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Buddies, premier film sur le SIDA : une pépite inconnue d’Arthur Bressan

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Le film Buddies tourné en 1985 par Arthur Bressan est une pépite. Aussi rare qu’essentiel. Plus qu’un cri d’alarme, cette histoire sensible entre un jeune gay malade du sida et un volontaire devenu son « copain » et visiteur à l’hôpital, est précieuse, dans la mesure où elle aborde le sida frontalement. En direct.

Buddies 1985 d’Arthur J Bressan Jr : un trésor longtemps enfoui qui a failli disparaître

Je n’ai découvert Buddies qu’il y a peu grâce à une suggestion d’Amazon prime video. Je croyais avoir vu presque tous les films ou téléfilms des années 80 – 90 sur le sida. Celui-ci est pourtant le premier et l’un des meilleurs selon moi. L’un des plus vrais. Apparemment, il aurait été très confidentiel à sa sortie en 1985, puis hélas longtemps indisponible et fort détérioré.

Buddies a été récemment restauré, est ressorti dans certains cinémas aux Etats-Unis et en Europe et en DVD, ce qui explique qu’il soit désormais plus accessible et qu’il ait été réinvesti par la communauté LGTBQ. On le doit à la volonté de Jenni Olson, cinéaste, auteure et historienne du cinéma Queer qui a retrouvé après de longues recherches et convaincu la soeur du réalisateur Arthur Bressan, devenue la seule détentrice de ses droits d’auteur. Admiratrice du travail de Bressan, elle souhaitait insuffler une nouvelle vie à cette oeuvre oubliée. En association avec les responsables du Bressan Project, des restaurateurs de Vinegar Syndrome dont Joe Olson et de Frameline Distribution, ses efforts ont été concluants et ont permis de travailler sur les pellicules très abimées.

Bien plus que le modeste budget de 20 000 dollars, le tour de force du film a posteriori, tient à son aspect quasi expérimental en pleine crise dévastatrice. Savoir qu’il a été tourné en un ou deux prises maximum, en 9 jours, dans le loft de l’ami du réalisateur, où a été reconstituée la chambre d’hôpital, est admirable. Sa prédiction aussi. Le film ressemble étrangement à une répétition artistique de la vraie vie.

Arthur Bressan est décédé de complications liées au sida 2 ans après le tournage, comme l’acteur incarnant Robert Willow, Geoff Edholm mort en 1989, le preneur de son et l’un des extras de la salle de sport où se déroulent deux scènes. Artie l’ignorait à ce moment-là, mais il avait bien capté ce moment charnière dans une vie de cinéaste gay engagé et saisi l’urgence de montrer le sida pour le regarder les yeux dans les yeux. Il a aussi influencé David Schachter, l’interprète de David Bennett, qui après avoir joué au théâtre dans la foulée du tournage, est devenu en 1988 volontaire pour la GMHC, une association new yorkaise dédiée à l’assistance les sidéens et séropositifs et l’une des seules à avoir agi dès les débuts de la crise.

buddies david bennett et robert willow dans la chambre d'hopital premier film sur le sida

Incarner le sida à l’écran : une mission dans l’urgence


1985. Depuis 4 ans une étrange maladie décime la communauté homosexuelle aux Etats-Unis dans l’indifférence générale. Le sida n’est abordé que dans quelques encarts dans les journaux. Il n’était pas évoqué sur grand écran ou à la télévision, si ce n’est dans quelques reportages d’informations, souvent très désinformés. On croit encore que ce mal ne toucherait que les homosexuels et pour certains extrémistes ou religieux, il s’agirait même d’une punition divine contre la dégénérescence. La Gay Men’s Health Crisis (GMHC), impulsée à New York par Larry Kramer et ses amis, lutte sans parvenir à attirer l’attention sur le sida.

En 1985 à New York, deux pièces de théâtre racontaient ces années sombres du début de l’épidémie du sida, quand le gouvernement américain ne faisait rien et ignorait les appels à l’aide des concernés. The Normal Heart de Larry Kramer justement qui croit en une action dure et rapporte les positions et une partie de l’histoire du futur fondateur d’Act Up en 1986 et As Is de William Hoffman.

Arthur J. Bressan Jr. fait figure de pionnier du cinéma gay indépendant dans les années 70-80. « Artie », comme l’appellent tous ses amis, avait tourné quelques films gays pour adultes et trois oeuvres plus sensibles Gay USA, Abuse sur les abus sexuels sur les enfants et leurs effets psychologiques dévastateurs et Forbidden Letters. De Franck Capra dont il est un grand admirateur, il retient cet enseignement : « Il faut savoir faire un film avant de le commencer ». Buddies s’inscrit donc dans cet historique comme le premier film sur le sida, diffusé pour sa première au Théâtre Castro en septembre 1985 lors du Festival international du film LGBTQ de San Francisco, même si officiellement, certains sites de cinéma préfèrent retenir An Early Frost, plus médiatique et destiné au grand public. Il l’écrit en 5 jours et le tourne en 9 au mois de mai. A sa façon, il pense aussi le scénario comme une pièce de théâtre.

