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Escalade dans la vallée de Névache

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Cette merveilleuse vallée de Névache, située un peu au nord de Briançon, pas très loin de la frontière italienne, est réputée pour ses grandes balades et ses lacs. Par contre l’escalade n’attire pas des foules de grimpeurs. Nous avons décidé de nous rendre dans cette région de façon fortuite, chassés par le mauvais temps qui sévissait plus au sud dans l’Ubaye. Les prévisions y laissaient plus d’espoir aux adeptes de varappe que nous sommes. Effectivement le choix fut le bon. Même si certains jours les retours se firent sous la pluie, nous avons réussi durant cinq jours de belles escalades sur différentes parois de ce coin de paradis.

Le dimanche après-midi nous rejoignons en une courte montée le refuge du Chardonnet, jolie petite bâtisse au milieu d’une prairie à 2200 mètres d’altitude. Le début de la marche d’approche s’effectue le long de la Clarée, torrent de montagne à l’eau cristalline, qui dévale à vive allure, présentant une surface frangée d’écume, mais n’enlevant rien à la transparence de son onde.

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En juillet dans cette vallée réputée, nous avions un peu peur de trouver le lieu bondé, il n’en est rien, nous ne sommes pas très nombreux au refuge. Nous aurons même droit à une chambre pour deux, le rêve. Ces dernières années, j’ai constaté que la fréquentation des refuges de montagne n’était pas très importante. Faut-il y voir une désaffection, due à la crise ou aux conditions climatiques qui évoluent ? A moins que je sois particulièrement chanceux et que le hasard me guide aux endroits ou conjoncturellement l’affluence n’est pas présente ?

Cette vallée de Névache je la connais assez bien, pour l’avoir parcourue à pied et à ski, y avoir foulé son point culminant le Mont Thabor, au demeurant une immense « bavasse » dans un magnifique décor minéral. Mais l’escalade je ne me doutais pas qu’elle présentait un tel intérêt sur une belle qualité de montagnes, avec un grand choix de parois jusqu’à trois cents mètres de haut. La roche est majoritairement calcaire, bien que certaines parties soient formées de gneiss. Nous n’aurons pas l’occasion de grimper sur ce type de rocher, notre sélection de  voies  nous cantonnera uniquement au calcaire.  

Lundi 8 juillet Crête du Diable : voie L’enfer du décor 300 m TD+

Notre première destination sera la crête du Diable et le nom de la voie bien de circonstance « l’enfer du décor ». Du refuge nous prenons un vallon qui s’enfonce entre des faces de trois cents mètres et plus de hauteur. La plus esthétique est la crête du Raisin. Notre voie d’escalade se trouve de l’autre côté de ce vallon minéral et exceptionnellement enneigé pour un début juillet. L’ambiance est austère, il fait frais, de plus nous sommes en face ouest donc ne comptons pas sur le soleil avant midi. Les accès au pied de ces parois sont toujours pénibles, du fait des pierriers raides et croulants qu’il faut remonter. De plus ces endroits étant peu fréquentés, les traces y sont quasiment  inexistantes, d’où difficultés accrues sur des pierres qui roulent sous le pied.

 

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Après une courte halte au pied du rocher, le temps de s’équiper et de se sustenter quelque peu, nous attaquons la première partie de notre ascension. Elle consiste en de grandes dalles sur une centaine de mètres, où le rocher n’est pas excellent mais cependant convenable, la difficulté est assez sérieuse 5c et 6a.  Nous arrivons dans une zone de très mauvais rocher, heureusement pas très raide, donnant accès à la partie supérieure de notre itinéraire,  de toute beauté le long d’un calcaire compact. Mais d’abord il nous faut franchir cette portion très instable. J’effleure une grosse pierre, qui se met immédiatement en mouvement. Dans un premier temps elle me frôle en m’entaillant le bas de la jambe droite sur une vingtaine de centimètres, ce dont je ne me rends pas compte tout de suite. Puis elle continue son chemin, juste derrière moi Robert. Je vois cet énorme caillou, une cinquantaine de kilos lui tomber sur le bras. Je m’attends au pire. Après quelques secondes de stupeur, il s’avère qu’il a de nombreuses entailles superficielles sur l’avant-bras gauche, mais rien de cassé ou écrasé. En définitive plus de peur que de mal. Nos capacités physiques ne sont pas altérées.

