A Berlin, se déroulait jusqu’au 7 Juillet, l’exposition World Press Photo 2013 présentée à la Willy Brandt Haus. Une occasion de parcourir le monde et l’actualité en quelques minutes ou un peu plus grâce au choc des meilleurs clichés du photojournalisme…
Dans l’Exposition World Press Photo 2013
Micah Albert (États-Unis), 1er prix dans la catégorie «Thèmes contemporains / Photos simples» |
Dans le hall de la Willy-Brandt-Haus |
Hannah n’a pas son pareil pour exploiter tout le potentiel lexical ou grammatical d’un banal refrain de rap (si vous saviez tout ce qu’on peut raconter sur un simple „Fick die Polizei!“) ou d’une critique de film. Elle éprouve donc parfois l’envie de varier les plaisirs avec ses élèves et de les mettre en contact avec la langue allemande dans des contextes moins scolaires, ce qui est tout à son honneur.
Que propose l’exposition World Press Photo 2013 ? Chaque année depuis un demi-siècle, récompense les clichés photojournalistiques les plus méritants et les plus saisissants des douze mois écoulés. Ce que j’ignorais complètement jusqu’ici (ne vous moquez pas hein), c’est qu’après l’annonce du palmarès, une exposition itinérante permet au public d’admirer, dans des dizaines de villes sur tous les continents, une sélection des photos primées. Elle passera même à Perpignan en septembre… Grâce à Hannah, je suis désormais un peu moins ignare.
Au siège de la SPD, ce ne sont pas moins 54 photographies, toutes plus intéressantes les unes que les autres, que vous pourrez admirer jusqu’à dimanche. En plus c’est gratuit.
À seize heures tapantes passées de neuf minutes, j’arrive comme convenu devant la Willy-Brandt-Haus où, après avoir attaché à une barrière mon Jolly Jumper, fougueux Holland-Rad à la ligne racée, je rejoins et salue Hannah et ses élèves qui ont pu s’échapper du bureau si tôt un vendredi. Cette joyeuse bande de tire-au-flanc n’affiche même pas un semblant de culpabilité, bien au contraire. Et ça se joue jeune cadre dynamique à qui s’ouvre une carrière prometteuse… L’après-midi s’annonce bien. Mais je déchante rapidement : fidèle à elle-même, Hannah est bien décidée à nous faire cravacher et bouffer de la deutsche Grammatik jusqu’à n’en plus pouvoir. Tout sourire, elle distribue à son petit groupe la liste d’exercices à faire pendant notre visite de l’expo.
Yongzhi Chu (Chine), deuxième prix dans la catégorie « Sports / Photos simples » De jeunes gymnastes à l’échauffement dans une école de sports de Jiaxing, dans la province du Zhejiang. |
Je parcours mon paquet d’exos et compte une bonne dizaine de pages, chacune comportant bien cinq ou six questions suivies de trois ou quatre lignes pour donner sa réponse. Certaines questions d’ailleurs n’en finissent pas. «Et faites des phrases hein! Je veux une grammaire soignée. Dépêchez-vous, l’expo ferme dans deux heures. Mais faites-moi de belles Nebensätze (propositions subordonnées)!» ordonne-t-elle avec entrain, gloussant par avance de plaisir à la perspective de la lecture de nos laborieuses compositions écrites à la va-vite sur un bout de mur.
Cinquante-quatre photos à voir, cinquante-quatre réponses à donner en allemand. En deux heures. Sacrée Hannah tout de même. Et moi qui n’avais même pas emporté de quoi écrire… Je passe à l’accueil du bâtiment pour emprunter au stylo, promettant au jeune stagiaire de la réception que je le rapporterai sans faute après ma visite. Quand le blondinet me remet le stylo rouge marqué SPD, je décide que finalement, peut-être que j’oublierai de le restituer, après tout…
La première photo qui s’offre aux visiteurs n’est autre que la grande gagnante du concours. Nous sommes à Gaza, en Palestine, en novembre 2012. Suhaib Hijazi, âgé de 2 ans, et son frère aîné Muhammad, quatre ans, ont été tués lorsqu’un missile israélien a détruit leur maison. Leurs oncles paternels portent leurs corps à la mosquée pour la cérémonie d’inhumation. L’auteur de la photo, Paul Hansen, photographe pour le grand quotidien suédois Dagens Nyheter, a remporté le prix très convoité et la somme de 10.000 euros, damant le pion à quelques 5000 autres participants qui ont soumis en tout plus de 100.000 clichés !
