Le Tassili n’Ajjer est vraiment un coin somptueux, l’un des plus beaux endroits de notre planète à mon avis, et dont je reste toujours étonné qu’il ne soit pas plus médiatisé : peut-être parce que les Américains ne s’y rendent pas ? Un tassili, selon un terme géographique arabe, désigne des reliefs de grès caractéristiques que l’on peut rencontrer dans plusieurs secteurs du Sahara (Algérie, Libye, Tchad, Mauritanie…).
Ces reliefs, sculptés par l’érosion éolienne, ne sont la plupart du temps pas très élevés (quelques dizaines de mètres tout au plus) mais sont en général constitués de formations rocheuses complexes et escarpées, souvent très spectaculaires et toujours magnifiques. Parfois les dunes viennent se mêler à ces formations, rendant les vues encore plus somptueuses. Très souvent aussi, on trouve dans ces tassilis des restes de gravures ou de fresques préhistoriques, remontant à une époque où le Sahara était beaucoup moins sec et où l’on pouvait y rencontrer la faune de la savane africaine.
Parmi les tassilis du Sahara, le Tassili n’Ajjer est sans conteste l’un des plus exceptionnels, tant par son étendue, la complexité et la diversité des formations rocheuses (de véritables labyrinthes naturels dont seuls les autochtones connaissent les détours !), et également par la quantité et la qualité des fresques qu’on peut y trouver, sans égales nulle part ailleurs au Sahara. À l’attrait de cette région on peut ajouter son relatif isolement, le relief ainsi que la proximité de la frontière libyenne rendant impossibles les visites en 4 × 4, préservant les sites du tourisme de masse.
J’ai effectué dans le Tassili un voyage de 15 jours par l’agence Terres d’Aventure, en randonnée avec assistance chamelière (transport des bagages et du matériel par caravane), au sein d’un groupe d’une dizaine de personnes et assisté d’un guide français, chose devenue rarissime ces dernières années. Presque aucun trajet en véhicule en dehors des quelques kilomètres séparant Djanet de son aéroport : nous sommes partis à pied des faubourgs de la ville et avons terminé la randonnée à quelques kilomètres de là, une situation inhabituelle en dehors de quelques treks au Népal.
J’avais apporté deux appareils photos sur ce voyage (on n’est jamais assez prudent avec le sable !) : mon vieil appareil argentique avec lequel j’avais pris presque toutes les photos des précédents voyages ; et un petit appareil numérique. Du coup j’ai pris beaucoup de photos en double, mais il apparaît que les photos numériques sont bien plus belles que les diapositives, lesquelles sont de couleurs décevantes, notamment par rapport aux voyages précédents : le tirage des diapos par la Fnac semble s’être bien dégradé. Du coup et pour les voyages suivants j’ai abandonné la diapo et acheté un reflex numérique.
J’ai eu un autre petit déboire concernant ce voyage : arrivé à Djanet à 3h du matin par vol charter, j’ai découvert à l’aéroport que les GPS étaient interdits en Algérie. Et comme je ne suis pas doué pour la dissimulation, outre le fait que les officiels algériens, déjà fort peu aimables par nature, le sont encore moins s’il est possible après une nuit blanche, j’ai dû laisser mon récepteur en consigne (je l’ai récupéré au retour). Du coup, il m’a été très difficile de retrouver l’itinéraire exact de ce trek.
Certes, le guide a bien voulu me communiquer ses propres relevés GPS des bivouacs et de certains pique-niques. Mais pour le reste, il m’a fallu aller à la devinette. Une habitude que j’ai prise depuis quelques années est de placer dans Google Earth (via la société Panoramio) une sélection de mes photos de voyage (ce qui me permet au passage de récupérer quelques visiteurs sur mon site). Pour placer les photos de ce voyage, j’ai dû tâtonner passablement (la région n’était alors scannée qu’en basse résolution), mais j’ai eu le plaisir d’être parmi les premiers à placer des photos du Tassili dans Google Earth.
Par la suite, non seulement j’ai été imité, mais Google Earth est venu scanner avec précision des zones correspondant précisément à celles où j’avais placé des photos ! (j’ai d’ailleurs observé le même phénomène pour le Tchad). Ce qui m’a permis a posteriori de rajuster les positions de quelques photos.
Nous avons débuté le voyage (après une grasse matinée rendue nécessaire par nos conditions de voyage) par un petit tour dans le centre-ville de Djanet. Djanet, Fort-Charlet du temps de la colonisation (جانيت) est une petite oasis située au pied du plateau des Ajjer, dans un cadre assez remarquable. Elle est dominée par un fort colonial, auquel il est malheureusement interdit de monter, sous peine de se faire vertement rappeler à l’ordre par les militaires (je parle d’expérience). Néanmoins la vue sur la ville est intéressante depuis la mi-pente. La ville en elle-même est néanmoins un peu décevante, trop transformée qu’elle est en souk pour touristes.