Arthur J. Bressan Jr. réalisateur de buddies et de films gays
Arthur J. Bressan Jr.

L’idée du projet, selon David Schachter, l’interprète de David Bennett, est née en février 1985 chez Arthur Bressan, qui était de plus en plus peiné par la disparition de ses amis et connaissances. Malgré son optimisme et son idéalisme, il ne voyait pas comment faire prendre conscience du drame et briser l’indifférence, si on ne pouvait pas identifier le sida personnellement. Il a du aller à San Francisco pour trouver les fonds et récolter des témoignages pour penser son personnage principal, Robert Willow, qui en deviendrait l’incarnation. Cela en fait le premier film dramatique parlant du sida, avant le téléfilm An Early Frost qui avait pour vocation d’ouvrir les yeux et de faire de la pédagogie sur la problématique du sida (sur le plan de la réception dans les familles et dans le couple gay) et sur ses modes de transmission encore mal connus, à une époque où tous les malades en mouraient et l’entourage avait besoin d’espoir. Certains croyaient aussi qu’on pouvait être contaminé en touchant un séropositif!

Compte tenu de sa confidentialité, et des lieux de visionnage, principalement des théâtres et non pas des cinémas ou des centres commerciaux à l’audience large, Buddies aura peu d’impact et de visibilité, en temps réel. En revanche, certaines personnes qui le virent et en témoignèrent dans des critiques de la presse grand public, cinéphile ou gay, eurent l’impression que le film racontait simplement une relation entre deux personnes, dont une était atteinte du sida (mais cela aurait pu être le cancer, ou une autre maladie mortelle). Ils ne reconnurent pas forcément son courage ou n’y virent pas son utilité, ni son ambition politique, en dépit de l’émotion ou de la sympathie éprouvées. Trop précurseur, trop véridique. La vérité fait rarement rêver surtout quand elle est banale. L’autre partie du public, plus acquise à la cause du film, était déjà sensibilisée et ne parvenait pas à apporter l’écho et la visibilité nécessaires. Buddies aurait pu être condamné à l’oubli et disparut pendant 30 ans.

Bande annonce originale pour la Première de Buddies en 1985

Aujourd’hui, à la faveur de sa restauration et de sa nouvelle diffusion, les critiques ont bien changé et avec le recul, on mesure sûrement mieux l’héritage que représente cette oeuvre. Mais dans un monde aussi sombre que celui des années 80 pour les homosexuels, la recherche des spectateurs tenait davantage à un besoin d’évasion facile, l’espérance de l’amour et de la libération (idéalement à travers des films joués par des acteurs qui ne soient pas des hétérosexuels stéréotypant les gays), plutôt qu’à la confrontation à la tragédie semée par le virus. D’où un manque d’adhésion et de reconnaissance au goût d’échec pour son réalisateur.

Bande annonce de la version restaurée au Royaume-Uni :

« Capturer la résonance émotionnelle et politique de toute une époque »


Même s’il a 35 ans, Buddies révèle vraiment de manière intemporelle tout ce qu’a pu être cette maladie, mais bien au-delà… Si on soupçonne le déni de la société de l’époque, a fortiori envers les gays, il n’est pas l’objet principal. Pas plus que la critique acerbe sur le silence des pouvoirs publics. Elle est sous-jacente, certes, mais pas constitutive du film comme dans The Normal Heart. Plutôt que de raconter le vécu des patients qui étaient prêts à tout pour vivre, tout en se sachant condamnés, le film est comme une pièce de puzzle dans la plus vaste histoire de la communauté gay au milieu des années 80 …

Pourtant cela ne tourne qu’autour de conversations ou pensées intérieures ; à l’exception d’un ou deux plans. On ne voit que deux protagonistes à l’écran : Robert et David. Robert Willow (interprété par Geoff Edholm), un jardinier californien de 32 ans, dont on devine les airs d’ancien Appolon, est abandonné de tous, amis comme amants, y compris de son grand amour, Edward. Il est en train de crever dans une chambre d’hôpital de New York. Il le sait, mais ne s’en attriste pas forcément. Il rêve encore de vivre et de changer le monde. Il reste toujours engagé politiquement en faveur de la libération de la communauté LGTB. Son éthique personnelle et politique se confondent souvent, au point que la défense des droits des homosexuels devienne aussi fondatrice de son identité que sa sexualité. Il ne regrette rien de ses choix, ni de ses passions et de ses aventures.

David Bennett  (incarné par David Schachter)  est un jeune homme réservé, de 25 ans, apolitique, qui se porte volontaire dans un centre d’aide aux gays, pour accompagner les malades du sida. David est loin d’imaginer qu’une telle rencontre le changera profondément et qu’en apprenant à connaître Robert et en s’en rapprochant, celui-ci le révèlera à lui-même en tant qu’adulte.