Vous vous imaginez devoir départager cent mille photos ? Voilà un boulot à la rigueur encore plus ingrat que les exercices de Hannah. D’ailleurs, il ne faut pas lambiner. J’ai mis plus de trois minutes à observer la première photo et à recopier la réponse sur la feuille de questions. C’est beaucoup trop lent si je tiens vraiment à répondre aux cinquante-quatre questions posées en moins de deux heures… Pas le temps de maugréer.
Question n°2, photo 202. «Comment a été nommée l’offensive militaire israélienne de novembre 2012 à Gaza? Quelles sont les cibles visées par les bombardements israéliens?» Recopiage éhonté et paraphrase à cent à l’heure.
Søren Bidstrup, (Danemark, Berlingske Tidende), 2ème prix dans la catégorie « Vie quotidienne » La famille du photographe pendant des vacances d’été en Italie. |
Question n°3, photo 203. «Quelle frontière les réfugiés syriens tentent-ils de franchir à pied?» Et vas-y que je paraphrase. Vachement intelligent comme exercice. Parfait pour développer sa capacité d’analyse, son sens critique. On n’a même pas le temps de regarder les photos, juste le texte explicatif. C’est génial. Question n°4, question n°5, question n°6, photo 204, 205, 206… Verdammte Scheiße! Elle est où cette maudite photo 206 ? Serait-ce vraiment trop demander qu’elle soit entre la 205 et la 207 par exemple ??? Je perds une précieuse minute à rechercher la satanée photo manquante, et décide de passer aux suivantes.
Les premières photos exposées à la Willy-Brandt-Haus sont celles des catégories General News et Spot News, consacrées à l’actualité. En gros, on n’y voit que des scènes de guerre. Palestine, Syrie, des maisons éventrées, des veuves éplorées à la morgue, des visages hagards et ensanglantées, des snipers embusqués, des panoramas de destruction à Alep ou à Gaza, des cadavres en plus ou moins gros plan… Je jette un coup d’œil distrait sur la photo, j’avise le panneau explicatif, et je recopie, je gratte, je gratte, je gratte. Non mais quel exercice idiot, je vous jure… Tu parles d’une sortie culturelle !
Alessio Romenzi (Italie, Time magazine), 1er prix dans la catégorie « General News Stories » À Al-Qusayir, une fillette syrienne pleure son père assassiné par les milices pro-Assad Al-Shabiha. |
Soudain, alors que je commence à avoir le tournis de tout ce chaos, de tout ce sang, de toutes ces scènes de deuil et de destruction, voilà que je me retrouve face à un grand cliché représentant un grand oiseau bleu sombre ressemblant vaguement à une sorte d’émeu, qui picore dans la jungle des graines bleues sur le sol.
Finie l’actualité sanglante du Proche-Orient, nous voici maintenant dans la catégorie Nature. Les clichés sont magnifiques. Mais, hélas, je n’ai pas le temps de les admirer: mon exercice n’attend pas.
Question n°16, photo 216. «Pourquoi le casoar est-il important pour l’écosystème de la jungle équatoriale australienne? Pour quelles raisons est-il menacé d’extinction?» Je recopie docilement les paragraphes idoines du petit écriteau explicatif : «Le casoar est important car il mange de gros fruits et peut disséminer les graines sur de grandes distances. Il est menacé à cause de la fragmentation de son habitat et des chiens domestiques.» Pffff, non mais allô quoi. Je décide alors de m’accorder une petite pause et de faire pendant cinq minutes un truc de ouf-guedin : regarder les photos. Des manchots empereurs, des requins-baleines, toute la beauté du règne animal.
