A distant place ou toute l’épreuve personnelle qui consiste à cultiver les racines du bonheur en prenant de la distance face à la société pour trouver son équilibre et sa place, même si les plus solides convictions peuvent être ébranlées en un instant.
Encore un de mes films préférés coréens (peut-être mon favori) traitant de l’homosexualité qui quitte la plateforme Gagaoolala… Je n’en suis guère surprise puisqu’elle privilégie de plus en plus la cible BL en quête de divertissement ou les films à caractère très explicite pour la cible LGBTIQ+ et que ce type de films attirent peu l’une et l’autre des cibles et restera hélas confidentiel…
A distant place est un magnifique film coréen signé Park Kun-young – et accessoirement, celui qui m’a sûrement le plus touchée en Corée du sud sur la thématique familiale et homosexualité, pour s’ancrer dans ma mémoire poétique, comme la définit Kundera. Bien sûr, cela n’engage que moi et ce jugement se fonde sur mes attentes très identifiées et mes références en matière de BL et films gays. D’autres oeuvres en Corée, notamment des films de Leesong Hee-il, m’ont interpelée et marquée pour des raisons différentes. Mais j’aime ce qui est très simple, et des personnages et histoires terre à terre, contrairement aux impressions que peuvent donner certaines de mes critiques. A distant place marie à merveille cette simplicité, beaucoup d’affection et d’affects très subtils, sans renoncer à une appréciable profondeur des réflexions qu’il fait émerger. J’y retrouve beaucoup de ce que j’ai aimé dans le film japonais His traitant de l’homoparentalité et de l’homosexualité en milieu rural au Japon, ou les tonalités d’un film refuge comme Restart after comeback home qui interroge la famille, l’identité et le sens de la transmission.
Une réflexion sur le sens de la famille et l’homosexualité en milieu rural
Synopsis : Jin Woo est éleveur de moutons dans une ferme à Hwacheon, où il a a été accueilli dans une famille rassemblant trois générations, avec Seol, sa nièce qu’il élève comme sa fille, depuis que sa mère l’a abandonnée. Un jour, Hyun Min, ami et amoureux de Jin Woo, quitte Seoul pour vivre avec eux… Jin Woo, Hyun Min et Seol forment une unité familiale confortable et semblent vivre une existence heureuse… Mais pourront-ils préserver cet équilibre ?
Dans l’insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera décrit la mémoire poétique comme « cette zone tout à fait spécifique du cerveau qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. » A distant place n’a rien d’exceptionnel si on le regarde sur le plan cinématographique et mes éloges peuvent sembler excessifs, mais sans que je m’y attende, il a atteint et remué mes fibres affectives en profondeur et en tant que spectatrice, c’est ce qui compte finalement le plus pour moi aujourd’hui.
Car il a osé aller au coeur des choses, avec une simplicité remarquable, toucher à l’essentiel des relations humaines et familiales pour appréhender la nature des liens qui unissent des personnes et construisent leur intériorité et leurs aspirations mutuelles. Ce qui est le plus admirable à mon sens, c’est le choix de Park Kun-young d’emprunter la difficile voie de la contemplation, des silences et des non-dits pour mieux explorer et interroger le sens de la famille, le redéfinir au-delà des liens du sang et de la conformité sociale. Il raconte aussi le combat intérieur de Jin Woo pour mener la vie à laquelle il aspire aux côtés de Seol et Hyun Min.
Un drame profond, délicat et douloureux sur l’homosexualité et l’homoparentalité en Corée du Sud
Mélancolique et intimiste, A distant place est servi par des visuels superbes, des prises de vue et des tableaux bucoliques de toute beauté grâce à des paysages aux couleurs automnales et hivernales de Hwacheon, qui rendent hommage au lien élémentaire avec la Nature. Riche en questionnements existentiels pour ne pas dire philosophiques, ce film choisit pour décor le monde rural, mais il n’en fait pas qu’un arrière-plan à une intrigue et un drame familial et amoureux : il donne du corps et du sens à son environnement et aux personnes qui le peuplent. On y découvre le quotidien banal d’un paysan dans cette campagne coréenne, où vit discrètement une famille d’élection dont les membres sont liés tous solidement les uns aux autres sans forcément s’interroger sur la fonction que chacun remplit, tant tout semble évident. Jusqu’à l’irruption d’un membre qui va venir faire basculer cet équilibre et remettre en question des années d’efforts pour trouver la sérénité dans un endroit tranquille loin des jugements, des préjugés et des rejets que subissent trop d’homosexuels encore en Corée du Sud.
Park Kun-young a fait preuve d’une belle maîtrise de son sujet et a beaucoup travaillé pour assurer la meilleure transmission des points de vue, en s’appuyant sur une dynamique poétique et une richesse symbolique impressionnante. Il donne à chacun de ses personnages, principaux comme secondaires, une dimension lui permettant de trouver sa juste place dans l’histoire. Si la communication reste la colonne vertébrale des relations, il privilégie les prises de consciences intimes pour délivrer des messages significatifs. Le réalisateur a entretenu avec soin et intelligence une tension dramatique et émotionnelle tout en nuances. Les acteurs m’ont tous touchée à leur manière et convaincue, je n’ai pas eu l’impression de suivre des protagonistes qui côtoient des rôles de support, mais bel et bien une vraie famille, où chacun joue son rôle et remplit ses fonctions.