Le film est centré presque exclusivement sur l’interaction entre les deux hommes dans cette chambre d’hôpital et sur le voyage qui s’opère dans le monde de Robert. Rien ne distrait inutilement l’attention. Seules les scènes en extérieur et celles introduites dans la chambre par une projection sur un magnétoscope ou grâce aux photos qui racontent le bonheur passé, nous emportent dans un ailleurs, entre fantasme et réalité et rompent la sensation claustrophobique qu’on pourrait éprouver.

Il y a bien quelques échanges entre David et d’autres personnes qu’on ne voit jamais, mais justement, l’objectif est de ne retenir que la relation nouée entre ces deux hommes. Se rapprocher le plus possible de la douleur de Robert tout en transmettant sa vitalité, alors que David s’enfonce dans le doute, et dans l’incertitude sur ce qu’il doit faire en tant que « copain » « buddy » et sur qui il est vraiment et quelles sont ses attentes dans sa vie.

film buddies première rencontre entre david bennett et robert willow

Humaniser le sida : une approche franche et radicale

Dans Buddies, on ressent l’urgence, la nécessité de faire ou d’aller vite et cela ne se traduit pas que dans la durée du tournage. Le sida n’était encore qu’une sorte de « guerilla », qui ne concerne que ses victimes. Pas encore une guerre dont tout le monde devient le possible acteur ou témoin. C’est pour dire, l’ambiance du milieu médical reflétait beaucoup de méconnaissance et parfois d’ignorance au point de refuser les soins. La terminologie de sida n’est pas officiellement reconnue.

En 1985, la plupart des médecins évoquent encore le HTLV-3, puis le GRID (déficit immunitaire lié aux homosexuels à cause de la cible des malades qui s’avèrent quasiment tous des gays) ou encore l’ARC, terminologie adoptée un temps pour traduire les signes d’altération de l’état général à cause du virus. La société en est plutôt au cancer gay ou au mal mystérieux et l’ignorance sur tous les modes de transmission reste grande. Il n’y a même pas de test accessible et grand public pour savoir si on est séropositif. On tombe brutalement malade et on découvre qu’on a déjà le sida, car on a des symptômes (Kaposi, muguet, pneumocystose, toxoplasmose, fièvre et diarrhée etc) et qu’on en mourra, puisqu’il n’y a aucun traitement. Le sida ne s’appelle pas AIDS et Buddies contribuera à sa mesure, à le faire surgir.

Artie Bressan ne se sent pas obligé de rendre le sida monstrueux, de défigurer un sidéen mourant pour émouvoir et tirer une larme à la vue de visages émaciés parsemés de tâches de Kaposi. Savoir que Geoff Edholm succombera au sida, alors qu’il n’est pas malade au moment de son interprétation de Robert Willow, renforce le réalisme troublant de sa prestation. Mais encore fallait-il le savoir. Je l’ignorais lors du premier visionnage et j’avais pourtant l’impression de voir un documentaire sur un malade dont on suit les derniers mois. On n’ignore pas l’issue dès les premières secondes. Alors qu’on s’attend à ce que le corps se dégrade davantage à chaque nouvelle rencontre pour mieux comprendre la transformation et sa douleur inhérente et compatir avec le malade, en définitive, le choix de l’absence d’artifice accentue la sincérité et devient bluffant.

Là où The Normal Heart ou Philadelphia abusent du syndrome de Kaposi pour identifier les victimes au risque de les caricaturer, Buddies choisit l’authenticité et l’économie. Chaque trace et signe physique n’a pas pour objet de stigmatiser et augmenter le sentiment d’indignité. Aucun ne l’emporte jamais sur l’intensité du regard, la rage d’un sourire, l’émotion des lèvres abîmées qui livrent une vérité que nul ne peut juger.

Chaque scène est tellement simple, directe, sincère, et surtout sans pathos. Aucun bavardage dans la narration : chaque mot est à sa juste place. En réalité, Arthur Bressan « Artie » livre un artefact historique qui a capturé un moment très précis dans le temps et il le fait avec une remarquable justesse. La liste interminable des nouvelles victimes du sida sur laquelle s’ouvre et se referme le film résume un projet finalement élémentaire et pourtant audacieux : donner une voix, un visage à ces noms anonymes dont personne ne se soucie.

Buddies : un cri et un combat pour la reconnaissance du sida

Buddies 1985 est aux antipodes d’un film révélation, au succès international, qui aurait selon certains changé les regards et fait prendre conscience du sida : Philadelphia. Pur produit du formatage et du marketing hollywoodien, Philadelphia touche sa cible de spectateurs grand public, mais rate à mon sens son objectif. Alors que le film de 1993 se complait dans la lâcheté pour ne pas affronter son sujet et aborder la stigmatisation homophobe et le sida de biais par la discrimination professionnelle à grand renfort de pathos, malgré le talent de Denzel Washington, Tom Hanks et Antonio Banderas, Buddies ne s’embarrasse pas de précautions oratoires ou stylistiques, ni de moralisme.