Paul Nicklen (Canada, National Geographic), 1er prix dans la catégorie « Nature / Séries » Un manchot empereur bondit hors de l’eau pour échapper à un phoque léopard. |
Je toise quelques secondes ma feuille d’exercices, parcours d’un oeil distrait les questions relative à l’épopée des manchots de la mer de Ross, et décide de poursuivre encore un peu ma visite. Après les séries sur la nature viennent les lauréats des catégories Sports. Je tombe en arrêt sur une photo de basketteuses aux JO de Londres. À ce moment-là, je range définitivement «mon» stylo SPD, replie ma feuille d’exercices et dégaine mon appareil photo. Les exos crétins d’Hannah, c’est ter-mi-né. Quel rebelle je fais.
Une autre photo de basket féminin a retenu toute mon attention. Mais là, on n’est plus aux jeux olympiques. La série de clichés du photographe danois Jan Grarup, publiés dans le magazine Laif, montre des sportives de Mogadiscio, la capitale somalienne en proie au chaos et aux milices islamistes radicales qui interdisent aux femmes la pratique de toute activité sportive, sous peine de mort ou de graves châtiments corporels, selon la «jurisprudence» des tribunaux islamiques. Les basketteuses somaliennes risquent leur vie en bravant l’interdit, et jouent sur un terrain clandestin entouré de murs criblés de balles, sous la protection de gardes armés. À la fin de leur entraînement, elles s’enveloppent dans leurs abayas, leurs niqabs et autres tenues de fantômes noirs et tristes, et se fondent en silence dans la ville meurtrie.
«Tiens, tu as déjà fini de répondre aux questions?
— Bah non, mais je regarde l’expo, quoi. En fait.
— Il ne vous reste que 45 minutes. Tu vas y arriver?
— Bah, écoute, Hannah, en fait j’ai laissé tomber. L’expo est super intéressante, et franchement il y a beaucoup trop de questions.
— C’est vrai que j’ai un peu forcé… Désolée. Alors tu arrêtes?
— Bah oui.
— OK, donne-moi quand même tes feuillets, je vais corriger tes réponses.
— Tiens, voilà.»
Et le tour est joué. Finalement, ce n’était pas bien difficile de se débarrasser de ce fardeau… Je fourgue mes exercices bâclés à une Hannah visiblement déçue et me concentre sur l’expo. Freedom!
L’expo World Press 2013 (qui, vous l’aurez compris, montre les photos de 2012), quel sacré voyage ! Des prostituées africaines en Italie aux couples de marginaux gays au Vietnam en passant par les toréros borgnes andalous, les fumeurs d’opium en Afghanistan, les gangsters salvadoriens, les habitants mécontents des favelas de Rio, les Indiens Lakotas du Midwest américain… Cela donne vraiment le vertige. Voici une sélection de clichés pour finir.
Je suis reparti de l’Exposition World Press Photo 2013 reconnaissant envers Hannah de m’y avoir invité et complètement débarrassé de tout scrupule quant à mes exercices inachevés. Bien au contraire, j’aurais bien sauté dans le premier avion pour n’importe où, pour Khorramabad ou pour les réserves indiennes du Dakota du Sud ou pour Nairobi, histoire d’avoir la possibilité d’écrire quelques billets sur quelques uns des protagonistes de cette expo vraiment saisissante. Peut-être un jour, qui sait.
Sachez que l’Exposition World Press Photo 2013 revient à Berlin du 6 au 16 septembre, mais cette fois les photos seront exposées à Ostbahnhof. Ou alors, rendez-vous au Couvent des Minimes de Perpignan du 31 août au 20 septembre…
(*) Les prénoms ont été modifiés, comme toujours.
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