 

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Que faire d’autre à part continuer ? Justement rien, donc en avant pour le sommet. Après 150 mètres d’une escalade de grande qualité, nous atteignons la croix sommitale de la crête du Diable, qui culmine aux environs des 2800 mètres.

 

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Le temps est clément, bien que quelques nuages commencent à s’amonceler en arrière-plan. Bien installés tous les trois sur cette cime nous avons tout loisir de contempler cette magnifique région. Il est surprenant de se trouver dans des coins des Alpes françaises, très réputés en été, et de ne voir personne. Ce sera le cas tout au long de ces cinq journées d’escalade. Après une demi-heure, Il est temps de redescendre. Par une série de rappels nous rejoignons un couloir qui en une centaine de mètres nous ramène au pied de la paroi. Cette dernière partie, dans laquelle alternent  neige raide et rocher très inconsistant nécessite beaucoup d’attention en chaussons d’escalade, car nous ne pouvons nous assurer. Nous reprenons le chemin du refuge, que nous atteignons sous la pluie.

 

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Mardi 8 juillet crête du Queyrellin voie la Grolle  200 m TD

Ce matin les conditions météorologiques ne sont pas très encourageantes, cependant la pluie ne devrait pas venir avant le début d’après-midi. Il ne faut pas hésiter, nous prenons le chemin du Queyrellin. La marche d’approche n’est pas très longue. Tout d’abord le sentier nous conduit auprès d’un magnifique petit lac, où à la descente nous pourrons observer un saumon de fontaine.

 

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Après un agréable cheminement à travers prairie, un pierrier beaucoup plus désagréable nous donne accès au pied de la paroi. Aujourd’hui encore nous sommes seuls et nous effectuons une jolie escalade difficile dans un cadre sauvage.

 

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La redescente en trois rappels dans une gorge sévère, enserrée entre des parois rendues d’autant plus sombre que le temps se dégrade, est un moment impressionnant. Ces exercices de descente de paroi raide en rappel sont des moments où il faut garder toute sa concentration, car l’accident dû à une fausse manœuvre est vite arrivé. Aujourd’hui encore nous terminons dans une pente de neige abrupte, heureusement nous pouvons nous y assurer. La redescente en direction du refuge est magnifique, bien qu’effectuée en partie sous la pluie. L’eau est présente tout au long de ce parcours, d’abord de petits lacs, puis une rivière, plutôt un torrent, tout en courbes qui court entre de grosses pierres.

 

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Mercredi 9 juillet crête du Queyrellin :  voie Nulle Part Ailleurs 150 m TD

Aujourd’hui les prévisions météo ne sont pas très bonnes. Nous décidons de retourner à la crête du Queyrellin, mais cette fois sur une partie de cette montagne plus proche du refuge. En effet cela nous permet d’être au pied de l’itinéraire envisagé en moins d’une heure. Il s’agit d’une magnifique escalade constituée d’un rocher d’une qualité exceptionnelle, comparable à ce que l’on trouve dans les gorges du Verdon. Effectivement sur 150 mètres nous allons le long de dalles raides quasi verticales, très adhérentes prendre un plaisir fou à nous déplacer.  Vers le haut une extraordinaire traversée sur un rocher aux teintes jaunes, dues à la présence de minuscules lichens (qui je le précise ne nuisent en aucune manière à l’adhérence des pieds), représente la quintessence de l’esthétique en escalade.

 

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Un retour rapide en trois rappels, nous permet de prendre la pluie de vitesse. Sur proposition de Christophe nous entreprenons de grimper une belle dalle de cinquante mètres de difficulté soutenue, 6a et 6b. Immense plaisir encore une fois, on se demande parfois comment on arrive à tenir en équilibre sur pratiquement rien pour les pieds et les mains dans des passages proches de la verticale !

 

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Un dernier rappel et nous nous retrouvons au pied des crêtes du Queyrellin, la pluie devenant de plus en plus menaçante. Il ne nous reste plus qu’à rejoindre le refuge, avant de quitter ce coin de paradis où nous venons de passer 3 jours merveilleux, d’une part pour les escalades de toute beauté et très sauvages que nous avons effectuées, mais aussi du fait de l’accueil dans ce refuge où la nourriture est du niveau d’un très bon restaurant, sans parler de la carte des vins et d’un rhum exceptionnel, si ma mémoire ne me trahit pas, qui provient du Venezuela et qui porte le joli nom plein de promesses : Diplomatico! On aurait dit un vieil armagnac, rond, suave et de grande longueur qui vous explose en bouche et exhale par le nez les plus merveilleux des arômes ! J’arrête là, car ce compte-rendu n’a pas vocation à dévoiler mes penchants naturels de bon Lyonnais !

