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Flor Salvaje : une telenovela autour de la prostitution inspirée du roman La Novia oscura

Arriver à la fin d’une série, cela fait toujours un pincement au coeur. J’ai dévoré la série de Telemundo Flor Salvaje, comme une drogue. Je ne prétendrais pas que c’est une bonne telenovela, bien qu’elle réponde à tous les codes attendus dans ce type de série. Mais peu importe, car j’ai aimé les moments procurés par l’histoire de Flor Salvaje/ Amanda Monteverde, ses amours, son métier de prostituée, qu’elle a accepté pour survivre et son combat pour se trouver et restaurer son honneur.

flor salvaje

Chapitre après chapitre, je redoutais la fin proche. Aimer à en tuer… un sujet finalement assez banal pour une telenovela … comme fil conducteur de transformations personnelles. Et bien que le final soit prévisible dès les premières minutes, je me dis que pour une fois, j’aurais aimé qu’il soit différent. Pourtant, j’aime les séries et les films qui finissent (vraiment) mal. Je ne sais pas d’où vient cet attachement à ce genre d’histoires dont on aimerait qu’elles soient heureuses et dont on sait qu’elles vont consumer. J’accepte mon sort de fan de telenovelas, qui aime toujours bien plus les personnages et histoires secondaires souvent bien plus profonds et touchants que les protagonistes. J’écoute ces chansons entêtantes qui accompagnent les scènes où la dramaturgie implique mes personnages favoris … Et une fois n’est pas coutume, le protagoniste reprend ses droits pour aiguiser mon intérêt et devient plus dense et addictif. En définitive, alors que rarement j’apprécie le protagoniste, j’ai beaucoup aimé les failles de ce Rafael Urrieta et son obsession.

Mais comment peut-on aimer un salaud capable de tuer par amour? Flor Salvaje, telenovela venezuelienne que j’aie vue il y a quelques années m’avait plongée dans ce questionnement autour de l’attirance pour certains profils d’hommes virils certes séduisants et séducteurs, qui n’existent que par leur sentiment de toute puissance, la domination qu’ils exercent à la limite de l’envoutement au point que la violence est acceptée par les femmes comme une preuve d’amour, la possession et l’absence de tout compromis au risque de dépasser les bornes tout en le justifiant leurs obsessions par des sentiments amoureux sincères et légitimes. Céder à ce genre de tentation virtuellement en tant que spectatrice est grisant et sans incidence, – les (vrais) méchants ou salopards étant souvent les personnages les plus intéressants dans les telenovelas – mais je me demande toujours comment ce genre de personnages parvient à être aussi attractif et finalement touchant, alors que tout ce qu’il représente, sa façon de penser et de se comporter, est injustifiable.

Si vous êtes hispanophones : Flor Salvaje 150 épisodes de 42 min 


Flor salvaje entre passion, possession et réalisation de soi

Ici nous sommes à Nueva Esperanza, ville du Venezuela près de Timotes, qui s’est développée grâce au pétrole et où la prostitution joue un rôle central dans le développement social auprès des travailleurs. On se trouve principalement dans la Calle del consuelo, la rue de la consolation, qui accueille un cabaret et un bordel, où chacune de ces prostituées officie pour apporter un peu de consolation ou de réconfort aux hommes de la zone. Bien plus que de simples faveurs sexuelles contre de l’argent, elles apportent un lien humain, une bienveillance, une manière de mieux supporter la solitude.

flor salvaje rafael urrieta, amanda et sacramento

La série colombienne Flor salvaje datant de 2011 est basée sur le livre La novia oscura de Laura Restrepo. C’est l’histoire d’une jeune fille orpheline, Amanda Monteverde, abandonnée par son père et obligée de devenir prostituée pour échapper à la misère et la faim. Après la mort de son frère Emilio et le décès de sa mère, indienne, qui n’a pas supporté la disparition de son fils, Amanda s’efforce de survivre dans la rue en compagnie de ses trois jeunes soeurs. Mais quand elle croise à nouveau le chef de la police, un homme sans scrupule, responsable de l’assassinat d’Emilio, ce dernier abuse à nouveau de son autorité et la sépare de force de ses soeurs.

