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Voici une exposition photos qui révèle la DDR (RDA), l’ancienne Allemagne de l’Est, aux yeux des visiteurs à travers les clichés d’une photographe est-allemande, Gundula Schulze Eldowy, récemment décédée mais dont les oeuvres peuvent continuer de heurter la sensibilité… La DDR en DDélire de Gundula Schulze Eldowy…
Un monde révolu à la galerie de l’Oranienburgerstrasse
La célèbre galerie de l’Oranienburgerstrasse s’était donné la peine d’expliquer à ses visiteurs qu’elle avait choisi d’organiser la rétrospective «Ron Galella, Paparazzo Extraordinaire» en hommage à la 62ème Berlinale qui se tenait au même moment. Pas un mot, en revanche, sur les raisons du choix qui a été fait d’exposer simultanément une centaine de clichés pris tout au long des années 1980, à Berlin et ailleurs en RDA, par la jeune photographe est-allemande Gundula Schulze Eldowy.
« Berlin 1987 » de la série Der große und der kleine Schritt
La photographe, née à Erfurt, en Thuringe, en 1954, n’est pas décédée récemment, et n’a pas non plus fêté d’anniversaire spécial avec un chiffre rond. Le calendrier de ce début d’année 2012 en Allemagne, quant à lui, est remarquablement dépourvu de toute commémoration d’événement historique important, à l’exception notable du tricentenaire de Frédéric II de Prusse le 24 janvier dernier. Alors pourquoi cette expo, et pourquoi maintenant ? (enfin, plus maintenant, mais le mois dernier) (enfin, je me comprends). Bref. Pourquoi ?
Parce que.
Une Madone à l’Enfant à la mode « DDR » vue par Gundula Schulze Eldowy – Photo intitulée « Berlin 1982 » de la série Berlin in einer Hundenacht
J’ai tout de même un début d’explication, probablement à côté de la plaque, mais je n’ai pas peur de risquer ce qui me reste de crédibilité, alors allons-y. Tout d’abord, commémorer en photos le règne de Frédéric le Grand, né au fameux Berliner Stadtschloss en 1712 et mort à Potsdam en 1786 (deux lieux devenus hautement symboliques en RDA par la suite), c’était chaud les marrons. Une fois exclu l’hommage au «vieux Fritz» qui a eu le mauvais goût de vivre un bon siècle trop tôt, il fallait bien trouver autre chose. C’est alors qu’entre en scène Gundula Schulze Eldowy. Peut-être les commissaires d’expositions de la galerie C/O l’ont-ils choisie car, grâce au réalisme déjanté de ses œuvres de jeunesse, ils pourraient créer un effet de contraste maximum entre d’une part l’univers glamour des célébrités plus ou moins consentantes photographiées par le paparazzi américain, et d’autre part la morne réalité du quotidien des gens ordinaires, capturés exactement au même moment à Berlin, Leipzig ou Dresde. Au rez-de-chaussée, les millionnaires, à l’étage, les prolétaires.
Voyage en DDR, un sacré pays, cette République Démocratique Allemande
Les trois séries présentées dans cette rétrospective, «Berlin in einer Hundenacht», «Tamerlan» et «Der große und der kleine Schritt» nous présentent de trois manières différentes cet univers révolu : le quotidien tantôt complètement banal, tantôt grotesque, parfois même confinant à l’absurde, des habitants de l’ex-RDA dans leur environnement habituel. Des avenues souvent vides et lugubres contrastent violemment avec les imposants défilés de chars et de missiles le 1er mai. Des façades d’immeubles mornes et défraîchies, lorsqu’elles ne sont pas complètement en ruines, suscitent chez le spectateur un sentiment de malaise, mais conservent une certaine beauté difficile à cerner. Et surtout, des inconnus de tous âges prennent la pose devant l’objectif, au travail, dans la rue, dans les jardins, dans des situations tout à fait ordinaires (ou pas) de leur vie de tous les jours.
