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A Journey to the shore (le rêve de Peter Pan) : un diamant brut bouleversant

A Journey to the shore (le rêve de Peter Pan) est un court métrage coréen profond et subtil, à la fois magnifique et très éprouvant qui révèle hélas la difficulté qu’il y a à assumer ce qu’on est, un jeune garçon aimant un autre garçon, dans un pays où l’homophobie reste très forte et s’accompagne souvent de harcèlement et d’intimidations.

C’est peut-être ma plus belle découverte en courts métrages du côté de la Corée et logiquement l’une des rares oeuvres à laquelle j’attribue une excellente note de 9,3/10 … Les films qui ont une âme ne sont pas si fréquents et ceux qui touchent l’âme sont précieux. C’est aussi l’un de films qui m’a le plus touchée dans ce pays où l’on manie les paradoxes avec des BL tout doux et assez creux et des films d’art et d’essai rudes, sombres et le plus souvent tristes quand ils traitent des thématiques de l’homosexualité à l’instat de A distant Place, In Between seasons ou Night Flight de Leesong Hee-il qui explore la thématique du harcèlement scolaire et de l’homophobie également. Je sais qu’il y a des réfractaires aux courts métrages en raison de leur durée que vous trouvez trop limitée quand il ne s’agit pas d’une difficulté ou incapacité à rentrer dans le concept de ce type de projet Mais si l’impact, la profondeur et la consistance compensaient cette frustration et dépassaient les attentes ? A Journey to the shore est une merveille de sensibilité qui devrait convaincre certains réfractaires des courts métrages, tant les 30 min sont riches de sens et denses émotionnellement.

journey to the shore minha et sangbeom dans le bus (1)

Un film poignant entre peur d’aimer et regrets

Synopsis :

On n’apprend de la vie qu’à ses dépens, surtout en amour. C’était l’une de mes magnifiques surprises du matin sur Youtube quand j’avais mis en place une routine consistant à découvrir au hasard un court métrage BL ou LGBT pour débuter mes journées. C’est un diamant brut. C’est devenu l’un de mes courts métrages préférés, tous pays confondus, même si j’avoue une affection tenace pour les courts métrages coréens que je trouve souvent poignants.

A Journey to the shore (le rêve de Peter Pan) m’a offert un sublime et poignant moment mêlant mélancolie, douleurs, regrets et culpabilité d’aimer. Ce modeste film de Uhm Ha-neul a intégré mes références incontournables en Corée pour sa sincérité et sa justesse et sa capacité à aller à l’essentiel. Probablement l’un des plus émouvants et vibrants courts métrages coréens que j’aie pu voir.

minha prend la main de sangbeom journey to the shore (1)
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Attention spoiler.

L’histoire de Beom et Minha, ces deux lycéens amis qui s’aiment sans pouvoir franchir un cap dans leur relation à cause de l’homophobie de leurs camarades, est en définitive banale. Et pourtant, j’ai aimé chaque instant et toute la métaphore de l’océan .qui est représentée à travers cette relation. Chaque geste et regard agit comme autant de vibrations produisant l’écume à la surface de la vague pour dévoiler ce qui est évident. Chaque désir dévorant déclenche une nouvelle déferlante et se confronte aux mouvements inexorables de l’eau, qui mettent à l’épreuve la capacité de résistance. Chaque scène à la fois intensément touchante et si éprouvante façonne la complexité d’une relation déchirante dans laquelle s’entremêlent une foule d’émotions, des choix, des responsabilités, de la peur, de la culpabilité, et une capacité d’endurance face à un monde extérieur toujours prompt à juger et condamner les personnes différentes.

minha et sangbeom camarade de classe amoureux (1)

Une immersion douloureuse dans l’intériorité de deux adolescents vulnérables

journey to the shore minha et sangbeom sur la plage (1)

Dans le fracas de cette vague plus puissante que les précédentes, tout ce qui doit rester inavouable face au monde extérieur explose intérieurement. Et quand la confrontation entre l’horizon, l’eau et les éléments qu’elle rencontre devient l’instant décisif du choix, on éprouve un sentiment insondable. Tout est à sa place. On pénètre dans l’intimité de ces deux êtres qui sont à cet âge charnière de la fin de l’adolescence, quand on se demande si le passage à l’âge adulte aidera à mieux supporter sa vie, alors qu’il impose des choix susceptibles d’avoir des conséquences irréversibles. On effleure leur lancinante solitude, malgré le fait d’être près l’un de l’autre, sans être jamais ensemble, tout en nourrissant ce seul désir de s’aimer … Chaque moment de partage, sans avoir même besoin d’échanger par les mots, est d’une justesse incroyable. Lors de ce court voyage, chaque pas côte à côte rapproche autant qu’il sépare.

journey to the shore voyage au bord de la mer (1)

Depuis Your name engraved herein Ton nom en plein coeur (une claque émotionnelle inoubliable), je me suis rendue compte que j’aime presque toutes les oeuvres qui me mènent vers les vagues de l’océan et utilisent symboliquement toutes les étapes condensées d’une relation pour faire surgir les ressacs. J’aime aussi les scènes se déroulant dans un train, et le ressenti qu’elles me transmettent quand le paysage défile sous le regard perdu d’une personne qui essaie d’échapper un peu à la réalité du moment et de fuir ses sentiments et ses désirs, tout en attendant et redoutant d’atteindre la destination finale. On explore la violence de la douleur des sentiments réprimés, chez l’un et la bravoure pour assumer qui l’on est, le besoin de l’affirmer avec fierté sans craindre les représailles et la violence des homophobes. Mais aussi et c’est sûrement un courage encore plus grand ; celui du renoncement.