Nous retrouvons donc la Clarée et son eau d’une clarté presque surnaturelle,  ainsi que notre voiture et partons à la recherche d’un logement que nous trouvons à Plampinet dans un gîte très sympathique. Maison historique qui au cours des siècles passés, fin du XIX et moitié du XX siècle était une caserne. Aux murs de vieux documents rappellent ces temps anciens, qui font la fierté bien justifiée de la propriétaire du lieu.

 

Jeudi 10 juillet Vallée Etroite contreforts du Pic Gaspard 180 mètres TD

Une fois encore les prévisions météo assez pessimistes nous incitent à rester relativement bas en altitude. Raison pour laquelle nous optons pour la Vallée Etroite, d’altitude modérée et permettant des marches d’approche très courtes. Autant d’atouts à prendre en compte, lorsqu’on risque de se lancer dans une course chronométrée contre la pluie. En effet, je connais peu de situations plus désagréables, que de devoir s’échapper d’une paroi difficile sous la pluie voire les éclairs, car les risques d’orages ne sont pas négligeables.

Afin de rejoindre la Vallée Etroite nous passons par le col de l’Echelle et rejoignons cette vallée bordée d’immenses faces, en particulier la Paroi des Militaires, à-pic de plus de trois cents mètres qui démarre à même la route. Nous rejoignons notre voie d’escalade en un quart d’heure, en commençant par longer un torrent à l’eau opalescente, le long duquel quelques pêcheurs s’activent, apparemment sans trop de résultats. L’escalade s’avère immédiatement particulièrement difficile, en surplomb sans aucune prise de pied et de main franches. Heureusement Christophe va laisser pendre dans les endroits les plus scabreux, 6c, des sangles que Robert et moi allons utiliser en nous hissant à pleines mains dans ces passages en dévers particulièrement dépourvus de prises. Il fait chaud et les efforts intenses sont pénibles. Dans la vallée à nos pieds les clarines des vaches nous apportent une petite touche de sérénité, alors que nous forçons tant et plus sur cette paroi, peut-être un peu au-dessus de la force que nous sommes capables de déployer dans nos doigts, suspendus dans des passages en dévers alors que les prises de pieds brillent par leur parcimonie ! Pour les presque papys que nous sommes, dans notre soixantième année (ouille) les passages vraiment sportifs au-delà de la verticale sans prises franches ou directes commencent sérieusement à nous poser des problèmes, d’autant plus que nous ne sommes pas des stakhanovistes de l’entraînement ! Mais bien que dépassés, l’effort extrême que nous fournissons pour nous hisser à la force des bras, les mains verrouillées sur les sangles mises en place par notre premier de cordée, nous procure un plaisir prodigieux. Lorsqu’après ces quelques passages extrêmes l’escalade redescend d’un bon niveau, 6a ou 5c, nous avons de la difficulté à nous saisir des prises de mains, tellement nos muscles de doigts ont été tétanisés. Mais heureusement avec les prises de mains les prises de pieds réapparaissent, alors la technique du positionnement de pied, bien acquise depuis de longues années, en particulier à Fontainebleau, permet de solliciter au minimum les doigts qui n’en peuvent plus. Encore une belle paroi effectuée dans laquelle nous aurons été seuls.

 

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Vers les midis nous sommes de retour à la voiture. Contrairement aux prévisions le temps est magnifique. Christophe nous propose de monter au lac Vert qui se situe à trois quarts d’heure de marche. La montée le long du torrent au milieu des fleurs est particulièrement agréable. Au détour d’un dernier petit raidillon le lac se dévoile. Il est de toute beauté, d’une couleur verte émeraude, d’une limpidité totale. Nous en distinguons très précisément tous les détails du fond, en particulier un grand nombre de troncs d’arbres, immergés reposant horizontalement, semblant comme fossilisés.