Arthur J Bresan Jr. montre le sida dans ce qu’il a d’essentiel et de cru, sans en faire un spectacle, ni recourir à une histoire à mettre en scène. Sans fard.

Il le fait moins par la dégradation, la déchéance corporelle, bien qu’elle soit évidente, que par la conscience de ce que le sida retire à ceux qui l’attrapent. Pas juste la santé. L’histoire de Robert Willow est un cri de vie et non le râle d’un mourant. Le personnage défend sa vision de la justice et de la communauté homosexuelle.


Buddies éclaire sur la solitude, la peur, l’abandon, le besoin sexuel même à l’agonie et la difficulté de l’accompagnement pour des personnes étrangères tentant de rappeler aux mourants leur humanité. Pourtant, il n’y a jamais de colère, pas davantage de regrets. Le filigrane des souvenirs fait émerger la puissance de la nostalgie des temps heureux et insouciants, quand on croyait que le monde pouvait nous appartenir et que tout semblait possible.

L’influence de Franck Capra est omniprésente dans le message délivré comme dans les choix de cadrage et de clichés. On entrevoit son exigence d’indépendance présente au cours de toute sa carrière, la sincérité de son optimisme individualiste et sa faculté à créer une histoire qui n’en est pas vraiment une, mais comporte plusieurs niveaux de lecture. Arthur Bressan s’avère surtout un remarquable conteur. Il raconte ses personnages avec tendresse et amour comme référence à ses amis et amants.

L’identité sexuelle, l’expérience corporelle : la vie en soi ?

Contrairement à la plupart des drames sur le sida, dans Buddies, tout est suggéré et c’est parfait. Les décors sont réduits à quelques plans d’un appartement, d’une salle de sport et d’une chambre d’hôpital. Autour des deux protagonistes, on devine les autres personnages : une infirmière à l’hôpital, la mère de David, toujours solidaire et bienveillante, son amant, Steeve, la responsable de centre gay qui avait attribué Robert Willow à David Bennett comme un numéro, une journaliste soucieuse d’informer enfin la société, un entraîneur de sport. Au-delà des contraintes du budget et de la semaine du tournage avec une équipe réduite, c’est un choix assumé et pertinent. Chaque voix apporte un éclairage sur tour ce qu’a perdu Robert : la bienveillance, l’affection, la tendresse et l’amour qui a fui mais se recompose à travers les 3 mois de relation complice avec David.

De l’extérieur, on observe finalement le personnage peut-être le plus intéressant : David Bennett. Tel un enfant ignorant ce qui l’attend lors de son engagement, David débarque dans la chambre d’un inconnu sans avoir réfléchi à ses motivations, ni à la manière de procéder pour établir cette nouvelle relation. Encore moins à la gestion de la distance psychologique impérative pour supporter la douleur de l’autre, sa peur de la mort et l’inexorable séparation, fût-ce à l’issue d’une brève relation. Qu’est-il censé faire? Il tient compagnie à Robert pour essayer illusoirement de lui faire oublier qu’il subit comme presque toutes les autres victimes du sida, l’isolement relationnel, en plus des contraintes strictement sanitaires du milieu médical, qui renforcent le confinement physique.

David doit s’astreindre à des règles d’hygiène (masque, gants, distanciation sociale, un air de covid avant l’heure) que d’emblée il enfreint. Il doit surtout accepter la confrontation, la polémique et les crispations avec un interlocuteur passionné, cloué dans son lit de mourant, mais terriblement vivant à l’intérieur et toujours plein de rêves et d’espoirs pour sa vie. C’est d’autant plus délicat que David a des préjugés à l’égard de Robert et confie à son journal ne pas l’aimer. Il n’a pas à l’aimer (surtout pas), et probablement aurait-il été préférable pour lui qu’il garde la distance de sécurité pour ne pas autant s’y attacher. Mais David n’y parvient pas.

robert willow malade du sida personnage principal du film buddies

Au début, David n’est presque pas un personnage, ni vraiment un témoin. Peut-être un alibi? Du moins jusqu’à ce que l’histoire de Robert fasse tomber les barrières et opère comme un agent pour lutter contre ce sida qui envahit tout l’espace du corps, du cerveau et du coeur et ronge physiquement les membres. Son apparente inconsistance devient une richesse du film au fur et à mesure que l’échéance fatale s’avère inéluctable. Peu à peu, David devient une entité, il nous montre la normalité et la profondeur du monde de Robert à travers ses yeux et ses notes de journal, et il parvient à nous entraîner avec lui dans son monde. Sans réserve. Mais il évolue aussi beaucoup et profondément sur un plan intime.

