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Traditions celtes : le chêne, arbre sacré

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« Les Celtes rendent un culte à Zeus, mais l’image de Zeus, chez les Celtes, est un grand chêne ». Maxime de Tyr, IIème siècle ap. J.-C. Chez les peuples indo-européens, la sacralité des arbres occupe une place privilégiée au cœur des représentations symboliques…

Chez les peuples indo-européens, la sacralité des arbres occupe une place privilégiée au cœur des représentations symboliques.

D’une manière générale, pour les sociétés agro-pastorales des régions tempérées, l’arbre et la forêt servaient de refuge, offraient l’alimentation pour les hommes et le bétail, ainsi que du bois de chauffage et de construction. Probablement très tôt, dès le Néolithique et l’Âge du Bronze, les peuples d’Europe conférèrent une valeur particulière à certains individus particulièrement grands, solides ou âgés (comme pour l’Irminsul saxon, attesté pour l’époque de Charlemagne). De là, l’arbre devint souvent une image du centre du monde, de l’axe même du monde reliant les trois niveaux inférieur, médian et supérieur (l’arbre cosmique attesté dans plusieurs mythologies, comme l’Yggdrasil scandinave), puisqu’il plonge ses racines profondément dans la Terre, élance ses branches vers le ciel, comme pour le soutenir ; à une échelle plus petite, l’arbre était souvent associé à la symbolique du centre des territoires ethniques, le mediolanum des Celtes, littéralement « le milieu de la plaine », devenu le nom de nombreuses cités du monde celte (Melun, Meylan, Mâlains, Milan, etc.).
Chez les Celtes anciens, c’est, parmi toutes les essences d’arbres, le chêne qui revêtait semble-t-il une importance particulière : les textes légendaires irlandais du Moyen-âge évoquent encore la tradition selon laquelle l’intronisation royale se faisait toujours auprès d’un arbre sacré, le plus souvent un chêne, dont la longévité et la robustesse était gage de réussite (M. J. Green).

Outre celui de Maxime de Tyr, le témoignage le plus explicite qui nous soit parvenu de la très ancienne sacralité du chêne est un célèbre texte de Pline l’Ancien (un érudit romain de la seconde moitié du Ier siècle ap. J.-C.), dans lequel il décrit la religion des Gaulois et s’intéresse en particulier aux pratiques des druides. Voici ce qu’écrit Pline

[1] :

« Les druides (c’est ainsi qu’ils appellent leurs mages) n’ont rien de plus sacré que le gui et l’arbre dans lequel il croît, à condition que celui-ci soit un rouvre [2]. Or, c’est déjà pour lui-même qu’ils choisissent le rouvre pour leurs bois sacrés et ils n’accomplissent aucun acte sacré sans son feuillage, de telle sorte qu’on pourrait considérer que les druides sont appelés ainsi d’après la traduction grecque [3]. C’est un fait qu’ils pensent que tout ce qui pousse sur ces chênes est d’origine céleste et que c’est le signe que l’arbre a été choisi par le dieu lui-même. Il est tout à fait rare de trouver le gui dans ces conditions (…) » [suit la description de la cueillette et des propriétés du gui].

Le chêne, manifestation de la force

Cette description très dense montre la valeur particulière du chêne : il est l’arbre qui se rattache plus que les autres au monde divin. Pline, comme d’autres auteurs anciens, fait de « druide » un terme dérivé du grec drus, le chêne, ce qui serait la manifestation de l’importance de l’arbre dans toutes les cérémonies présidées par les druides. Si une racine grecque est exclue, beaucoup de savants se sont accordés sur l’idée d’un rapport entre le chêne et le nom du druide, en supposant que dru- correspondait à un nom celte du chêne, d(e)rva, dont on retrouve la trace dans le nom de Drevant, localité du Cher où se trouvait un important sanctuaire d’époque gallo-romaine. Le suffixe –uide de « druide » doit très probablement être rapproché d’une racine indo-européenne *-weid, « voir », « savoir » (cf. anglais wise, « guider », « sage » ; latin uideo, « voir ») : les druides sont les dépositaires d’un savoir, d’une sagesse. On a alors parfois conclu que les druides étaient ceux qui étaient « savant par le chêne ». Mais dru- a aussi été rapproché d’un terme indo-européen, *de/orw et *drew, signifiant l’idée de force, de résistance, que l’on retrouve dans notre français « dru » (« épais, serré, touffu ») et dans l’allemand « treu » (« fidèle ») : on a alors compris « druide » comme « les très savants ».
En fait, les deux explications ne s’excluent pas (E. Benveniste, J.-L. Brunaux)