 

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Nous distinguons une truite de belle taille, approximativement cinquante centimètres. Deux pêcheurs âgés d’une vingtaine d’années apparaissent avec l’intention de tenter leur chance dans ce paradis aquatique. Je les regarde avec des pensées quelque peu narquoises, car pour moi toutes les conditions sont réunies pour que les truites, généralement très méfiantes ne mordent pas. L’heure, la transparence de l’eau,  la présence de personnes qui font du bruit, le fait de les voir, donc elles nous voient aussi, et généralement c’est rédhibitoire. Eh bien en une demi-heure, toutes mes certitudes en matière de pêche à la truite vont s’effondrer, même plus se fracasser, à l’aune d’une réalité que je ne soupçonnais pas, car ils vont devant nos yeux incrédules sortir six belles truites farios, la plus petite faisant dans les quarante centimètres. Une semaine plus tard je n’en reviens toujours pas, moi qui me prenais pour un bon pêcheur, cette saison j’en suis à quarante et une, mais dans ma rivière la Moselotte dans les Vosges. Ces pêcheurs sont ardéchois et ils pratiquent le « no kill », c’est-à-dire qu’ils remettent les poissons à l’eau après les avoir délicatement décrochés. C’est aussi mon cas, sur les quarante et une prises je n’en ai gardé que sept. Mais je ne le dis pas toujours aux membres de ma famille, qui me reprocherait de ne pas leur en donner quelques unes de plus !

 

Vendredi 11 juillet crête de la Moutouze : voie le bal des Vampires 250 m TD

Après une seconde nuit dans notre gîte de Plampinet, nous repartons dans le fond de la vallée de Névache, nous confronter à une magnifique arête. De plus, enfin les prévisions météorologiques sont favorables. Nous laissons notre véhicule tout au bout de la route ouverte à la circulation et partons en direction de cette crête qui se situe à proximité du lac des Béraudes. Cette marche d’approche au milieu des fleurs et des arbres est un enchantement. Au détour d’un mouvement nous surprenons un chevreuil de belle taille, qui rapidement nous détecte et disparaît comme une fusée. Un peu plus loin  un chamois, il ne nous a pas vus, nous le surplombons d’une cinquantaine de mètres. Tout à loisir nous l’observons brouter avidement une belle herbe bien drue. L’intérêt  de la montagne ne réside pas uniquement dans le plaisir de s’arracher les doigts sur des prises minuscules, qui font mal, mais aussi il se cache dans ces moments de hasard où l’on peut un peu à la manière d’un voyeur surprendre les habitants du lieu, le cœur battant en se demandant combien de temps vont-ils mettre à détecter notre présence ? Un peu plus loin deux bébés marmottes se roulent devant leur trou. Mais là-bas en arrière-plan notre arête commence à envahir tout l’espace, et l’appel se fait de plus en plus pressant.

 

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Nous quittons la forêt puis la prairie et abordons un pierrier raide dans lequel une légère trace nous facilite un peu la progression, et nous voilà au pied de notre cinquième et dernière escalade de cette semaine annuelle et rituelle. Deux cent cinquante mètres d’un rocher de grande qualité, permettant une escalade de toute beauté. La première moitié est proche de la verticale et nous demande de beaux efforts à nous tirer sur de toutes petites prises, bien souvent indirectes, donc demandant une succession de mouvements en opposition. Mais l’adhérence des chaussons d’escalade est maximale, et de cet équilibre subtil entre force et adhérence naît la joie la plus totale dans l’effort physique.

 

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En trois heures nous atteignons le sommet de cette crête de Moutouze. Perchés tout au sommet, sans crainte de l’orage nous nous délectons du panorama, qui nous dévoile cette magnifique vallée de Névache dans sa totalité.  A certains moments on voudrait que le temps s’arrête et l’éternité nous envahisse. Mais il faut penser à redescendre. En sept rappels, qui nous procurent de fortes montées d’adrénaline, car à plusieurs reprises nos cordes se bloquent. Mais le doigté tout en souplesse de Christophe nous sauvera de sauvera de rester prisonnier pleine paroi.  Après de longues minutes  à tirer les cordes dans un sens, puis dans un autre, à essayer de leur donner un mouvement dans l’espoir de les voir coulisser, enfin elles viennent, on se sent libéré d’une énorme pression.

Voilà cinq jours dont le souvenir nous habitera encore longtemps, pour ne pas dire toujours. Il ne nous reste plus qu’à nous donner rendez-vous l’année prochaine pour une nouvelle semaine de plaisir, accrochés dans de belles parois bien raides.

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