A ce moment là débute son combat pour récupérer ses soeurs, qui ont été envoyées vers des tâches très pénibles et subissent la maltraitance. Elle rejoint la ville, synonyme d’espoir, Nueva Esperanza, où elle envisage de devenir prostituée. Par son sacrifice, elle espère retrouver ses soeurs grâce à un pacte avec l’homme le plus puissant des lieux, Rafael Urrieta et leur offrir un meilleur avenir. La rencontre avec Rafael Urrieta, le « démon » et patron de Nueva Esparanza, cité pétrolifère en train de se développer, va faire basculer sa vie pour le meilleur et pour le pire. Il en a fait sa « femme exclusive ». Mais la jeune fille vivra trois amours jusqu’à l’accomplissement de son destin de femme : celui de l’amour innocent, avec l’ami fidèle Sacramento qui a tout fait pour qu’elle ne rejoigne pas la rue de la consolation et les 4 P ; celui de l’amour passionnel avec Pablo Aguilar, ami de Sacramento avec qui elle trompe Rafael et celui avec Urrieta, l’homme avec qui elle découvrira l’ambition, le pouvoir et l’amour mortifère.

Flor salvaje personnages principaux

Prostitution et condition féminine : un combat pour devenir une femme respectée

Flor Salvaje, ce n’est pas qu’un trio ou quatuor amoureux. C’est la naissance d’une jeune femme, fragile et forte, à la fois, courageuse, combative et déterminée, malgré ses craintes, son innocence perdue et ses rêves et illusions envolés. Elle devient Flor Salvaje, la reine de Las 4 P, qui chavire le coeur de tous les hommes qu’elle rencontre ; lesquels vont façonner son destin de femme fatale et la mener sur son difficile chemin jusqu’à son indépendance ou du moins sa libération intérieure.

Flor Salvaje, ce sont des histoires d’amour et de passion dévorante, de belles histoires d’amitié et de fidélité à toutes épreuves, dans le bordel populaire des 4 P transformé progressivement en casino cabaret chic et plus respectable, où l’on comprend l’importance de la solidarité et de l’union pour faire face à la honte, à l’incapacité de trouver l’amour quand on survit grâce au commerce de son corps et à la bien-pensance des béates percluses de préjugés et de haine. Ces illusions auxquelles Amanda pense avoir renoncé, quand Pablo, l’homme marié dont elle est éperdument amoureuse est abattu par un Rafael hors de lui face à cette trahison, lui apprendront à grandir et à trouver son propre chemin vers son bonheur. Si cette épreuve l’accable et lui donne le sentiment d’être une femme maudite, les choix qu’entraînent ce deuil favoriseront son émancipation intime et la prise de conscience qu’elle ne peut échapper à qui elle est au plus profond d’elle-même. Portée par un désir de vengeance pour faire justice, Amanda sera la proie du propre piège fomenté pour que Don Urrieta paie ses crimes.

C’est aussi une lutte pour la justice dans un pays, où la corruption est un mode de vie et les hommes de pouvoir, politiciens ou policiers, font la loi et en abusent, uniquement dans leurs seuls intérêts au détriment de ces femmes si essentielles. Bien des hommes recourent à elles et savent ce qu’elles apportent, mais si peu les respectent, les acceptent comme elles sont, ni imaginent qu’elles puissent aimer, avoir des rêves, pouvoir vivre autrement, car ce sont de simples prostituées, dont la fonction est de coucher avec des hommes en renonçant à leur propre vie et leur droit d’aimer. Comment supporter que la femme qu’on aime soit l’objet du désir d’autres hommes et les satisfassent? 

La série Flor Salvaje est portée par la protagoniste Monica Spear, ancienne miss Venezuela au destin tragique, assassinée avec son ex mari, alors qu’elle était en compagnie de sa fille de 5 ans, qui fut la seule survivante par miracle. Ce terrible événement a confirmé à quel point le Venezuela était l’un des pays connaissant le plus haut taux de criminalité dans le monde. Les auteurs de ce crime, pourtant retrouvés par les autorités, n’ont jamais été condamnés. Quand la réalité rattrape la fiction et donne hélas raison à certains abus dénoncés dans la telenovela.