Attention risque de spoilers :
Dans la première partie du film, l’histoire est brodée à partir de tout petits riens et façonne une forme de bonheur tranquille en famille, dévoile des gestes et des regards qui expriment tant sans avoir besoin de mots, mais elle s’appuie aussi sur de jolis échanges très simples et authentiques. Sur le plan de la romance, la relation entre Jin Woo et Hyun Min est abordée avec une grande pudeur, ce qui rend leurs interactions encore plus émouvantes et puissantes. Leurs témoignages d’affection sont discrets et tellement sincères. Ils atteignent un pic lors de leur évasion loin de tout sur l’île et sont même emprunts d’un romantisme que je trouve poignant. Compte tenu de la profondeur de leurs sentiments, il ne pouvait en être autrement. Leur engagement est mature, au point que Hyun Min choisisse de se déraciner pour vivre dans un lieu qu’il ne connaît pas et qu’il démontre ses facultés d’adaptation pour s’intégrer à ce nouveau milieu et cette petite ville et contribuer au bonheur de Jin Woo et de Seol.
Puis progressivement, à mesure que la dramaturgie s’accentue autour de Seol et des enjeux autour du parent qui assumera sa fonction officiellement, Park Kun-young cerne le point de vue infantile naïf, avec tendresse et justesse. Seol est le rayon de soleil de l’oeuvre et chacune de ses apparitions procure un réel réconfort, surtout quand elle agit adorablement avec Nana, qu’elle considère comme sa grand-mère, avec la petite fille de cette dernière, Moon Kyeong, qui veille sur elle avec bienveillance, alors qu’elle prend soin de sa famille, a sacrifié ses rêves pour se faire et aime Jin Woo secrètement mais a peur que ses sentiments ne soient pas partagés. Et bien sûr, toutes les scènes impliquant Seol et Jin Woo identifient la puissance du lien qui s’est forgé entre eux sans avoir besoin d’être exprimé ni expliqué. Cette perspective est d’autant plus judicieuse qu’elle permet ensuite naturellement de plonger dans l’intimité de Jin Woo et d’engager les personnages dans des échanges et des dilemmes plus éprouvants. Au risque qu’ils ravivent des luttes invisibles mais très douloureuses et mettent en péril ce pour quoi ils ont tellement combattu en silence.
Un combat intérieur analysé avec sensibilité
A travers quelques bribes qui permettent de deviner le passé de Jin Woo, le film s’attaque délicatement et de plus en plus intensément à ses silences et ses peurs. Ce taiseux réprimant beaucoup de ses émotions et des souvenirs de souffrance jusqu’à ne plus pouvoir les tolérer est confronté aux conséquences de ses choix et aux situations dans lesquelles il s’est enfermé, au nom de ses sentiments paternels et amoureux et de son rapport au monde extérieur. Son conflit intérieur émerge à la fois à l’égard de Seol pour qui il sert de famille de substitution, vis-à-vis de Hyun Min avec qui il souhaite constituer une famille d’adoption tout en favorisant la discrétion dans leurs modes de vie et par rapport à sa famille d’accueil avec qui il forme une famille d’élection, même s’il ne s’est pas forcément ouvert à eux sur sa vie et ses espérances. Autant de conformités sociales qui sont discutées et qui se heurtent à l’intolérance de la société, même dans les petites communautés villageoises où chacun se connaît, s’accepte ou du moins se respecte en apparence. (En apparence seulement). Tant que rien de l’intimité des individus n’est montré, ni dévoilé.
L’homophobie latente de la société coréenne y est montrée avec réalisme et confirme la dureté qu’il y a à trouver sa place quand on est considéré comme indésirable ou anormal et qu’on se retrouve à devenir soudain un paria, après avoir lutté pour mener une vie discrète et avoir tout fait pour bien s’intégrer dans la communauté. Outre la figure sacrificielle de Moon Kyeong qui rêve de quitter la ferme, mais y demeure avec une perspective d’avenir triste et solitaire, j’ai été émue par le courage de Jin Woo qui accepte la perte et le chagrin et renonce d’une certaine manière à ce / ceux qu’il aime pour leur bonheur (au moins il accepte la redéfinition des relations). Le symbole de l’ultime scène comme représentation de ceux qui sortent de la norme, me force à croire à la perspective d’un nouveau départ et de retrouvailles heureuses.
Alliant constamment douceur et amertume, bonheur simple, douleurs intérieures et déchirements, A distant place s’avère un vibrant hommage à la Famille autant qu’une histoire d’amour poignante. Et pour une fois, je me suis prise à rêver qu’elle trouverait un épilogue heureux. Il l’est dans mon imaginaire.
Où le voir ?
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