Dès sa sortie sur Netflix, j’ai regardé et apprécié Doi boy, film thaïlandais disponible sur Netflix, réalisé et écrit par Nontawat Numbenchapol. J’ai aimé cette histoire vraie, où j’ai ressenti l’authenticité, la crudité, la cruauté du tragique, le fait d’être déstabilisée et malmenée, mais aussi un esprit de bienveillance du réalisateur qui consiste à toujours conserver l’espérance comme guide dans les choix de vie pour les personnages.
Nontawat Numbenchapol, Un réalisateur courageux et militant
Doi boy a reçu un accueil très mitigé et des critiques de spectateurs assez sévères et bien que je le regrette, je peux comprendre pourquoi et j’aimerais vous donner envie de les dépasser ou aiguiser votre curiosité pour vous forger votre propre avis. Est-ce parce qu’il vend une histoire Lgbtqia+ sur fond de milieu de la prostitution en Thaïlande, pour espérer séduire certains spectateurs un peu voyeurs qui ne répondraient pas nécessairement à une histoire de militantisme et de combat civique impliquant des pouvoirs corrompus chargés d’éliminer les consciences soucieuses de dénoncer les injustices?
On ne va pas se le cacher, le film de Nontawat Numbenchapol est risqué et peut presque paraître trompeur quand on ne connaît pas le périple professionnel du réalisateur, car il peut vous perdre d’emblée, ou pire, vous ennuyer ou laisser indifférent, ce que je prête surtout à son approche décousue. Il manque définitivement quelque chose à Doi Boy pour en faire un très bon film dont je me souviendrai durablement et qui me capte totalement. Mais je soutiens et salue le courage de ce réalisateur habitué aux documentaires sur des sujets tabous et graves minant la société thaïlandaise qu’il dénonce malgré les risques encourus. En effet, il est connu pour ses longs métrages traitant de la prostitution, du trafic humain et d’organes, de l’immigration clandestine aux frontières de la Birmanie où les guérillas font fuir certains vers la Thaïlande avec l’espoir d’une vie meilleure, de l’exploitation des travailleurs, de la corruption des pouvoirs politiques et des policiers, des activités et de la disparition de milliers de personnes osant s’opposer ou révéler ce que font les puissants.
Montrer les travers de la société thaïlandaise à la frontière avec le Myanmar
Doiboy s’emploie à égratigner le vernis de cette société en apparence idyllique (au moins pour certains touristes), et idéalisée si l’on s’en tient aux visions tronquées et erronées que renvoient les BL thaïlandais et ce n’est pas pour rien que les BL thaïlandais sont devenus un si puissant outil de propagande pour un soft power culturel nourri par les productions de l’industrie du divertissement avec un angle assumé vers le BL, en suivant finalement l’inspiration de la Corée à partir de la fin des années 90 grâce à la kpop et aux kdramas.
On suit l’itinéraire d’un réfugié birman d’origine Shan, Sorn, tout d’abord moine bouddhiste, puis enrôlé de force dans l’armée pour servir la guérilla au Myanmar et plongé dans une violence insoutenable. Trouvant le courage de fuir et de franchir la frontière, non sans risques, il débarque en Thaïlande pour aspirer à une vie meilleure avec le sentiment que tout sera plus facile, car rien n’est pire que le danger de la guerre. Il est obligé de se prostituer pour trouver l’argent pour acheter des papiers, car il n’y a aucun espoir, aucun droit et aucune reconnaissance pour un sans-papier, même quand il est violenté et soumis à d’autres abus que ceux qu’il fuit. C’est alors qu’il rencontre l’un de ses clients réguliers, un policier, qui est impliqué dans une enquête secrète et dangereuse pour éliminer des activistes dérangeant les politiciens en place. Dans cette ville de Chiang Mai au nord de la Thaïlande à la frontière avec le Myanmar, les histoires comme celles de Sorn sont légion et les opportunités de survivre ne sont pas nombreuses. Ce sont ces sans voix à qui Nontawat Numbenchapol a tenté de donner une visibilité. Certes, on reste encore trop en surface, d’autant que les 1h24 ne permettent pas d’approfondir les personnages, leurs imbrications et ce qu’ils dévoilent du mode de fonctionnement en Thaïlande et au Myanmar.
A travers l’histoire de Sorn, incarné par le magnifique Awat Ratanapintha, se révèlent un drame social pesant, le désir ardent de vivre par tous les moyens, les réalités que vivent ces migrants obligés souvent de se prostituer ou d’accepter n’importe quel travail pour survivre dans l’ombre, en étant exploités et abusés faute de pouvoir s’intégrer à cause de leur statut. Il n’empêche que même désespérés, ces hommes comme Sorn espèrent, aiment, souffrent, s’adaptent aux conditions pour poursuivre leurs objectifs et subissent, mais ils profitent de leur chance d’être en vie pour défendre leurs aspirations profondes au bonheur et à la liberté. Car en franchissant la frontière, et c’est tout l’intérêt de Doiboy, on peut se rendre compte des contrastes forts et douloureux entre mirages et réalités et saisir des éléments dérangeants.
