Leipzig 1989. Ce dimanche 11 octobre 2009, quand dans ma salle de bain a résonné la voix de Pierre-Louis Basse, en direct de Berlin ce matin après Leipzig hier, pour son émission Le Temps de le dire sur Europe 1, mon coeur s’est gonflé d’émotions et de souvenirs ardents .9 octobre 1989, j’ai 17 ans et l’oreille collée au poste : peur que la manifestation de Leipzig, appelée aussi « révolte des bougies, ne vire au bain de sang », comme annoncé, puis répété par Christine Ockrent, reine du 20 heures d’Antenne2.
Ce 9 octobre 1989, alors qu’une immense foule de 70 000 personnes bougies à la main, défile dans les rues de Leipzig et brave les menaces pour réclamer la démocratie et la liberté devant l’église Saint-Nicolas, les Allemands de l’Est ne se doutent pas que leur président Erich Honecker va démissionner dans moins de 10 jours et qu’un mois plus tard, une brêche sera ouverte dans le Mur de la honte, qui déchire Berlin en deux depuis 28 ans…
9 octobre 1989, j’ai 17 ans et les yeux rivés au poster noir & blanc du soldat allemand sautant au-dessus des barbelés, épinglé sur le mur de la chambre de bonne où j’habite seule depuis 3 ans, que mes parents ont définitivement perdu le cap de la parentalité.
Le poster trône là depuis cette semaine d’octobre 1987, où ma prof d’allemand m’a emmenée à Berlin.
1987, l’année où des élèves de première B d’un lycée public parisien ont perdu le sens des mots et juré de ne jamais devenir ces adultes là.
Octobre 1987, une partie des élèves d’allemands de la seconde 8 est dans le train pour Berlin, invités par la ville, ou plutôt à l’époque la « moitié ouest » à fêter le 750e anniversaire de l’ex capitale.
Garçons et filles de 15 à 16 ans, nous chahutons. C’est la grande époque du Walkman à cassettes et tubes enregistrés à la radio pendant le Top 50 ou sur NRJ, pour économiser l’achat de 45 tours. La prof d’allemand est dépassée par le bruit et l’enthousiasme.
Et puis, un bruyant silence s’abat sur le joyeux groupe : nous sommes arrivés à la frontière RFA-RDA. Des soldats est-allemands parcourent le couloir puis s’arrêtent dans notre compartiment. L’ambiance se tend, leur uniforme pantalon jodphur et casque démodés nous semble anachronique, nous donne envie de rire et nous terrorise à la fois.
Un soldat à peine plus âgé que moi approche ses grands yeux bleus vers mes bouclettes, puis saisit mon casque de walkman, en plein Like a virgin.
D’abord je pense : « merde, ce casque, c’est des heures de baby-sitting, il ne va pas me le piquer quand même ? »
Sourires, échanges en allemand scolaire, pour confirmer que c’est bien Madonna qui chante, puis prêt du casque aux autres soldats… Fous rires. Proposition de troc, je refuse.
– « Madame, c’est dingue, ils n’ont pas de Walkman là-bas ? » s’exclame un élève ! »
– « Et s’il n’y avait que ça, si tu savais, il leur manque des choses bien plus essentielles, tout ça à cause des communistes. »
Le Mur nous suivra tout au long du trajet, à notre grande surprise. Nous sommes entrés dans le livre d’histoire et dévourons que la voie ferrée est elle-même prisonnière des idéologies jusqu’à la ville.
Porte de Brandburg, devant mur, grafittis et pancarte, la joyeuse bande continue à s’amuser avec l’Histoire et à se prendre en photo comme s’il s’agissait de la Tour Eiffel.
Puis la prof, déçue de nos réactions nous a emmené face aux tombes, « Unbekannt » est inscrit sur la plupart. Le silence commence à se faire plus pesant.
Le moment le plus intense qui a calmé tout le monde, restera la descente de l’escalier du « mini-mirador » qui surplombe le mur avec vue sur le no man’s land, les champs de mines et les immeubles murés.
Les yeux humides, têtes baissées… nous repartons. Je crois que rarement un car scolaire n’a connu silence plus grand après ces instants.
Le lendemain, nous sommes passés à l’Est, au point de contrôle de la station de métro Friedrichstrasse, puis avons visité le plus grand magasin vide, croisé des regards qu’on oublie pas. Tantôt suppliants, façon quand vous reviendrez, dites-leur, dites-leur !
Et tantôt excédés par ces jeunes débarqués régulièrement à Berlin-Est comme au Zoo pour fêter un 750ème anniversaire excluant la moitié de la ville.