La Novia Oscura de Laura Restrepo : ce que le roman décrypte à propos de la racialité dans la Colombie postcoloniale

Certains, assez obtus, considèrent qu’on n’apprend que dans les livres sérieux … et se montrent assez dédaigneux face à des séries comme les telenovelas. Ce ne seraient que des divertissements simplistes souvent à l’eau de rose, faits pour ne pas trop réfléchir en se basant sur des histoires normatives et sans trop de profondeur, des personnages archétypaux, des oppositions manichéennes entre le bien et le mal, où les méchants meurent presque toujours à la fin (mais pas toujours).. Je suis accro aux telenovelas et j’éprouve toujours un plaisir intense à essayer d’en dépasser les limites fixées par les codes du genre. N’étant pas lectrice de romans pendant longtemps, je n’aurais pas imaginé qu’une telenovela fleur bleue, malgré une certaine violence des rapports sociaux et entre les personnages, m’ouvrirait la voie vers des réalités dont j’ignorais tout sur la racialité et le racisme très présent dans la société colombienne post-coloniale. Il faut dire que Flor salvaje s’inspire bien du roman La novia oscura de Laura Restrepo, mais la série s’est orientée sur une certaine perception des prostituées dans un contexte plus contemporain et dans un pays différent, le Venezuela…

J’ai tellement aimé les moments passés à suivre les personnages de la telenovela et ressenti un manque après l’épisode final, que je me demandais ce que pouvait raconter l’ouvrage qui l’a inspirée et je l’ai ouvert avec curiosité. Qui croirait qu’une bluette de qualité moyenne puisse déboucher sur l’appréhension de la catégorisation et la valorisation des femmes prostituées en fonction de leur provenance et de leur couleur de peau? L’intrigue de la telenovela semble finalement différente ou du moins éloignée de la trame du roman. Elle ne l’est pas seulement, car l’oeuvre est décontextualisée géographiquement et temporellement. On en finirait presque, après avoir lu et vu les deux, à se demander pourquoi et comment le vrai sujet du roman a été totalement éludé de la série ? En apparence.

Le roman de Laura Restrepo La Novia oscura soulève de nombreuses questions anthropologiques et sociologiques qu’élude soigneusement la télénovela. Sa lecture s’avère déterminante pour comprendre à travers la triple identité de l’héroïne ce qu’est l’oppression des femmes dans la société postcoloniale et patriarcale de la Colombie des années 40… Rien à voir avec ce que Flor salvaje donne à voir, ni défend si ce n’est de très loin. Les formatages des telenovelas, ultra codifiées quelle qu’en soit leur origine, expliquent en partie les orientations de la série aux airs de bluette par rapport aux questionnements soulevés par l’auteure sur un thème finalement éludé : la racialité et le racisme dans les sociétés sud-américaines.

La question du racisme et de la différence, et de ce qui définit la race, est centrale. Elle est traitée grâce à la condition doublement pénalisante de prostituée et de métisse à la peau colorée. Difficile d’imaginer que l’on devient prostituée par choix … Si Flor salvaje tente de donner cette impression en abordant la solidarité des personnages pour assumer leur condition, la Novia oscura décrypte le bordel de manière bien plus sociologique. Les prostituées sont identifiées et estimées en fonction de la couleur de leur ampoule…. La valeur dépend évidemment de leurs origines dans une société où les indiens n’ont sûrement pas conquis de droits contre leur discrimination malgré le départ des colons. Peu de choses ont changé à ce jour.

Mais dans La Novia oscura, on comprend ce que le parcours de cette jeune fille métisse, née d’une mère indienne et d’un père blanc donc descendant de colons, a de compliqué pour s’imposer autrement que par sa beauté exotique et ce qu’elle provoque chez les hommes qui la désirent… Que traduit la catégorisation et la valorisation des prostituées en fonction de la couleur de peau et de la nationalité sur la persistance du point de vue culturel blanc et européen implanté par les Conquistadores? Le poids de la perspective euro-centriste ne concerne pas que l’identité féminine dans cette Colombie post-coloniale. Le colonialisme était à l’origine de la marginalisation des femmes dans la société patriarcale qu’il a contribuée à développer?