Awat Ratanapintha, la révélation artistique
Pour moi, Awat Ratanapintha est LA raison principale pour laquelle il faut regarder ce film, si on ne retient pas l’aspect instructif et l’enquête menée par le réalisateur sur les conflits armés, l’appréhension des frontières et des migrants entre Thaïlande et Myanmar. Non seulement, il le porte sur ses épaules, mais crève l’écran et même s’il est supporté par des acteurs aux prestations convaincantes comme Arak Amornsupasiri et Bhumibhat Thavornsiri dans les rôles de Ji et Wuth, c’est lui qui m’a frappée par sa présence lumineuse, son regard pénétrant et lucide, la dimension physique et psychologique qu’il a pu apporter à son personnage, sans tomber dans l’excès.
Un film naturaliste imparfait mais touchant
Alors oui, Doiboy est brouillon, très imparfait, inégal, il souffre d’une narration peu fluide et d’une construction qui peut laisser certains spectateurs au bord du chemin, ce qui est regrettable, mais le film affiche son audace sur les sujets qui tiennent à coeur à Nontawat Numbenchapol comme la dénonciation de l’exploitation humaine et des corruptions multiples qui gangrènent et menacent les populations au quotidien pour que la Thaïlande soit justement un pays où l’on a envie de vivre avec fierté. Bien qu’il donne parfois l’impression de se perdre dans la description de détails futiles ou ne prenne pas toujours le temps de développer les divers environnements présentés, Doi boy adopte une approche très réaliste, rejoignant le travail du documentariste, et alterne les paysages et couleurs très naturalistes et les scènes les plus banales, pour mieux plonger ensuite dans le sombre quotidien de ces survivants : migrants illégaux, fuyant la dictature et le régime militaire voisin, travailleurs du sexe, menacés ici pendant l’épidémie de covid, quand tous les bars ont été fermés et que les sources de revenus devenaient très compliquées à trouver sans papier.
Grâce à une intrigue sous-jacente, en apparence, mais en réalité centrale, autour des activistes pour les droits civiques qui combattent pour dénoncer les abus, les trafics d’êtres humains, notamment, le film brosse un certain contexte social et politique d’une Thaïlande en crise permanente dirigée par des gouvernants corrompus qui n’hésitent pas à faire disparaître tous ceux qui les menacent. Nontawat Numbenchapol ne tombe pas dans le piège de révéler uniquement les thématiques sous leur angle glauque et sordide, surtout quand on aborde les travailleurs du sexe, avec tout ce qu’on pourrait redouter quand il est question de transactions autour de son corps non pas par choix, mais parce que souvent pour certains hommes, c’est le dernier moyen de subsistance, même s’ils sont constamment obligés de se brader. Au moins, en dépit de cette misère, ils peuvent fuir la guerre, faut de pouvoir échapper à d’autres oppressions. Doiboy n’est jamais moraliste et n’impose pas un jugement, bien qu’il prenne le parti de dévoiler de nombreux sujets lourds.
Le choix d’un fort réalisme, d’une attention à des petits détails du quotidien, qui pourraient sembler insignifiants mais qui définissent les divers environnements, a suffi à me convaincre et me faire réfléchir. Car j’ai beau regarder beaucoup de films avec des histoires marquantes et trépidantes, ici, je préfère comprendre le monde tel qu’il à la manière dont le documentariste prend le soin de le filmer avec lenteur, que voir une fiction qui le dramatise à outrance pour m’offrir des sensations et des émotions fortes, quitte à ne pas cerner les états d’esprits et dilemmes des personnages à cause des efforts pour les plonger dans des situations critiques et d’urgences. Surtout dans ce genre d’oeuvres où le réalisateur habitué aux documentaires essaie de trouver un équilibre entre ses précédents travaux sur les thématiques qui le concernent et préoccupent et les besoins d’un film basé sur une fiction et sur un assemblage des destins de diverses personnes rencontrées par ailleurs. Le tout essaie de condenser le fruit de ses travaux avec des limites notables, mais une bonne volonté qu’il faut saluer.
Avis en bref sur Doi boy
Fiche descriptive :
- Titre original : Doi Boi / ดอยบอย
- Réalisateur : Nontawat Numbenchapol
- Pays :
Thaïlande
- Date de sortie : 24/11/2023
- Acteurs : Awat Ratanapintha (Sorn), Arak Amornsupasiri Pae (Ji), Bhumibhat Thavornsiri (Aim) (Wuth), Panisara Rikulsurakan (Care)
- Genres : Drame – Thriller
- Thèmes : LGBT+ – Gay – Politique – Prostitution – Corruption – Guerre civile Myanmar
- Durée : 1h38
Où regarder Doi boy ?
Sur Netflix (avec abonnement)
Sur Tubi (avec vpn USA) (gratuitement)