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On remarquera que les rares femmes circulant en ville sont voilées de la tête aux pieds, comme dans le reste de l’Algérie ou n’importe quel pays musulman. Je ne sais pas si ce que l’on raconte sur le supposé matriarcat de la société touarègue relève d’une époque (coloniale) révolue ou bien n’est que pure légende.
Nous sommes ensuite retournés au camp d’où nous allions partir à pied, ainsi que je l’ai expliqué dans l’introduction. Les premiers kilomètres de marche nous offrent une belle vue sur les environs de Djanet et ont offert à notre guide l’occasion de nous expliquer la façon dont notre trek serait agencé. Djanet est située dans la vallée d’un oued (l’oued Tarrent-tin-Essa) dont le cours, nord-sud, est parallèle à la limite d’un vaste plateau, le plateau des Ajjers. C’est lui qu’on aperçoit à l’horizon sur la photo.
L’accès à ce plateau est difficile car il se termine systématiquement par des falaises escarpées. Seules quelques rares points de passage, appelés akba, permettent l’ascension, tant aux hommes qu’aux chameaux (mais pas aux véhicules). Notre trek s’organisera en deux parties d’égale durée. Nous commencerons par randonner en plaine, au nord-ouest de Djanet, dans un secteur où le sable se mêle le plus souvent aux rochers ; ce sable provient de l’erg d’Admer tout proche. Puis nous reviendrons vers l’oued Tarrent-tin-Essa que nous couperons au nord de la ville. Ensuite nous monterons sur le plateau par l’akba d’Assakao. Nous passerons plusieurs jours sur ce plateau, très minéral mais aussi très riche en peintures rupestres, avant de redescendre au-dessus de Djanet par l’akba d’Issélihouhène.
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Notre premier camp s’appelle Tisras, il est situé dans un environnement de sable et de grès qui nous a bien plu, même si nous verrons des reliefs bien plus spectaculaires par la suite. C’est à Tisras que nous ont rejoints les chameaux chargés ensuite de transporter notre équipement.
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D’autres photos, prises le lendemain matin, de ce type de paysage que j’affectionne particulièrement :
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Nous changeons d’environnement l’après-midi : nous approchons, pour la seule fois de ce trek, des dunes de l’erg d’Admer. C’est un paysage qui évoque un peu le voyage que j’ai effectué en 2004 au Niger en bordure du Ténéré. Ici l’erg proprement dit est séparé de la zone rocheuse où nous nous trouvons, par une plaine de plusieurs kilomètres de large ; c’est probablement à cause des crues des oueds qui balayent le sable dans cet espace. Nous avons néanmoins trouvé une grande dune (la dune d’Inélokou) dont nous avons fait l’ascension à proximité de pitons rocheux, dans un environnement assez remarquable.
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Nous avons finalement bivouaqué dans un oued d’où nous avons pu photographier ces magnifiques couleurs crépusculaires.
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Le lendemain le vent soufflait pas mal. J’ai préféré, au moins en début de journée, laisser mes appareils dans mon sac et prendre des photos au jetable : je n’avais pas envie qu’ils tombent en panne dès le début du voyage ! Nous avons au cours de cette journée progressé dans un réseau complexe de vallées creusées dans le massif de grès, vallées dans lequel seul notre guide touareg était en mesure de se repérer ! Les nomades ont vraiment un sixième sens pour cela.
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Parfois les vallées sont séparées par un petit col, il faut donc grimper un peu. Nous avons au cours de cette demi-journée rencontré nos premières peintures rupestres, mais nous en verrons d’autres bien plus belles par la suite.
Après une assez longue marche dans des vallées où le sable mou rend la progression un peu difficile, nous voici à Télou Tédjert : grès et dunes de sable mêlés ! Le Sahara que j’aime.
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Mais nous quittons définitivement ces paysages le lendemain en fin de matinée. La suite du trek sera plus rocheuse.
Ascension d’un petit col entre deux vallées ; un endroit que j’ai réussi à retrouver dans Google Earth (malgré l’absence de relevé GPS) .
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À Iltéloueten, un peu plus loin, nous avons rencontré la première peinture rupestre d’importance de cette randonnée. Les peintures rupestres du Tassili datent de plusieurs périodes, et on a ici affaire à la période la plus ancienne (pouvant remonter à 8000 ans) : les « têtes rondes ». Les têtes rondes sont parmi les peintures les plus raffinées, les figures ayant le plus souvent des traits européanoïdes, même si l’on rencontre parfois aussi des traits négroïdes.
Les périodes ultérieures sont les bovidiens (moins raffinées), les équidés (ultérieures à 800 av. J-C), puis les camélidés à partir de 200 av. J-C, date de l’introduction du chameau (dromadaire) dans la région. Enfin, des camélidés récents, souvent très grossiers. Les peintures des dernières périodes sont parfois accompagnés de Tifinar, écriture berbère encore employée de nos jours pas les Touareg (mais on ne sait pas lire les inscriptions des peintures, à l’exception des plus récentes).
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