Minha : « Je veux marcher en te tenant la main. Pourquoi tu me lâches toujours ? Je veux te tenir en public et t’embrasser. Pourquoi pas toi ? Je veux… veux… continuer à sortir avec toi. Pourquoi est-ce si difficile à accepter pour toi ? »

the journey to the shore minha et sangbeom en train de se regarder (1)
journey to the shore baiser entre minha et sangbeom (1)

Jusqu’à maintenant, j’avais été attendrie et tellement enthousiasmée par la relation simple proposée dans My first love (Gagaoolala) story si sincère et authentique. J’ai été captée par l’usage des silences et des non-dits dans When the Waves Rise (Gagaoolala) et dans Spring. J’ai été sensible à la solitude et à l’isolement que Going to home développe en confrontant son héros mature et atteint du VIH, à l’ignorance et au rejet. Journey to the shore synthétise beaucoup des émotions que j’aie pu croiser dans ces diverses oeuvres et livre une vérité ambivalente.

Un message profond contre l’intolérance

Après plus d’une centaine de court et moyens métrages coréens visionnés durant les premières semaines de mon initiation à ce format, j’ai trouvé dans Journey to the shore un sens profond, un champs symbolique très riche autour de l’océan pour traduire une vie de peur et la perte d’un amour et un puissant pouvoir de transmission de l’essentiel d’une histoire inaccomplie pour comprendre ce que représentent les regrets et la culpabilité à cause d’un choix et d’une identité qu’on n’a pas su assumer en raison du rejet et de l’intolérance de ses pairs… Je multiplie volontiers les critiques sur les séries BL aseptisées en provenance de Corée du Sud depuis quelques années (à une ou deux exceptions près). Elles deviennent de plus en plus des produits marketing qui privilégient les émotions faciles et rapides digérées presque dans l’instant de la diffusion, l’esthétique épurée et les archétypes de beauté physique, les stéréotypes psychologiques et les personnages avec peu de fond pour servir des histoires pas toujours très élaborées, dont les thématiques psychologiques, sociétale, sociales et identitaires (pas uniquement sur le plan de la sexualité) ne sont pas forcément traitées avec soin, au mieux survolées et bâclées, au pire (et c’est très frustrant) éludées. Aussi, quand je regarde Journey to the shore et que je pense à toutes ces séries que j’aie trouvées divertissantes mais sans âme et parfois même gâchées, je suis reconnaissante qu’une telle fiction existe et ait eu autant d’échos en 15 minutes à peine.

journey to the shore tristesse (1)

Je n’ai pas envie d’en retenir la tristesse et en cela grâce à ce genre d’oeuvres, j’apprends d’une certaine manière à trouver de l’espérance, une once de bienveillance et de positivité dans les leçons de vie proposées dans ce monde assez impitoyable avec les personnes qui osent être différentes et avoir le courage de l’assumer, y compris dans les situations dramatiques ou tragiques. Ce chagrin écrasant et la perte d’un être cher seront très probablement le catalyseur qui amènera Beom à mûrir et à réévaluer ses priorités dans la vie et sa capacité à s’aimer suffisamment pour se départir du regard des autres. Car l’horizon reste infini quelle que soit l’ampleur et la force des vagues qui s’abattent et meurent sur le rivage … J’aime imaginer qu’en observant cet horizon, seul, Beom retombera un jour amoureux, et sa prochaine relation profitera de cette expérience.

Mon avis en bref sur Journey to the shore

9.3 out of 10
journey to the shore affiche

Ce court métrage est une petite merveille. Bouleversant. Une narration et une interprétation d’une grande justesse et simplicité servent une histoire d’adolescence mêlant désirs et regrets, un amour entre camarades de classe confronté à l’intolérance et au harcèlement…

Réalisation
9 out of 10
Acteurs
10 out of 10
Intérêt de l'histoire et des personnages
9 out of 10
Décors et Ambiance
9 out of 10
Scénario – Narration
9 out of 10
Musique
8 out of 10
Plaisir de visionnage – Intérêt émotionnel
10 out of 10
Intérêt de revisionnage
10 out of 10

Points forts

Très belle Narration

Remarquable justesse d'interprétation

Points faibles

Trop court on aurait tellement aimé prolonger l'expérience

Sandrine Monllor (Fuchinran)

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