Elsbeth Kördel, surnommée « Tamerlan », est le seul modèle de Gundula Schulze Eldowy dont l’exposition indique le nom et l’histoire personnelle avec force détails. Une salle entière est consacrée à cette étrange documentation photographique de la déchéance physique. Photo intitulée « Berlin 1985 » de la série Tamerlan
Selon la presse, Gundula Schulze Eldowy révèle au public la «RDA véritable», celle que les organes de propagande prenaient soin de cacher au reste du monde. Je serais bien en mal de me prononcer sur une telle affirmation. À l’époque, j’étais un tout petit garçon vivant une enfance heureuse et ensoleillée loin de la misère matérielle et morale du paradis socialiste, et pour moi la RDA n’évoquait rien sinon des personnalités comme Katrin Krabbe, Heike Drechsler et ces autres athlètes de légende à propos desquelles les commentateurs de Stade 2 s’égosillaient le dimanche après-midi. Mais revenons à notre expo. DDR authentique ou pas, tout ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’elle était sacrément barrée, la Deutsche Demokratische Republik qui défilait devant l’objectif de Gundula Schulze Eldowy.
« Dresden 1989 » dans la série Der große und der kleine Schritt
Les curateurs de l’expo insinuent que les citadins qui nous apercevons semblent tout droit sortis du roman Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin. N’ayant pas encore inclus ce sommet de littérature à mon bagage culturel, permettez-moi une référence un peu plus au ras des pâquerettes : ces scènes et ces gens, cette laideur exquise des paysages urbains, cette insondable dureté des regards, ces étranges accoutrements du quotidien, m’évoquent un univers à la Dupontel. J’ai vu récemment le film Louise-Michel et, à la vue de ces belles têtes de vainqueurs expressions hagardes et curieusement détachées, cadre après cadre, je me suis senti lentement projeté dans l’atmosphère absurde de ce genre cinématographique.
BERLIN IN EINER HUNDENACHT («Berlin par une nuit de chien»), 1978-1990.
“Damals glich Berlin einer untergegangenen Stadt, hatte etwas von einer archäologischen Stätte.”
«À cette époque, Berlin évoquait une cité engloutie, avait un air de site archéologique.» –– Gundula Schulze Eldowy
Deux inconnus posent pour Gundula Schulze Eldowy – Photo intitulée « Berlin 1982 » de la série Berlin in einer Hundenacht
Quand elle commence à arpenter les rues de Berlin et à prendre les clichés en noir et blanc qu’elle réunira dans la série Berlin in einer Hundenacht, Gundula Schulze Eldowy (il commence à me taper sur le système ce nom à la con impossible…) est une jeune photographe amatrice, fraîchement diplômée en arts graphiques et qui entame tout juste un deuxième cursus en photographie. À la différence de la plupart des photographes est-allemands de l’époque, elle ne travaille ni pour la presse, ni pour les organes officiels, ni pour des maisons d’édition, mais pour elle-même. Cette absence de contraintes la rend libre de se consacrer aux sujets qui lui tiennent à cœur et de poursuivre ses objectifs artistiques personnels : documenter sans aucun tabou le quotidien des citadins est-allemands, leur cadre de vie, leurs habits, leurs intérieurs, leur regard, leur pauvreté, leurs maladies, etc. Cette liberté de ton constituait déjà une forme de critique sociale à peine voilée, qui aurait pu coûter cher à l’artiste. Juste avant la réunification, elle commençait à avoir des ennuis avec les autorités à cause de sa vision trop audacieuse (ou peut-être trop fidèle) du réel.
« Berlin 1980 »
Les Berlinois de l’Est apprenaient l’art de la Schnauze dès le plus jeune âge
« Berlin 1979 » : Voilà déjà une scène qui nous est bien plus familière
«J’ai connu le “milieu” berlinois dans ses derniers jours. Et c’est ce milieu qui m’a captivée. Ce mélange d’art, de sous-culture, d’ouvriers, de réfugiés et de rêveurs donnait à la ville un côté magique auquel on ne s’attendait pas. La vie échappait à tout contrôle, comme l’eau qui s’écoule trouve son propre chemin. La version officielle des événements historiques relevait, pour moi, de l’abstraction. L’histoire, je la vivais au fil de mes expériences dans les rues de Berlin. […] À Berlin, rien ne dure bien longtemps. Tout disparaît avant l’heure et sans laisser de traces. Comme August et Margarete. Comme Tamerlan, Ulla et Horst, comme cette postière aveugle que j’ai rencontrée sur la Dunckerstrasse pendant sa tournée. L’accent est mis sur la disparition de leur histoire, la disparition de leur souvenir, la disparition de leurs noms. Il y a des noms que je me suis remémoré et que j’ai ainsi sauvés de l’oubli.» –– Gunduly Schulza Eldowe.
