcool, de musique, de substances diverses au statut légal disparate, de leurs propres hormones en pagaille, dansent, causent, se bécotent fougueusement, que sais-je encore. Accoudé à la balustrade, je n’ai aucun mal à les oublier. Ce n’est pas tous les soirs que j’ai la chance de guetter tranquillement l’arrivée d’une belle journée d’été, surtout depuis un point d’observation aussi privilégié. Comme j’aime cet entre-deux dans le ciel, cette impermanence, cette transition discrète, imperceptible, mais tellement évidente et inéluctable.
3h38 au Badeschiff
«Allô?
Salut Gautier!
– Hello!
– Ça va?
– Ouais! Tu viens au Badeschiff ce soir?
– Ah t’y vas toi aussi?
– Oui, c’est Janne qui m’en a parlé. Elle m’a dit qu’elle va y aller…
– …avec Pierre et Aude et son copain (Étienne, c’est bien ça?). Et puis aussi avec Machin et des potes, tout ça.
– Ah ben je vois que tu es déjà au courant! Sauf que le copain d’Aude, il s’appelle Thibault, pas Étienne.
Oui bon, Thibault, Étienne…  C’est presque tout pareil, non?  
– Mouais… Et alors tu viens?
Bah du coup je crois bien que oui.

– Et tu fais bien. Ça va être une super soirée en plein air avec deux salles, DJ Trükmüsch, DJ GroßBeat et DJ Bidühl!
– Ah, si tu le dis… Bon ben à toute alors.
À toute!»
3h52. La lumière a gagné la partie sur les ténèbres. Le spectacle du ciel me fascine bien plus que le boum-boum ha-ha-ha boum-boum smack-smack boum-boum glou-glou boum-boum sniff-sniff juste au-dessous. Des soirées électro avec DJ Trükmüsch et des hordes de gamins titubant en rythme, il y en aura d’autres, à la pelle. Des levers de soleil, en revanche, euh… hum… Bref, vous m’avez compris, n’est-ce pas? N’est-ce pas?
3h52 au Badeschiff
Inauguré en mai 2004, le Badeschiff, dont le nom signifie «bateau balnéaire», est un établissement de loisir qui tire sa notoriété de sa piscine flottante sur la Spree. En allemand, il y a un nom précis pour chaque chose. Ainsi, le terme teuton qui désigne spécifiquement ce type de structure, “Flussschwimmbad”, a la particularité de s’écrire avec trois «s» accolés, ce que je trouve tout simplement tordant. Oui, un rien suffit à m’amuser, car, comme le disait un célèbre charpentier juif il y a fort longtemps: «Beati pauperes spiritu, et tutti quanti». 

Mais passons. Où en étais-je, déjà? Ah oui, das Badeschiff. Long de quelques 32 mètres, le bassin rectangulaire a été construit à partir de la coque réaménagée d’une barge de transport fluvial (qui se dit comment…? “Flussschifffahrt”! Jawohl! Superbe! Ah, mais ça ne doit pas être triste, le Scrabbble en alllemmmand, avec tous ces mots à trippples consonnnes), et est solidement arrimé au plancher des vaches par un ingénieux système de pontons en bois, espace providentiel où le baigneur-bronzeur-reluqueur peut se vautrer sur l’une des nombreuses chaises longues qui y sont disposées.

4h09. Il fait jour. D’ailleurs, le coq a chanté. Ou alors sont-ce les fêtards juvéniles, saouls comme des polos niais (c’est la version moderne et politiquement correcte de «saouls comme des Polonais», afin d’éviter la stigmatisation quoi enfin – RIP Thierry Roland), qui font des vocalises profanes à l’heure de matines? Qu’importe. On est bien ici, à humer l’air frais du matin, avec ou sans la bande sonore des castrats éméchés.