« When did you know you were gay? »

ROBERT

Robert, quant à lui, endosse un rôle de quasi missionnaire. Faire prendre conscience à David que l’identité homosexuelle est selon lui constitutive de ce qu’est une personne et que d’elle et de l’acceptation ou du refus de la stigmatisation, découlent beaucoup des choix qu’il fera de sa vie. Il n’est pas question d’orientation ou de préférence sexuelle, mais bien d’expérience corporelle : qui aime-t-on, qui touche-t-on et comment? Comment son corps permet-il d’éprouver l’amour dans sa dimension pornographique, mais non dénuée de romantisme? D’ailleurs, le corps reste sexuel même pendant la maladie et cette évidence se révèle à travers l’un des épisodes les plus touchants de masturbation.

Robert aime parler de sa sexualité, elle est SA VIE. Pour lui, qui souhaite connaître mieux David et ne pas en faire qu’un confident, il est logique de l’interroger aussi directement sur la sienne. A l’instar de la vie de Bressan et de sa carrière d’auteur de films pornographiques racontant des histoires et des personnages. Mais en même temps, il devient un accoucheur, au fil de ses confidences et des interrogations qu’elles soulèvent chez son accompagnateur.

Malgré son état, l’abandon de ses proches et ses moments de détresse ou de colère, Robert reste fondamentalement lui-même : direct, curieux, aimant le sexe et les amants dans les bras desquels il s’est perdu, l’homme de sa vie qu’il ne reverra plus, mais qui le restera jusqu’à son dernier souffle. Il ne renie rien de ses convictions, ni de ses sentiments. Il s’ouvre sans honte sur son goût pour le sexe, cette partie intégrante de sa passion pour les hommes (si chère à Artie), et son besoin de continuer à se masturber pour se sentir vivant. Il se confie sur sa terreur de ne plus rien ressentir, à mesure que le sida gagne du terrain et menace l’intégrité corporelle et sensorielle, y compris dans un geste aussi mécanique. Geoff Edholm, avec ses faux airs d’Hervé Guibert, incarne son personnage avec un naturel déconcertant, au point que l’acteur s’efface.

Donner un sens à sa vie : l’émergence d’un activiste

A chaque moment de partage apaisé ou plus emporté voire polémique, Robert contribue au changement d’état et au passage de David de son statut de jeune homme naïf juste doté d’un bon coeur et désireux de consacrer un peu de son temps à aider, sans objectif clair, à celui d’acteur et même d’activiste. En trois mois et quelques rencontres, il le fait grandir.

« I’ve gotten too close to him »

dAVID

Comment la rencontre avec Robert pousse-t-elle David dans le retranchement de ses sentiments et l’interroge-t-elle sur lui-même, ses choix, ses idées et ses principes personnels? Il a beau ne rapporter que des ressentis et des points de vue et la vision individualiste de l’activisme défendue par Robert comme son besoin de manifester pour être reconnu, David rentre dans un combat qui n’est pourtant pas le sien. Il l’investit peu à peu, à son corps défendant, avec humilité et remet en question ses certitudes et ses préjugés. Il en devient le corps, il en transpose les mots et en transmet la quintessence. Il conçoit un environnement psychique très intéressant et déstabilisant, au gré du rétrécissement de l’espace vital entre lui et Robert et de leur rapprochement physique et émotionnel.

Les temps de latence fondamentaux de David après chaque rencontre avec Robert mettent en exergue la pauvreté de sa vie. En un sens son manque de conscience sociale et sa quasi absence de réflexion sur ce qu’il cherche, qui il est, qui il aime et ce que cela révèle de lui. Ces moments si banals sondent les liens qu’il entretient avec ses proches, notamment son amant, Steeve. Mais surtout, ils l’obligent à se questionner sur lui-même en tant qu’homme qui ne se définit pas par rapport à ses préférences sexuelles, ni par une éthique personnelle ou politique très élaborée, ou encore par une adhésion assumée à un mouvement communautaire.

 « Am I the love of Steve’s life? »

David

Contrairement à Robert, David ne ressentait pas le besoin de montrer son homosexualité aux autres, ni de défendre les droits de la communauté pour définir son identité. Mais était-ce par choix ? Ou simplement parce qu’il ne s’était jamais demandé quand il avait découvert qu’il était gay et ce que ça impliquait pour lui? Steeve était-il son grand amour et est-il celui de Steeve, comme Edward était celui de Robert malgré l’abandon? Buddies touche à l’essentiel : la raison d’être.

Difficile de ne pas imaginer le désir profond d’Artie dans ce film. Etait-il plus important d’apprendre comment être gay ou de savoir comment donner un sens à sa vie? Pourquoi le faire? Pourquoi est-il si déterminant de parler et de s’ouvrir aux autres pour se confronter à cette altérité y compris celle des autres homosexuels et mieux comprendre ce qu’on est et ce qu’on représente? Le film rentre dans sa logique de double lecture, celle inhérente au combat contre le sida, et celle intrinsèque à l’homosexualité.