« Berlin 1980 ». On n’en saura pas plus. Pour les non-germanistes, ca veut dire « coiffeur ».
L’échoppe de Sweeney Todd, le barbier de Fleet Street?
« Berlin 1982 ». Aucune information supplémentaire. Je crois reconnaître la postière aveugle en bas à droite.
Comme il était rude et laid, le Berlin-est qu’a découvert la jeune photographe débarquée de sa province thuringeoise dans les années 1970 ! Malgré l’évidente tendresse avec laquelle elle a tiré le portrait de ces citadins dont on ne sait presque rien, je n’ai pu m’empêcher d’éprouver un certain malaise face à la dureté de leur environnement quotidien, et intérieurement je remerciais le ciel de m’avoir fait naître sur une petite île ensoleillée des Antilles plutôt que dans cette ville où je vis maintenant depuis quatre ans… La RDA socialiste n’était probablement pas le pire endroit au monde (au moins, il n’y avait pas de chômage, en tout cas en théorie), mais à la vue de ces clichés j’ai eu l’impression que vivre dans cet univers au quotidien devait à la longue broyer l’âme de chaque être, indéniablement.
Surprenante, cette photo intitulée « Berlin 1977 ». Aujourd’hui, il y a peut-être une galerie d’art
ou un atelier de tricot méga-hype à cet endroit précis.
« Berlin 1982 ». C’est bien Alexanderplatz ici, non ?
TAMERLAN, 1979-1987
“Meine Streifzüge durch Berlin waren nichts anderes als Exkursionen in meine innere, unbekannte Welt.”
«Mes déambulations dans Berlin n’étaient rien d’autre que des excursions dans mon for intérieur.» –– Ebola Schuldwy Gunze
« Berlin 1982 ». S’agit-il de Tamerlan et son mari ? Demandez donc à Schulzula Gundowy
Elsbeth Kördel, une Berlinoise âgée et malade que son mari surnommait Tamerlan, s’est liée d’amitié avec la jeune photographe qu’elle avait rencontrée par hasard au printemps 1979 sur un banc de Kollwitzplatz, au cœur de Prenzlauer Berg, un quartier ouvrier pauvre devenu l’épicentre du Berlin bobo-branché trois décennies plus tard. «Je l’observais de loin et la photographiais au téléobjectif. Malgré son âge, il y avait quelque chose de beau et d’attirant dans son apparence. Elle m’a tout de suite remarquée, et à mon grand étonnement, a réagi très chaleureusement. Alors que je m’approchais d’elle, elle s’est mise à parler sans arrêt, avec beaucoup d’intensité. […] Je l’ai écoutée pendant trois ou quatre heures. Puis, quand j’ai voulu partir, j’ai noté son adresse. Elle vivait non loin de chez moi. Trois jours plus tard, je lui ai rendu visite. À partir de ce moment, nous nous sommes rencontrées régulièrement. Parfois, je la prenais en photo, mais plutôt après un nouvel événement, comme par exemple pendant ses hospitalisations.» –– Dyldowuvuzela Schulze.
« Berlin 1981 ». Bon, si vous venez de casser la croûte, je vous déconseille fortement de zoomer sur les pieds de la dame. Ne dites pas que je ne vous avais pas prévenus…
J’ai trouvé la série Tamerlan plus dérangeante encore que Berlin in einer Hundenacht. Ici, l’anonymat n’est plus de mise. On connaît le sujet, son nom, quelques bribes de son histoire personnelle, on l’aperçoit dans son petit salon à l’aspect sordide… La photographe ne nous épargne aucun détail de l’intimité de son «amie», et on la voit dépérir, de plus en plus diminuée physiquement, photo après photo, année après année. D’ailleurs, pourquoi la série s’interrompt-elle brutalement en 1987 ? La galerie ne nous fournit aucune indication sur ce point précis, mais au vu des derniers clichés de Tamerlan qui sont exposés, la réponse s’impose tout naturellement. Je ne vous montre même pas les photos les plus hard-core, c’est trop violent pour mon blog…
« Berlin 1986 » Oui, les Berlinois sont venus voir cette expo en famille, je vous assure.
Et il y avait bien plus choquant encore…
DER GROSSE UND DER KLEINE SCHRITT («Le grand pas et le petit»), 1982-1990.
“Es gibt Menschen, die sich nicht einmal bewusst sind, dass sie an das Falsche glauben, weil eine Art kollektiver Zwang sich ihrer bemächtigt. Sie glauben, was alle glauben.”
