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Léviathan, oeuvre de l’artiste indien Anosh Kapoor, pourrait être résumé comme une coloscopie géante sous la verrière du Grand Palais à Paris. Il s’agit d’une oeuvre phénoménale, déroutante et paradoxale…
Attention, chef d’œuvre à ne manquer sous aucun prétexte ! L’œuvre, nommée « Léviathan » par son auteur Anosh Kapoor, est une raison de plus de venir admirer le Grand Palais à Paris. Elle est exposée dans sa nef sous sa prodigieuse voûte à treillis de métal et de verre. Elle l’emplit de son volume à elle toute seule, tant elle est gigantesque, touchant presque à la verrière. C’est manifestement chez l’artiste l’aboutissement d’un parcours. Il n’y a pas de doute, une idée forte se cache derrière cette création grandiose.
Car pour édifier œuvre aussi phénoménale, il ne faut pas manquer d’air. Les intericonicités se bousculent à l’esprit tant on découvre de parentés entre elle et d’autres objets. On dirait d’abord une montgolfière, et même très fière, non de forme ovoïde traditionnelle, mais allongée comme les dirigeables, ou modelée à la mode des ballons de foire en boudins.
Sans doute est-ce un trait d’humour de l’artiste pour montrer ce qu’il advient d’un ballon, appelé par vocation à s’élever dans les airs et à parcourir les espaces au gré des vents, quand prisonnier d’un hangar, il s’avachit au point de se couler dans ses formes comme à la recherche d’une ouverture pour s’en échapper. Le ballon captif dégénère en boudin. Ce nom de « Léviathan », emprunté au monstre biblique porteur de cataclysme apocalyptique, lui va comme un gant.
Et le symbole est à sa mesure, grandiose ! N’est-ce pas celui du sort infligé à l’esprit humain par des mythologies archaïques ? Fait pour s’élever lui aussi au-dessus de la nature et de sa condition pour maîtriser le monde, il se vautre quand l’emprisonnent leurs corsets, et se métamorphose en haricot. Ne dit-on pas à qui déraisonne : « Qu’est-ce que tu as donc dans le crâne ? Un haricot ? »
L’intericonicité d’un côlon
Mais le propre d’un chef d’œuvre est d’être, disent les experts, polysémique. On lira ci-dessous avec profit les méditations du responsable de l’exposition, au nom si approprié de « commissaire » en matière artistique (2). Mais si lumineuses qu’elles soient, elles n’épuisent pas la richesse de l’œuvre. Une autre intericonicité conduit à voire sous la verrière lumineuse du Grand Palais, l’envers qu’une vieille conception dualiste de l’homme oppose à « l’esprit » : « le corps ». Par métonymie, ce qu’on a déjà pris pour un boudin géant, devient la partie pour le tout : le contenu est même donné pour le contenant et un côlon gonflé renvoie au corps humain tout entier et à ses servitudes digestives prosaïques.
Le génie de l’artiste a veillé à en montrer non seulement l’extérieur, mais aussi l’intérieur : baignant dans une lumière rouge sanguine, le visiteur devient endoscope et se prend pour la micro-caméra d’une coloscopie géante. L’effet est saisissant de pénétrer ainsi dans les souterrains digestifs et suggestifs de la condition humaine.
Un boudin dans un écrin ?
Sous la verrière éclatante de lumière du Grand palais, le paradoxe ne peut alors manquer de sauter aux yeux : a-t-on jamais recherché un écrin pour exposer un objet trivial ? Place-t-on un boudin dans un coffret précieux ? On renoue une fois encore avec la prophétique fulgurance de Marcel Duchamp qui a révolutionné et dévasté l’art officiel au 20ème siècle en exposant dans un musée un urinoir baptisé « Fontaine ». Ce n’est pas l’œuvre d’un artiste qui fait l’art, mais le marché qui l’achète et le vend et le musée qui l’abrite, comme un écrin transforme du gravier en pierre précieuse. « Le médium est le message ». Seule l’autorité confère fiabilité à l’information. On n’en sort pas ! L’art officiel contemporain ne cesse d’asséner ce dogme et de sommer le peuple de s’agenouiller devant lui. On attend donc avec impatience que la grande nef du Grand Palais, débarrassée de cet embarras intestinal, resplendisse à nouveau sous sa verrière rayonnante.
Pygmalion et Galatée
Mais, le comble, c’est que dans l’attente de cette délivrance, elle n’a jamais été plus resplendissante qu’encombrée de ce côlon gonflé à se rompre. Le contraste est saisissant. Quoi de plus étonnant qu’un écrin embellisse à la vue de l’objet qu’il expose ? À l’entrée du Grand Palais, un groupe sculpté rappelle d’ailleurs opportunément aux visiteurs que l’art peut être conçu comme l’effort de l’homme pour tenter de donner vie à la matière. On y voit Pygmalion, le sculpteur chypriote, le maillet suspendu, ébloui par la statue de femme sortie de ses mains : c’est l’instant où l’artiste est pris d’une folle envie de l’étreindre et Galatée va naître femme dans ses bras.