4h09 au Badeschiff
L’idée de construire une piscine sur un fleuve n’avait rien de radicalement novateur en 2004, puisque Wikipédia répertorie un «Badefloß» (un «radeau de baignade») ouvert en 1781 sur le Danube à l’initiative d’un médecin viennois, et un autre entré en service à Hambourg en 1793. Et, preuve ultime de la supériorité du génie  français, c’est bel et bien sur la Seine, près des Tuileries, que se sont ouverts au public, dès 1761 les premiers «bains flottants» au monde, chauffés et abondamment approvisionnés en eau du fleuve… (Les trois points de suspension sont là pour marquer une petite pause narrative, le temps pour vos lecteurs de savourer mentalement le plaisir extatique d’une baignade à l’eau de Seine tiédie.) Paris a une longue et riche tradition d’établissements de ce type, avec notamment la célèbre piscine Deligny, qui a placidement fluctuat juste devant l’Assemblée Nationale pendant quelques 200 ans, avant de mergitur à pic, un jour funeste de 1993, emportant par le fond un haut-lieu de la baignade topless dans la Ville Lumière.
4h12 – 4h42. Tiens, et si j’allais faire un petit tour du côté de la piste de danse et du bar tout de même? Jouer au poète maudit qui scrute l’aube jusqu’à en attraper des crampes aux pupilles, c’est bien, mais cela ne désaltère pas son homme après tout. Mes amis m’ont précédé à la buvette, et je vois qu’ils ont sympathisé avec des inconnus au regard vitreux, des escogriffes chancelants, à la diction aussi limpide que moi-même ce jour où on m’a enlevé les dents de sagesse. Hum, hum. Ne me sentant guère d’humeur sociable, j’exécute ostensiblement de grands mouvements saccadés de danse techno pour bien signifier à l’équipage de ce bateau ivre que je suis là pour la musique, moi, oh, non mais. Et qu’on ne s’avise pas de venir me postillonner à la figure, hein.
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4h12 – Bac à sable XXXL
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4h42 – Disco! Enfin, euh… je veux dire: « Electro! »
À Berlin, le projet de construire un bain fluvial à cet endroit précis allait de pair avec la volonté de redonner vie à la bordure du canal Flutgraben, un quartier sinistré économiquement, culturellement et architecturalement. Le Badeschiff et tout le terrain de l’Arena Treptow, ainsi que le Klub der Visionäre, se situent en effet pile dans l’ancienne bande de terre (et d’eau) déchirée et défigurée par le Mur (on le saura, maugréeront sans doute les lecteurs assidus). Dans le cadre du programme de réhabilitation du secteur, un concours de réalisations artistiques a été organisé par une fondation municipale: le Badeschiff n’est autre que le  projet gagnant. Huit ans après son ouverture, son succès ne se dément pas. Le quartier du Flutgraben a désormais sa place indiquée en grandes lettres sur la carte du Berlin hédoniste qu’affectionnent les touristes étrangers. Mission accomplie pour le bateau balnéaire, donc.

Un coup d’œil sur ma montre. 4h44! Les types bourrés n’en démordent pas et se font de plus en plus tactiles. Il est peut-être temps de regagner mon point d’observation pour quelques derniers clichés. D’ailleurs, c’est l´heure du lever du soleil.