An Early Frost : l’autre premier film sur le sida

Mais pourquoi Buddies est-il si différent des autres films traitant du sida ? L’autre film considéré comme le premier sur le thème est Un printemps de glace (An Early Frost), réalisé par John Erman. Il s’agit d’un drame salutaire et intéressant, à la fois pudique, grave et sans trop de caricature, alors que pour beaucoup en dehors de la communauté gay, la libération sexuelle et les années disco rimaient avec « follitude » et les pédés étaient forcément des mecs efféminés voire des hommes s’habillant en femmes.

Son objectif était d’envoyer un message positif à une période sombre, sans espoir de guérison, ni de recherche de traitement. Le taux de mortalité était toujours de 100% avec une espérance de vie de deux ans, non seulement parce qu’on ne connaissait pas encore bien le virus, mais aussi parce qu’il n’y avait quasiment pas de fonds publics dédiés à la recherche et les rares chercheurs redoublaient de ténacité pour compenser l’absence de moyens.

Réussi dans l’ensemble surtout quand on se rapporte au contexte de l’époque, An Early frost n’en est pas moins formaté sur le fond et avec la dose de théâtralité nécessaire pour amplifier l’émotion. Il évoquait le sida sans jamais vraiment le montrer, si ce n’est à travers l’hypothétique projection dans la mort du héros et le rejet d’une partie des siens. Mais le message final positif sur l’espérance d’une survie jusqu’à ce qu’un traitement existe l’emporte. Il racontait l’histoire d’une famille désemparée, voire bouleversée par l’annonce de Michael, le fils chéri typiquement Wasp, avocat talentueux, qui vient d’apprendre qu’il souffre du sida à la suite d’une fièvre et d’une pneumonie.

Chaque membre est mu par sa perception de la maladie à travers ses préjugés et sa propre incompréhension face à la double nouvelle de la maladie et de l’annonce de l’homosexualité. Michael n’échappe pas à l’incompréhension et c’est probablement ce qui rend le film encore plus utile. Lui-même est incrédule et refuse un temps l’évidence. Il a beau être gay, il a toujours été fidèle, est heureux dans un couple stable et n’imagine pas que son compagnon ne l’ait pas été ; fût-ce un soir. Car à l’époque, le SIDA était bien surnommé le « cancer gay », une « maladie de pédés », puis une maladie de drogués, de prostitués, de haïtiens ou d’Africains (certes hétérosexuels, mais qui se soucierait d’eux?), avant que des hémophiles, des victimes du sang contaminé et des enfants ne changent le regard.

Il y a bien le silence, le déni, essentiellement du au fait que la nouvelle du sida s’accompagne encore forcément de la révélation de l’homosexualité. Quel parent ne pense pas bien connaître son enfant et ne vit pas comme un choc la découverte de son intimité? Les parents de Michael ne se posaient pas de question et Michael, malgré son homosexualité, pensait être dans une relation durable et fidèle, sans imaginer qu’une aventure d’un soir de son compagnon, le condamnait à mort. On sent la peur, craint le rejet, mais la bienveillance l’emporte pour que les bons sentiments fassent changer les mentalités.

Au contraire, Buddies est un film qui plonge dans l’intériorité de ses acteurs. Il présente des points de vue, ce qui est rare à l’époque et dévoile, sans jamais la montrer, une certaine communauté homosexuelle et la fine connaissance qu’en a Arthur Bressan. S’agit-il simplement de donner enfin un visage au sida, alors que jusqu’alors seules des listes de noms, peu importantes pour les gouvernements, sanctionnent la réalité du virus et que Rock Hudson, première vedette mondialement connue, n’a pas encore reconnu en souffrir pour attirer suffisamment l’attention? Comme An Early Frost, il a pour vocation de combattre les idées fausses, les incertitudes et la confusion de la majorité des gens à propos du sida. Il prend le parti de faire réfléchir le public et d’humaniser ses victimes, qui pour certains encore avaient cherché et mérité de mourir. Néanmoins, il le fait sans avoir besoin de raconter une histoire.

Une histoire d’amour

On éprouve la tendresse d’Artie pour les amis mourants ou déjà perdus, l’angoisse du silence et le drame de l’inaction. On comprend sans avoir besoin de s’informer à son sujet, qu’il a observé la communauté gay américaine, tout en faisant partie d’elle, et a saisi à la fois un moment historique pour le sida et une certaine banalité de la vie d’homosexuels dans les années 80 avec les problèmes de la vie, de l’amour et de la mort que ressentaient ses membres. Buddies sera son dernier film et probablement le plus important. Du moins le plus décisif pour lui comme il le confiera à son ami l’historien du cinéma Vito Russo dans sa dernière interview.

