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Quiconque est, comme moi, un lecteur assidu des agences de presse russes (et notamment de RIA-Novosti) n’aura pas été sans remarquer que celles-ci, lorsqu’elles traitent de l’occupation et de l’annexion des Etats baltes écrivent toujours ces termes entre guillemets. Car la Russie d’aujourd’hui entretient toujours l’affabulation selon laquelle c’est de leur plein gré que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont rejoint l’Union soviétique en Juin – Juillet 1940.
Voyons ce qu’il en fut pour la Lituanie.
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la Lituanie, Etat souverain depuis 1253, fut déjà annexée par l’empire russe entre 1795 et 1918. Son retour à l’indépendance, proclamé le 16 Février 1918, fut reconnu par la Russie bolchevique le 26 Janvier 1921.
Il n’est pas non plus inutile de rappeler que, suite aux protocoles secrets du « Traité de non-agression entre l’Allemagne et l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes » du 23 Août 1939 (dit Pacte Molotov – Ribbentrop), complété par le « Traité Germano-Soviétique de délimitation et d’amitié » du 28 Septembre 1939, les deux régimes totalitaires européens se partageaient l’Europe centrale.
La RSFSR (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) avait signé des traités de paix, le 2 Février 1920 avec l’Estonie, le 12 Juillet 1920 avec la Lituanie et 11 Août 1920 avec la Lettonie. Le 26 Janvier 1921, elle procéda à la reconnaissance de jure des trois républiques baltes.
Par un premier accord le 28 Septembre 1926, la Lituanie et l’URSS s’engagent « à respecter en toute circonstance leur souveraineté, l’intégrité et l’inviolabilité de leurs territoires respectifs ». On sait ce qu’il en est advenu ……
Devant l’aggravation de la situation internationale, les trois Etats baltes adoptent, fin 1938 – début 1939 (25 Janvier 1939 pour la Lituanie), chacun une loi de neutralité mais au contenu identique.
Grâce aux accords Molotov-Ribbentrop, Hitler, tranquille sur son flanc est, put attaquer à l’ouest le 1er Septembre 1939. C’est également dans le cadre de ces accords que l’URSS attaque la Pologne le 17 Septembre 1939 (y compris la région de Vilnius occupée par les Polonais depuis 1920), puis la Finlande en Novembre 1939 (ce qui entraîne son expulsion de la SDN), faisant d’elle de facto un allié de l’Allemagne nazie sur le terrain. On comprend alors pourquoi l’hagiographie russe ne fait commencer la seconde guerre mondiale qu’au 22 Juin 1941, cette alliance de deux ans avec l’Allemagne nazie n’étant guère politiquement correcte.
Le 10 Octobre 1939, le gouvernement soviétique signait avec le gouvernement lituanien un Accord sur le transfert de Vilna et sur l’assistance mutuelle. En échange du retour de Vilnius dans la République lituanienne, celle-ci s’engageait à organiser sa défense conjointement avec l’URSS, laquelle était autorisée à entretenir en certains points de Lituanie des effectifs limités de forces militaires terrestres. Les mêmes types d’accords d’assistance mutuelle furent signés avec l’Estonie (28 Septembre) et la Lettonie (5 Octobre).
Après l’occupation par l’Allemagne du Danemark et de la Norvège, puis, à partir du 10 Mai 1940, l’envahissement du Luxembourg, de la Belgique, des Pays-Bas et de la France, Staline décida, tant pour se protéger contre l’Allemagne que pour prendre le contrôle politique des Etats baltes, de les intégrer à l’empire russe. Or, depuis le Traité de Moscou du 12 Mars 1940, qui avait mis fin à la Guerre d’Hiver, Moscou avait les mains libres du côté de la Finlande.