4h44 au Badeschiff
4h45 au Badeschiff, mais en regardant vers l’est!
Je n’ai testé qu’une seule fois la baignade à la piscine du Badeschiff. L’eau est diablement fraîche, et on ne peut pas vraiment y nager: trop de monde, pas assez de longueur, pas assez de largeur. Amis sportifs, nageurs impénitents, passez donc votre chemin. Pour votre entraînement au 200 mètres papillon, pour de vraies cabrioles aquatiques, il faudra peut-être envisager d’aller vous ébrouer ailleurs. Dans une vraie piscine par exemple, ou alors au lac. Mais, bonnes gens de la Toile, si l’on venait au Badeschiff pour nager, cela se saurait, ma foi. Non, l’on vient céans pour s’affaler sur une chaise longue en sirotant un cocktail pendant des heures, battre nonchalamment la mesure de la basse que l’on entend dans le lointain, et surtout, surtout, exhiber son corps musclé, ses abdos en acier, ses deltoïdes saillants. Et l’on vient se rincer l’œil. Principalement si l’on est friand de deltoïdes et d’abdos, d’ailleurs, m’a-t-il semblé lors de ma visite diurne du célèbre établissement. Question de goût…
4h47. Je continue à mitrailler le lever du jour. En plus de ma fascination pour la lumière des aurores et des crépuscules, je suis tout excité par la simple idée que le jour vienne aussi tôt. Incroyable magie de l’été à Berlin! À cette latitude septentrionale, on ne peut jamais être sûr que le beau temps sera au rendez-vous, même en plein été. Mais au moins, on pourra toujours, toujours compter sur l’arrivée de la lumière dès les toutes petites heures du matin. Cela dit, vous n’y trouverez probablement qu’une piètre consolation lorsque votre après-midi champêtre sera noyée sous les trombes d’eau, je vous le concède… Autour de moi, face à la Spree, la jeunesse est bien lasse. Ceux qui sont encore capables de discerner leur environnement doivent se demander qui est ce type étrange qui prend plein de photos de la Spree. Bah, tant que mon excentricité les tient à distance, cela me convient parfaitement. Vous avez dit asocial?
4h47 au Badeschiff
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Petite pause
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Retour à la piste de danse
Bref, le Badeschiff, assailli les jours de fortes chaleurs par une foule de bellâtres gonflés aux protéines et de quelques midinettes euh… aux fortes capacités pulmonaires, prend plus des allures de radeau de boat-people (en moins pauvre, je vous le concède) que de paquebot de luxe, calme et volupté, dès lors que la température franchit le seuil caniculaire de 21°C à l’ombre sur les rives de la Spree. Du coup, la péniche métamorphosée en piscine paradisiaque n’est peut-être pas mon antre estival de prédilection pour fuir la chaleur dans la capitale teutonne. N’empêche, c’est un endroit vraiment unique, qu’il fait bon visiter un petit après-midi de farniente, ou pour une courte nuit de fête, un été sur deux. Gare au sable dans les chaussures!
5h12. Spree d’huile. Cela fait presque deux heures que j’observe, par intermittence, l’arrivée du matin. Une dernière photo avant d’aller retrouver mes amis éméchés et profiter avec eux de cette ambiance un peu folle de soirée «open-air». D’ailleurs, voilà que les videurs nous incitent à rentrer dans le bâtiment couvert. Ils veulent fermer les portes menant aux espaces extérieurs. Heureusement, j’ai amplement profité de la plage et de la vue sur le fleuve. Qui peut dire quand je reviendrai ici la prochaine fois?
5h12 au Badeschiff
7 heures: filles bourrées + vélos + chaussée pavée + rails de tram = la grosse, grosse cata. Sur le chemin du retour, à Friedrichshain, le peloton de tête chute lourdement juste avant la ligne d’arrivée, un peu comme Djamolidine Abdoujaparov s’étalant en plein sprint final du Tour de France. Enfin, à peu près. On s’en tirera seulement avec quelques hématomes et égratignures. Ma contemplation matinale m’a tenu éloigné de la buvette, et j’ai l’esprit clair: j’insiste pour poursuivre à pied, sentant bien ma compagne de route totalement incapable de remettre le pied au pédalier, quoi qu’elle dise.
C’était une belle soirée d’été à Berlin. Franchement, qui pourquoi aller se droguer à la Full Moon Party à Koh-Machin-Chose quand on a des dizaines de ces open-airs à Berlin?
PS: Si vous êtes un groupe de francophones, la vingtaine délurée, la mèche rebelle, que ne vous vivez pas à Berlin et envisagez de rappliquer par ici pour vous encanailler en terre teutonne et constater de visu la véracité de mes propos, NE VENEZ SURTOUT PAS!!! Sachez que j’ai tout inventé de toutes pièces, ce récit est entièrement fictif, mes clichés sont complètement bidons et photoshoppés, Berlin c’est nul, glacial, ça pue et on n’y mange que des saucisses. Allez plutôt dépenser l’argent de papa à Koh-Ploum-Ploum. Berlin vous dit merki! D’ailleurs, voilà à quoi ressemble réellement le Badeschiff à l’année. Je vous aurai prévenus…

Le Badeschiff, en vrai, par une belle journée de juin.
Le Chroniqueur Berliniquais

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