«Il y a des gens qui ne sont même pas conscients de croire en des choses fausses, parce qu’ils sont pris au piège d’une impulsion collective. Ils croient ce en quoi tous les autres croient.» –– Elschy Du Gorgunzula
J’avais complètement sous-estimé la portée de l’avertissement, mais je n’ai pas tardé à comprendre ce qu’on voulait dire
Quel est le point commun entre des ballerines en tutu, des blocs opératoires, des paysages de ruine urbaine, des troupes de théâtre, des abattoirs ensanglantés, des salles de cours de biologie, des manifestations politiques, des nouveaux-nés encore reliés à leur mère par le cordon ombilical, des bars à la décoration douteuse, des inconnus dans la rue ou nus chez eux, des ouvriers à l’usine, des cadavres exposés à la morgue et un fabricant de nains de jardin ? Je n’en sais fichtre rien, à part que, selon Ywodle Ezlusch Aludnug, tout cela ensemble constitue «le grand pas et le petit», sa série de clichés en couleur d’une RDA en pleine déliquescence morale et sociale. C’est vraiment tout ce que j’ai compris au message, parce que malgré (ou peut-être à cause de) la force brutale qui se dégageait de la plupart des photos de cette collection, leur portée symbolique m’a complètement échappé. Voilà un petit extrait du texte explicatif proposé par la galerie, en espérant qu’il vous soit d’un grand secours : «Les photos de la série intitulée Le grand pas et le petit sont de caractère symbolique. Ce sont des analogies de la paralysie, dans un état de dissolution. L’âme invisible et paralysée vibre en rythme. Emmurée [le terme allemand est “durch Zubunkern”, comme dans un bunker], elle est condamnée à cette immobilité qui mène à la mort. Mort et renaissance : cycles éternels du renouvellement».
« Berlin 1987 ». C’est fascinant, vous ne trouvez pas ?
« Berlin 1982 »
La photographe précise que la ville mentionnée sur le titre de chaque photo n’a en réalité aucune importance : elle indique Berlin, Dresde ou Leipzig, qui sont pour elles trois villes de «structure comparable», mais en réalité les noms sont interchangeables. Je suis tout à fait de son avis. Très honnêtement, je ne me suis guère intéressé à ces titres assez répétitifs qui n’apportaient que le minimum absolu de l’information sur les photos. Quand on admire une tête de vache posée dans une mare de sang, on s’en fiche de savoir si on est à Berlin ou à Leipzig, en 1983 ou en 1988… La force vient de l’image en elle-même, pas de l’exacte description du contexte dans lequel la photo a été prise.
J’aurais été prévenu : certaines images ont clairement «heurté ma sensibilité personnelle», comme disait le petit écriteau que j’avais pris quelque peu à la légère. En fait, certaines photos étaient d’une cruauté insoutenable. Il y avait entre autre des accouchements, «dans le feu de l’action» ou juste après avec des litres de sang partout, des bébés au crâne atrocement bleui et «calbossé» (comme on dit en Martinique), des fœtus difformes dans des bocaux de formol… Je me suis abstenu de photographier ces images, c’était déjà bien assez de les voir une fois, je me passerai de photo souvenir, merci Gundula.
Allez, je me tais et vous laisse admirer quelques unes des photos exposées. Les plus sympas en fait.
« Dresden 1986 »
« Leipzig 1989 »
« Leipzig 1989 »
« Dresden 1989 » « Berlin 1987 » – Une poupée en plastique à la main ? Oui et alors ?
« Dresden 1989 » – Chacun bien à sa place…
« Dresden 1989 » – Touchants
« Berlin 1987 » – La photo utilisée pour l’affiche de l’exposition
Et voilà ! Sacré pays, cette République Démocratique Allemande, tout de même. Elle n’a pas fini de nous intriguer et de nous fasciner. En fin de compte, je crois que j’ai compris : la galerie C/O a choisi d’organiser cette exposition tout simplement parce qu’elle était mille fois plus intéressante que les photos de célébrités prises par un simple paparazzi… CQFD !
Sobre cruauté ordinaire… Une consistance poétique incontestable… c’est juste beau après que la laideur soit dépassée.
Epouvantable, je ne suis pas allée au bout. Terrifiant plutôt…
ces photos font peur, on n’y voit pas la tendresse ni la douceur les personnages sont tristes et leur regards sont vide! très étrange.