Le 25 Mai 1940, Vyacheslav Molotov, Ministre des Affaires Etrangères de l’URSS, présenta une note diplomatique accusant le gouvernement lituanien d’avoir fait enlever 3 soldats soviétiques pour leur extorquer des secrets militaires, mais que 2 avaient réussi à s’échapper après avoir été torturés, alors que le troisième avait été assassiné. Ces accusations étaient en fait une pure invention, le pseudo assassiné étant par exemple un déserteur qui s’était suicidé !
Le 14 Juin 1940 à 22H30, alors que le monde entier avait les yeux tournés vers Paris où les troupes allemandes venaient d’entrer, Molotov présenta au gouvernement lituanien un ultimatum qui expirait le lendemain matin à 10H ! Réitérant les accusations de kidnapping des soldats soviétiques et dénonçant une prétendue conspiration avec la Lettonie et l’Estonie, les soviétiques demandaient la mise en place d’un gouvernement plus favorable au Pacte d’assistance mutuel et qu’un nombre « suffisant » de troupes soviétiques soit autorisé à entrer en Lituanie. Le gouvernement Lituanien, réuni dans la nuit, partagé entre la résistance symbolique et l’acceptation, décida finalement, le 15 Juin à 7H du matin, d’accepter l’ultimatum. Mais les soviétiques récusèrent le Premier Ministre proposé et annoncèrent qu’ils envoyaient Vladimir Dekanozov, un adjoint de Molotov, pour superviser la formation du nouveau gouvernement. En fait, l’armée rouge (200 à 250 000 hommes) entra en Lituanie à 15H et, le soir, le Président lituanien, Antanas Smetona, et son Ministre de la défense, décidèrent de quitter la Lituanie en guise de protestation. Avant de partir, le Président avait nommé le Premier Ministre, Antanas Merkys, Président par intérim.
L’objectif premier de Dekanozov fut l’organisation d’un gouvernement fantoche qui légitimerait l’occupation. Dans une démarche totalement inconstitutionnelle, le gouvernement lituanien considéra que Smetona avait démissionné, reconnut Merkys comme Président de plein droit et nomma le 17 Juin 1940 un communiste notoire, Justas Paleckis, comme Premier Ministre. Puis Merkys démissionna, fut par la suite arrêté et déporté en Russie, Paleckis devint « Président » et nomma l’écrivain Vincas Krėvė-Mickevičius « Premier Ministre » d’un « Gouvernement du Peuple ». Tout cela dans la plus parfaite illégalité.
Le 1er Juillet 1940, le « Gouvernement du Peuple » décida de dissoudre le 4ème Seimas (Parlement) qui, lui, était légitime et de convoquer des élections au « Parlement du Peuple » pour le 14 Juillet. Une nouvelle loi électorale fut adoptée le 5 Juillet et stipula que seules les organisations communistes avaient le droit de présenter des candidats ; en tout état de cause, il n’y avait qu’un seul candidat par siège au Parlement. En outre, 2 000 politiciens éminents lituaniens furent arrêtés avant les « élections ». Le livre noir du communisme parle de 1 480 exécutions.
Les « résultats » furent conformes aux espérances puisqu’il y eut officiellement 95,51 % de votants et 99,19 % des voix se portèrent sur les candidats uniques communistes. Lors de sa première session, le 21 Juillet 1940, ce parlement fantoche proclama la République Socialiste Soviétique de Lituanie (en Lituanien Lietuvos Tarybų Socialistinė Respublika ; en Russe ЛитовскаяСоветскаяСоциалистическаяРеспублика, Litovskaïa Sovetskaïa Sotsialistitcheskaïa Respoublika) et demanda au soviet suprême de l’Union soviétique d’accepter la RSS de Lituanie dans l’URSS. La demande fut acceptée le 3 Août 1940 et la Lituanie devint ainsi la 14ème république de l’Union soviétique.
Voilà donc ce que la Russie d’aujourd’hui appelle toujours « rejoindre volontairement l’Union soviétique » ……Mais qui se souciait alors (et qui se soucie encore aujourd’hui) de ces « nations trop petites, trop seules pour tenir tête, trop lointaines » ?
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