: la racine européenne qui a d’abord servi à désigner la force, la puissance, la résistance, a dans plusieurs langues européennes, dans les régions où le chêne était omniprésent, servi à désigner cet arbre qui est apparu comme la meilleure expression matérielle de ces qualités. Dans le même temps, la racine a donné lieu à un lexique désignant certaines qualités telles que la force ou la fidélité ; en gaulois, derva pour le chêne (on retrouve cette racine dans le nom de la forêt du Der, en Champagne), drutos pour « résistant ». Les Gaulois pouvaient parfaitement assimiler les deux termes qui renvoyaient l’un et l’autre à une même sphère de pensée, la force abstraite et le chêne comme manifestation vivante de la force. Les druides seraient donc « ceux qui ont une connaissance forte à l’image du chêne ». En tout cas, sagesse, force vivante et chêne s’associaient étroitement dans le terme qui servait à désigner le principal prêtre gaulois à époque historique.

La symbolique du feuillage

Le texte de Pline montre aussi l’omniprésence du feuillage de chêne dans les rites gaulois. Elle trouve une attestation remarquable dans le décor de l’autel des Trois Gaules (relevé ci-contre), édifice bâti au Confluent, sur le site de Lyon, vers 15-12 av. J.-C., alors que l’empereur Auguste se chargeait d’organiser l’administration et la défense des provinces gauloises, conquises par son père adoptif César une génération plus tôt. L’autel, construit à l’instigation des aristocrates de toute la Gaule, ainsi que le culte annuel institué, devaient manifester la fidélité des Gaulois à Rome et l’attachement au nouveau régime impérial d’Auguste. Directement inspiré des autels de type romain, celui du Confluent a pourtant un décor de guirlandes de feuilles de chêne, et non de guirlandes ou de rinceaux de lierre ou d’acanthe comme sur les autels romains dont il a pourtant repris la forme (E. Rosso)

. Il ne fait donc aucun doute que depuis une époque ancienne, couronnes et guirlandes de chêne devaient orner les sanctuaires gaulois, notamment lors des cérémonies.

Le dieu-chêne

La sacralité du chêne a laissé, à côté de derva, d’autres traces dans la langue gauloise et dans la toponymie française, attestant ainsi de nombreux lieux où l’on vénérait la puissance d’un dieu-chêne, que le Grec Maxime de Tyr identifia à Zeus. Il existait, dans la langue gauloise, de nombreux termes pour désigner le chêne. Tout d’abord, cassano, racine de notre « chêne » (ancien français « chesne »), dont l’origine est peut-être pré-celtique, mais qui fut très tôt annexé au gaulois (J. Lacroix). L’appartenance du terme à la sphère sacrée et symbolique explique qu’il se soit conservé à travers la latinisation, le latin quercus n’ayant jamais pénétré la Gaule. De très nombreux toponymes français sont formés sur cassano, dont certains, remontant à l’époque antique, conservent le souvenir d’un lieu où des chênes, non seulement marquaient le paysage, mais encore avaient une valeur religieuse. C’est par exemple le cas de Chassenon, l’antique Cassiomagus, dans les Charentes. Littéralement, le nom ancien signifie « le marché aux chênes » et comme souvent, cette place de commerce fut associée à un centre cultuel. Aux marges des territoires des Pictons, des Santons et des Lémovices, le marché comme le sanctuaire devaient être fréquentés par ces différents peuples. Il reste aujourd’hui de ce sanctuaire d’importants vestiges d’époque gallo-romaine (ex-voto, temples, thermes et théâtre), qui montrent la permanence de la sacralité du lieu. A une cinquantaine de kilomètres de là, à Angoulême, est d’ailleurs attestée une inscription en latin avec une dédicace au dieu Rouvre

[4], témoin explicite du culte rendu à un dieu-chêne. Ce culte se tenait vraisemblablement dans un nemeton, ces enclos ou bosquets sacrés de la tradition gauloise, équivalent du fidnemed des Irlandais.