De retour à Paris, a suivi alors un long enchaînement de lectures piochées dans la bibliothèque de ma grand-mère : Soljénitsine, Kundera, à sa grande joie. Ce mois d’octobre 1987, je me fait la promesse de ne jamais m’enfermer derrière le mur d’une idéologie, quelle qu’elle soit.
retrouver ce média sur www.ina.fr
9 octobre 1989, j’éteins mon poste et j’appelle mon grand-père Croix de guerre et ma grand-mère émigrée russe : ils revivent l’histoire et moi j’ai enfin l’impression que mon époque est historique.
J’appelle aussi ma meilleure amie Anna, polonaise dont la mère gymnaste n’est jamais rentrée après un championnat en France : « tu as entendu ce qui se passe : ils disent que le rideau de fer se fissure ». Peut-être la fin de la dure vie, pour ta famille restée en Pologne.
Il faut dire que depuis la 6e j’affiche mes convictions sur les enveloppes adressées à ma correspondante : « ALLEMAGNE » en majuscules tracé fièrement au recto (plutôt que RFA), est régulièrement symétrique de « petit facteur fait vite car l’amitié n’attend pas » au verso.
10 octobre 2009, dans ma salle de bains au son d’Europe1, tout à coup j’ai 17 ans, des envies de changer le monde plein la tête, même si je sais qu’avec ma coupe Michael Jackson, je vais encore rester sur le canapé à la prochaine boum, où je serai invitée pour mes tuyaux sur la PAC (Politique agricole commune) et le SME (Système monétaire européen).
10 octobre 2009, je repense à cette dissertation d’histoire, la première de cette année de terminale B, sur la Guerre Froide, comme prémonitoire : « Il reste encore tant de murs à abattre : celui qui sépare Coréens du Sud et Coréens du Nord en Asie, le mur qui sépare Juifs et Palestiniens à Jérusalem, le mur qui sépare Blancs et Noirs en Afrique du Sud, le mur qui sépare Grecs et Turcs à Chypre, le mur qui sépare Paris de sa banlieue.
@suivre donc…
© rédactionnel Valérie Bernard
Pour aller plus loin :
- France Info : Il y a 20 ans, 70.000 personnes défilaient à Leipzig
Il y a tout juste 20 ans, un mois jour pour jour avant la chute du mur de Berlin, la ville de Leipzig, en Allemagne de l’Est, était le théâtre de la plus grande manifestation jamais organisée contre le régime. Ce rassemblement pacifique de dizaines de milliers de personnes dans des conditions très dangereuses marquait le début de la fin de la dictature communiste, incapable de mettre en œuvre la terrible répression qu’elle préparait.
9 octobre 1989. Quelque 70 000 manifestants défilent dans les rues de Leipzig. Depuis plusieurs semaines, le mécontentement a enflé et le vent de révolte est parti de l’ancienne capitale saxonne. Plus exactement de l’église Saint-Nicolas, dont le pasteur, Christian Führer organise tous les lundis des « prières pour la paix ». Ces prières se transforment vite en rassemblements, puis en manifestations, lesquelles gagnent vite l’ensemble de l’Allemagne de l’Est. Le 16 octobre, ils seront 120 000, le 23 octobre, 320 000.
Les milliers de manifestants réclament des réformes et notamment la liberté de circulation vers l’Ouest. Depuis le début de de l’année, ils sont plus de 100 000 à avoir quitté le pays via la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Ces pays, complètement débordés par l’afflux des réfugiés, accentuent la pression sur le régime est-allemand.
- Arte : le miracle de Leipzig 1989
Le lundi 9 octobre 1989 marque un tournant décisif dans l’histoire de l’ex-RDA. D’un côté, quelque 70 000 citoyens – un record – rallient le périphérique intérieur de Leipzig pour manifester. Leurs revendications : des réformes et plus de libertés. De l’autre, des forces de l’ordre équipées de canons à eau, de véhicules blindés et de mitrailleuses. La RDA retient son souffle : soit la situation dégénère, soit un processus de changement irréversible s’engage. Finalement, les autorités capitulent devant cette foule pacifique – aucune goutte de sang ne sera versée.
- Ina.fr : dossiers « Guerre Froide », archives vidéos et audios.
- Euronews : Leipzig commémore la manifestation historique du 9 octobre 1989
- Die Zeit : 9 octobre 1989, le Mur est tombé à Leipzig
- Le Figaro : Leipzig, un prélude à la chute du Mur
- Ville de Leipzig : « Fête des Lumières 2009 » pour commémorer la « Révolution pacifique ».
- Club Med Cancun Resort : une semaine fantastique au Mexique - Déc 2, 2021
- Voyage à Dubaï : 4 activités pour en avoir plein la vue - Nov 25, 2021
- Club vacances en famille en Europe : 5 idées d’évasion au soleil - Nov 18, 2021