Il ne viendrait évidemment à personne pareille envie devant le boudin géant qu’on a laissé derrière soi en haussant les épaules. On se réjouit seulement de relever parmi les mécènes et partenaires de cette exposition mémorable, aux côtés de la Fondation EDF, des organismes locaux de l’Éducation nationale : le CRDP de l’Académie de Versailles, la DAAC, les Inspections pédagogiques, Inspection académique des Yvelines, et enfin la DAAC du Rectorat de Créteil (1). On ressort rassuré : l’’enseignement de l’Art est en de bonnes mains.
Paul Villach
(1) DAAC = la Délégation Académique à l’Action culturelle et à l’Enseignement Artistique
(2) Voici la présentation que fait de « Léviathan » le commissaire de l’exposition :
« Propos du commissaire
Cette quatrième édition de MONUMENTA sera la première grande exposition à Paris d’Anish Kapoor depuis trente ans. Celui-ci est considéré comme l’un des plus importants sculpteurs d’aujourd’hui et, en effet, son travail a profondément renouvelé l’étendue des possibilités de la sculpture contemporaine tant par sa maîtrise de l’échelle monumentale que par la sensualité colorée et l’apparente simplicité qui se dégagent de ses œuvres.
Lorsqu’en novembre 2008, à l’invitation du ministre de la Culture et de la Communication, Anish Kapoor visita la Nef du Grand Palais sachant qu’il serait le prochain artiste invité à répondre au défi de cet immense vaisseau, il parut impressionné, certes, mais pas très hésitant, comme si mûrissaient déjà les réponses qu’il formula quelques mois plus tard. Immédiatement, alors que cet endroit exceptionnel pose de grandes difficultés d’échelle bien sûr, mais aussi de lumière, en raison de l’excessive clarté de la verrière et de construction, puisque les structures du monument ne peuvent ni être touchées, ni même approchées, il annonça, pour reprendre ses propre termes, qu’il y aurait « un seul objet, une seule forme, une seule couleur ». Après quelques semaines, dans son atelier, une maquette posée au sol contenait le projet. L’artiste le commentait comme s’il n’en était pas l’auteur, comme si celui-ci était né des propriétés du lieu lui-même sans décision particulière de sa part. Puis, d’autres ébauches et d’autres configurations apparurent, sans doute pour essayer autre chose, mais toujours cette première intuition prévalut, celle qui sera réalisée pour MONUMENTA.
On retrouvera dans cette oeuvre plusieurs des caractéristiques de la démarche de l’artiste qui sont à l’origine de la fascination que produisent ses réalisations sur les regardeurs, qu’ils soient connaisseurs, ou même simples curieux ainsi que le montre le succès public du Cloud Gate à Chicago par exemple. Un soin très particulier est apporté à la réalisation technique de l’ouvrage. L’objectif de cette maîtrise n’est pas un simple exercice de virtuosité, mais correspond au souci de donner la sensation que l’objet est généré par sa propre énergie, comme produit par la nature, et qu’il s’est développé en dehors de la main de l’artiste. Par ailleurs, les formes obtenues paraissent surgir par évidence : pas de composition ou d’expression psychologique de l’auteur, mais une relation osmotique entre le lieu et la sculpture. Puis l’échelle, qui est calculée pour que, dans la relation de notre corps à l’œuvre, se construise une relation d’absorption ou de domination qui met en relation l’humain et les proportions immenses que la nature nous propose. Cet intérêt pour le sublime au sens où les philosophes l’entendaient au 18ème siècle est une constante de la réflexion d’Anish Kapoor. Enfin, et c’est là l’essentiel peut-être, une résonance inhabituelle des formes et de la couleur choisies pour, à dessein, créer en nous un écho organique ou mental, un en deçà de la raison, comme si l’artiste cherchait à toucher des ressorts anciens, une partie archaïque de nous-mêmes qui, lors de cette rencontre particulière, nous enseigne, ce que nous sommes et surtout d’où nous venons.
L’œuvre nous invitera, comme les autres sculptures de l’artiste, à une expérience physique et mentale globale, à une immersion sensorielle produite par une triple attention et qui nous indique trois thèmes essentiels pour l’artiste : une réflexion sur l’espace au sujet duquel il précise : « l’espace selon moi est une entité philosophique et pas seulement l’endroit où adviennent des choses ». Un propos sur l’imaginaire puisque si une grande partie des évènements que nos sens recevront sont produits par la matière, une certaine irréalité, une disposition à la fiction, montre, comme dit le souhaiter l’artiste, que l’objet, par ses connotations ou grâce aux effets psychiques de son apparence, dépasse sa matérialité. Et enfin une pensée sur la pensée, puisque l’enjeu majeur de son travail ainsi qu’il le formule : « est de parvenir par des moyens strictement physiques à proposer une expérience philosophique inédite. Jean de Loisy »