Néanmoins, on retrouve dans Flor Salvaje et La Novia oscura ce que peut être l’exclusion sociale, le sentiment de honte (voire de pêché dans une société dominée par le catholicisme) et le manque de droits que subissent les prostituées (et en général les femmes) dans une société corrompue. Flor salvaje exploite cet angle pour créer une grande partie de la dramaturgie de la série, tandis que La novia Oscura développe le thème très important du « madrinazgo » (« marrainage »), qui était très pratiqué dans les couches pauvres de la population à l’égard des enfants orphelins. Il ne s’agissait pas d’adopter, mais bien d’aider, prendre soin et accompagner les orphelins ou enfants abandonnés, pour qu’ils survivent à la faim et à l’abandon.

Quand la marraine est la tenancière d’un bordel, on ne peut éviter la marchandisation du corps pour s’efforcer de survivre… et l’investissement que peut constituer la Niña si elle est prise en main par une personne experte et bienveillante devient vite une clé de l’évolution de la jeune fille qui deviendra Sayonara, une prostituée légendaire dans sa contrée, avant de découvrir qui est Amanda (son vrai prénom). Tandis qu’Amanda devient et reste Flor salvaje avec fierté, dans le livre, la Niña comme elle était appelée par sa famille, utilise son personnage de prostituée pour trouver la personne qu’elle n’a pu être à cause de son parcours de vie.

Le passage de La Niña qui ne révèle jamais rien de son passé à Sayonara, son personnage de prostituée, n’est qu’une transformation de la chrysalide en papillon. Certes, cette étape est intéressante, mais reste assez classique. L’abandon du métier et personnage de Sayonara suite à son mariage avec son ami Sacramento (orphelin élevé par le curé), l’amène à devenir alors Amanda Monteverde. Elle n’aime pas Sacramento comme elle devrait aimer un futur mari. Et pourtant, elle accepte l’opportunité qu’il lui donne de sortir de son destin de prostituée. Le premier habit blanc qu’elle porte sera celui du jour de ce mariage qu’elle débute avec la résolution de laisser son passé de côté pour une nouvelle vie pour son bien et celui de ses soeurs. Avec lucidité, Sayonara lance : ”-¡Aunque la puta se vista de blanco, puta se queda!” (« bien qu’une pute s’habille en blanc, elle reste une pute »).

La dualité entre les trois identités de l’héroïne est le coeur de l’ouvrage. On plonge dans les contradictions du personnage et explore les oppositions vierge / prostituée ; femme mariée / prostituée ; femme ayant charge de famille dans une démarche sacrificielle / réalisation de soi. L’héroïne est prise et écartelée entre le besoin d’être la figure protectrice de ses soeurs encore mineures pour qu’elles aient un meilleur avenir que le sien et la volonté de restaurer son honneur de femme, tout en demeurant le personnage qu’elle est devenue grâce aux enseignements précieux de sa marraine (Todos los santos dans le livre, Zhara dans la série).

L’émergence d’Amanda et sa vie maritale représente la prise de conscience qu’elle a renoncé à exister. La dualité épouse / prostituée Amanda / Sayonara est peut-être la plus intéressante dans le livre, alors qu’elle donne lieu dans la telenovela à une série d’une quinzaine d’épisodes forcément moins trépidants, durant lesquels Amanda comprend qu’en tant qu’épouse, ses choix ne lui appartiennent pas et elle doit se conformer à ce que son mari attend d’elle pour ne pas éveiller ses instincts protecteurs et jaloux. Les archétypes binaires de la femme agissent avec l’opposition entre la madonne, la Vierge, qui incarne la future épouse dont son mari pourra être fier, et la prostituée représentant la tentation, le pêché et la honte. Leur articulation dans le livre comme dans la série aboutissent à une valorisation, la naissance des attentes personnelles et intimes, les exigences et le préjudice que portent les clichés attendus dans la société. Lors de son retour à Toro, pour la première fois, les trois identités seront regroupées et le dur travail de cohabitation débutera pour permettre à sa personnalité de s’accomplir …

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