Les médias parlent beaucoup de juin 1940 et du général de Gaulle ces temps-ci. Le Président se fend même d’un voyage à Londres où les Anglais, indifférents, se demandent où est la victoire. La France s’est en effet effondrée en 1940 et son empire colonial ne s’est pas rallié. Les rares Français qui ont choisi la liberté ont du trahir leur gouvernement et être condamnés à mort par les Français de France ralliés à Pétain. N’oublions pas que les Chambres ont accordé les pleins pouvoirs au Maréchal le 10 juillet 1940 par 569 voix contre 80 et 17 abstentions… Très rares ont été ceux, même « de gauche », qui ont dit non.
Philippe Pétain comme Charles de Gaulle étaient nationalistes. Ils n’aimaient ni l’un ni l’autre cette IIIe République incapable de cohérence, qui préférait Munich à la grande politique et l’apéro au travail. Mais il y a une différence : Pétain se sentait investi d’une mission paternelle de protéger et d’éduquer les Français, tandis que de Gaulle les incitait au courage de se battre pour bouter l’ennemi hors de France. L’un a composé avec l’occupant pour purger la France de ses ennemis intérieurs (communistes, hédonistes, parlementaires, étrangers). L’autre a désigné l’ennemi extérieur à combattre (l’Allemand, le nazi).
Le gaullisme, c’est une certaine idée de la France qui fait la synthèse entre le sacre de Reims et la fête de la Fédération, selon les mots de Marc Bloch. Le pétainisme, c’est le retour à la France d’Ancien régime, celle de la contre-révolution. Attitude démissionnaire due au traumatisme de la défaite. Les Français deviennent schizophrènes, se replient sur eux-mêmes, sur leur famille proche, leur petit travail, leur étroite communauté villageoise ou provinciale. Il y a, sous Pétain, régression vers l’enfance, déni de réalité, nostalgie du passé. Comme la nature est belle sans l’industrie des hommes ! Comme les jeunes scouts sont heureux, à moitié nus sous le soleil de juin ! Comme la France sera pure sous l’égide du maréchal ! Travail, famille patrie : la trilogie verticale remplace la trilogie horizontale de liberté, égalité, fraternité. Elle substitue un lien d’affectivité au lien de légitimité, remplace la raison par l’émotion – comme aujourd’hui ! Les citoyens infantilisés se laissent volontiers faire, délégant l’effort de survivre hier au vainqueur de Verdun, aujourd’hui au Président, demain à qui ? Pétain incarnait le Père de cette génération sans père en raison de la guerre 14-18. Lui-même n’avait pas d’enfant et a transféré sur la nation son désir de paternité. Montherlant se gaussait de cette période “zenfandeyzécols”.
C’est contre cet abandon à la nature des choses que de Gaulle s’oppose. S’il croit aux valeurs éternelles, comme Pétain, elles ne vivent selon lui que si elle sont incarnées. De la France il a une certaine idée qui va bien au-delà des communautés naturelles de la famille, du métier et du terroir. La France est une terre, mais aussi un empire et surtout un rayonnement universel. L’artisanat donne le sens du travail bien fait mais c’est le monde qui est son domaine, pas la petite ville. Le cosmopolitisme, le libéralisme et le capitalisme sont les ennemis de Pétain – pas ceux du général de Gaulle. Le vainqueur de Verdun se vend aux Allemands et appelle à la collaboration ; le prisonnier de 1917 s’associe aux Anglais et appelle à la résistance.
La France 2010 est-elle si différente de celle de 1940 ? Le traumatisme de la crise financière fait aisément lâcher prise. Quand on ne comprend pas, on accuse les forces obscures et cosmopolites. Le libéralisme anglo-saxon, voilà l’ennemi ! La vertu et l’austérité allemande, voilà le modèle. Il s’agit aujourd’hui comme hier de reconstruire la France comme entité organique par la collaboration des classes sous la dictature éclairée d’une élite technocrate.