Même s’il condense une série d’échanges, il n’est pas nécessaire de parler pour comprendre cette réalité. C’est même dans les silences, dans l’obscurité de la nuit de cette chambre d’hôpital aseptisée, dans une scène bouleversante de masturbation, que l’oeuvre prend tout son relief. Il s’agit bien sûr d’un film engagé, peut-être même politique au meilleur sens du terme, mais c’est surtout une histoire d’amour. Celle entre Robert et Edward. Celle imaginaire entre Robert et David. Celle qui transforme le sida non pas en symptômes et en maladie mais en cause. Et c’est bien l’amour qui l’emporte face à l’angoisse de la mort de l’optimisme, comme le voulait Bressan…

«Le sida n’est pas un problème gay»

Bien que le réalisateur et les acteurs soient gays, l’ambition du propos de Buddies est de ne pas réduire le sida à une maladie d’homosexuels. Certes, Bressan était un précurseur dans son cinéma, alors que très peu de films encore étaient produits par et pour les gays au début des années 80, mais il a aussi conscience que la caractéristique du sida tient aussi à sa stigmatisation et il s’efforce de le démontrer.

On ne meurt pas du sida parce qu’on est gay. Un message aussi simple n’a rien d’évident en 1985. On a aimé comme n’importe qui, on a eu des rapports sexuels, avec un ou plusieurs partenaires, plus ou moins de liberté (qui peut en juger?), et on meurt comme tout le monde. La séquence finale prend tout son sens et achève le processus d’activisme. Si l’espoir déçu de Bressan après les premières projections, était de convaincre le plus grand public et si cet échec commercial a fait disparaître trop longtemps ce film, il n’en reste pas moins un précieux repère dans l’histoire du cinéma (et pas seulement quand on le limite à la thématique du sida ou à la cible LGTBQ). Un tournant, même.

Du banal au sublime

Arthur Bressan s’avère toujours intrépide comme réalisateur-scénariste. Buddies qui sera son dernier film mais en rien un film testamentaire, a bien plus d’un mérite. Il confirme combien il était artistiquement, socialement, esthétiquement très sincère et impliqué dans son travail. Qu’importent les défauts, la mauvaise qualité sonore ou visuelle. Il livre une oeuvre intime à la fois si triste et terriblement optimiste. On ressent quelque chose d’ultime. La relation entre Robert et David parvient en toute simplicité à capturer le coeur du spectateur et à réinstaurer le sentiment d’urgence, en mêlant engagement politique et une certaine vision du romantisme. Elle est inspirante, en ce sens qu’elle a une résonnance bien au-delà de l’époque et de la communauté gay identifiée.

On reconnaît la compétence technique, voire le talent pour tirer si bien parti de ses acteurs, en raison de l’économie de moyens et de la modestie pour savoir s’en contenter et être heureux du travail accompli. Mais sa grande réussite est de magnifier quelque chose d’infiniment banal. Trouver dans la réalité ordinaire d’un mourant du sida une part de rêve au point de restaurer l’espérance… S’accomplir en tant qu’acteur au lieu de rester observateur, s’approprier et détourner les objets, les photos et images de souvenirs et les mots du réel, le corps décharné d’un inconnu devenu un familier, pour les propulser dans une autre sphère à la fois intime et presque universelle.

Bien qu’en général, je n’aime guère les long-métrages narratifs, et les films sans scénario, ni action, et qui tournent autour d’échanges, celui-ci a été une claque pour moi. Une heure 20 pour appréhender l’urgence et la vérité du sida dans sa crudité, sans complaisance ni état d’âme. Sûrement le moins connu mais à mon sens l’un des plus touchants. D’ailleurs, très peu de temps après Buddies et la réalisation du rêve de Robert par David, Reagan prononça enfin le mot AIDS et reconnut la nécessité d’agir et de reconnaître cette future épidémie, toujours présente 40 ans après son apparition.

D’autres films ou séries sur le sida à ne pas manquer?

La série suédoise Snö : n’essuie jamais les larmes sans gant est très réussie et complète le livre éponyme dont elle est l’adaptation.

Holding The man (disponible sur Netflix), film australien d’après le livre de Thimoty Conigrave qui raconte l’histoire vraie de Tim et John.

A longdate compagnon : un compagnon de longue date, un film touchant autour d’un groupe d’amis gays américains décimés par le sida.

And the band played on Les soldats de l’espérance, film chorale produit par HBO pour se remémorer les débuts de l’épidémie de VIH et le combat d’une équipe de chercheurs pour identifier ce virus et comprendre comment on se contamine.

The Normal Heart : un coeur normal, téléfilm de qualité produit par HBO et inspiré de la pièce de Larry Kramer, replonge dans le combat d’un groupe d’amis gays activistes pour attirer l’attention des pouvoirs publics américains sur l’urgence liée au sida.