 

D’autres vocables gaulois désignaient le chêne : ercu, qui a donné Ercuis dans l’Oise, Ercé-en-Lamée et Ercé-près-Liffré en Bretagne, où une légende évoquait encore, au XIXème siècle, un chêne magique vénéré près d’une fontaine. Les massifs hercyniens, ces montagnes de faible ou moyenne altitude où le chêne abonde, comme les Ardennes, les Vosges ou le Massif Central, doivent également leur nom au terme ercu. Ce dernier remonte à un indo-européen *perquos, qui se rapportait à l’idée de frapper : le chêne est l’arbre qui par sa taille est souvent frappé par la foudre, signe manifeste d’une relation privilégiée avec le divin. La divinisation du chêne trouve un écho particulier dans les Pyrénées. Cette montagne, réputée pour la violence de ses orages, a livré des inscriptions d’époque gallo-romaine qui mentionnent un dieu Erge ou Erce et, parfois, portent un svastika, symbole solaire, comme la rouelle, fréquemment associé au Jupiter-Taranis. On comprend alors l’affirmation de Maxime de Tyr : les Celtes vénéraient Zeus (Taranis), qui souvent prenait la forme d’un chêne (l’arbre-puissance souvent frappé par la foudre du dieu céleste). Le hêtre (ou fayard dans de nombreuses langues régionales, latin fagus, gaulois bacus) a d’ailleurs pu faire l’objet d’une sacralisation similaire (B. Sergent) : on vénérait un deus Fagus (dieu fayard) en Comminges [5], un deus Bacus à Chalon-sur-Saône [6] ; proche du chêne, le hêtre a pu lui aussi être assimilé au dieu souverain, garant de force et de longévité.
En somme, l’importance du chêne dans la langue et le symbolisme des Gaulois explique que le latin quercus n’ait pas pénétré en Gaule [7] et se marquait par l’omniprésence de lieux sacrés dédiés au chêne

Une sacralisation dans la longue durée

Cette tradition est-elle morte avec l’effacement progressif des langues celtes sur le continent ? Il suffit pour se convaincre du contraire de se reporter au récit de la vie de Saint-Louis (1226-1270) par Jean de Joinville, dans laquelle rien n’est laissé au hasard, chaque détail prenant du sens dans le cadre d’une riche symbolique : le roi rendait la justice sous un grand chêne. Que Louis IX ait réellement tenu des audiences sous cet arbre, ou que cela soit une invention de l’hagiographe, ce passage révèle que le caractère sacré du chêne s’est préservé pendant des siècles après la fin de l’Antiquité, et fait écho aux cérémonies celtiques d’intronisation princières. Enfin, on ne pourra que s’émouvoir de ces chênes auxquels la tradition populaire accordait des vertus surnaturelles, dont certains furent convertis en lieux de cultes chrétiens, comme le chêne-chapelle d’Allouville (Normandie), ou le Gros Chêne et sa chapelle en forêt du Haguenau (Alsace), lointains parents du dieu-chêne de Zeus-Taranis. Les civilisations ont la vie dure.

Le chêne-chapelle d’Allouville-Bellefosse, en Seine-Maritime

Arthur Larmarche.

 

Bibliographie

– E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969.

– M. J. Green, Mythes celtiques, Paris, 1995, p. 98-99.

– V. Kruta, « Arbres sacrés », dans Les Celtes, histoire et dictionnaire, p. 422.

– J.-L. Brunaux, Les druides, des philosophes chez les barbares, Paris, 2006, p. 101-105.

– J. Lacroix, Les noms d’origine gauloise, III, La Gaule des dieux, Editions Errance, Paris, 2007, p. 23-28.

– E. Rosso, Les hommages rendus à Caius et Lucius Caesar dans les provinces gauloises et alpines, dans L’expression du pouvoir au début de l’Empire. Autour de la Maison Carrée à Nîmes, Editions Errance, Paris, 2009, p. 102.

Notes

[1] Histoire Naturelle, Livre XVI, 95.249.
[2] Le rouvre est une espèce de chêne qui pousse dans les forêts sèches, sur des sols calcaires.
[3] En effet, en grec le chêne se dit « drus ». Cette étymologie helléno-centrée n’est cependant pas acceptable.
[4] CIL, XIII, 1112 : deo Robori.
[5] CIL, XIII, 33, 223-225.
[6] CIL, XIII, 2603.
[7] Le chêne a pu aussi avoir une valeur sacrée particulière dans la religion romaine archaïque, comme le suggère le nom de l’une des sept collines de Rome, le Querquetulanus (« Colline-au-chêne »), ancien nom du Caelius.

Les vestiges du Gros Chêne et sa chapelle, en forêt du Haguenau, Bas-Rhin

 

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