Post scriptum

En 1991 quand j’avais 15 ans et rêvais naïvement de devenir journaliste pour « bien informer », j’écrivais mon premier article comme correspondante officielle dans la presse locale L’Indépendant et Midi Libre. On m’avait laissé le choix du sujet et de son traitement et il s’était imposé comme une évidence. J’évoquais une visite au lycée de volontaires d’une association pour les malades du sida et les séropositifs qui m’avait touchée. J’espérais que mes mots rendraient le sida concernant (surtout pour ceux, mes parents les premiers, qui n’estimaient pas être concernés). Forcément ils se disaient qu’ils n’étaient pas homosexuels et ne faisaient pas partie des « marginaux » puisque c’est ainsi qu’on résumait parfois certaines cibles de victimes qui étaient aussi supposés avoir cherché ce qui leur arrivait et donc implicitement le mériter. Je croyais avoir une vocation pour le journalisme que j’idéalisais et j’imaginais que mes mots devaient servir de détonateur.

Je me souviendrais toujours de cette histoire qui avait été racontée pour exprimer l’urgence de l’époque et la stigmatisation que le sida portait encore en lui. Une histoire simple, un peu comme celle du personnage du film Buddies. L’un des volontaires avait accompagné un malade d’une vingtaine d’années, rejeté par sa famille et tous ses amis, en apprenant simultanément qu’il était homosexuel et atteint du sida. Les thérapies arrivaient à peine, son pronostic était engagé et son état s’était dégradé rapidement après avoir ressenti cet isolement. Je ne comprenais pas comment c’était possible et je trouvais admirable que des étrangers se confrontent ainsi à la souffrance des autres pour les soulager au moins moralement.

J’aurais voulu devenir volontaire, et j’ai demandé comment je pouvais être utile, mais je ne pouvais pas à cause de mon âge. Mes parents s’y opposaient, non pas par intolérance, mais parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi je semblais prendre autant à coeur une cause qui ne me concernait pas, selon eux et surtout ils me pensaient trop sensible et fragile pour savoir prendre la distance salutaire pour vraiment aider. Cela m’a peinée, mais beaucoup moins que l’accueil fait à mon article.

Cette histoire a été une prise de conscience pour moi que tout le monde pouvait être concerné par le sida, même si cela semblait impossible pour la majorité des auditeurs ; des ados à peine à leurs premiers émois qui se croyaient plus forts que tout le monde et n’avaient que faire des discours de prévention perçus comme des leçons de morale. J’apprendrais l’année suivante par un autre volontaire que ce jeune était mort quelques mois après, refusant de se battre malgré l’espoir que soulevaient les prochaines trithérapies. L’association avait essayé de l’accompagner de son mieux entre des visites à l’hôpital et l’organisation de son quotidien dans un appartement quand il devait revenir chez lui entre deux hospitalisations. Chez lui, un terme impropre. Il s’agissait d’un appartement d’urgence. L’une des missions de l’association était l’accueil et l’hébergement des séropositifs qui se retrouvaient sans toit, parfois sans travail à l’annonce de leur état.

Buddies agit comme une résonnance. Surtout le moment de prise de conscience de David qui accepte de raconter Robert à une journaliste, laquelle affiche sa photo quand il était libre et heureux, sans le sida. Le sida devenait incarné, il prenait un visage humain et chacun pouvait s’y retrouver.

A l’époque, sur mon premier article, c’est ma photo qui fut affichée. Il n’y avait pas encore de portable avec appareil photo pour prendre une photo de la réunion. Un article sans photo, ça attire toujours moins, m’avait dit le rédacteur en chef. Il avait même ajouté que certains lecteurs lisaient souvent le titre et l’entête et la description de la photo. J’étais étonnée, voire gênée par ce constat. C’est donc une photo de moi qui devait illustrer ce sujet : « Le sida, un combat pour la vie, l’affaire de tous ».

Je ne tardais pas à constater à quel point le rédacteur en chef connaissait bien son audience. Mes parents étaient assez connus dans ma ville et en me voyant avec eux, de nombreuses personnes nous arrêtaient pour me féliciter. Je ne croyais qu’ils trouvaient mon article de qualité et avaient été touchés et me le faisaient savoir. Mais non. Ils étaient juste contents de pouvoir me dire qu’ils avaient vu ma photo en grand dans le journal et croyaient que j’avais fait quelque chose qui méritait les honneurs de la presse.

Qu’importe le sujet, la plupart n’avaient pas lu l’article, donc ne savaient même pas de quoi je parlais, ni si j’écrivais bien. Je l’ai compris en leur demandant ce que l’article leur avaient inspiré et en constatant qu’ils étaient évasifs ou ne savaient même pas de quoi je parlais quand je les interpelais sur tel point de vue ou telle remarque. Ils m’avaient juste reconnue et me le faisaient savoir ou le transmettaient à mes parents comme s’il y avait une quelconque raison de me féliciter pour ça. Je me suis interrogée sur l’intérêt de mes mots. J’ai été assez lâche, car finalement, malgré d’autres articles pendant trois ans, j’ai eu l’impression que ce que ce que je transmettais n’était pas utile et perdait de son sens.

En regardant Buddies, je me souviens de mon renoncement et mon sentiment d’échec. Je ne suis jamais devenue journaliste. Mais j’ai gardé cette impression d’écrire dans le vide

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