Un jour pendant la dernière guerre, Mato voit des soldats italiens abandonner un canon qu’il récupère vite pour réaliser un vieux projet qu’il fomente depuis des années. L’exécution de ce projet va provoquer une belle pagaille dans ce coin de campagne albanaise où la vendetta est encore plus importante que la guerre contre les Italiens puis les Allemands.
« Voici donc l’œuvre enfin restituée sous sa forme authentique, celle d’un noble et vrai roman populaire, délivré de tout ce qui l’étouffait jusque-là. Exit l’idéologie, place aux seuls comportements humains. » En effet, il faut savoir, avant d’aborder ce livre, qu’Agolli a été pendant plusieurs années Président de l’Union des Ecrivains et artistes d’Albanie sous Enver Hodja et qu’il fut ainsi considéré, à juste titre, comme un apparatchik du régime. Ce roman publié en 1975 a donc été récrit et débarrassé de toute la propagande qui alourdissait considérablement l’intrigue.
Ce livre, c’est l’histoire d’un brave paysan albanais, pendant le dernier conflit mondial, qui voit un jour des Italiens s’enfuir en abandonnant un canon. Il revient la nuit, avec mule et bœuf, pour prendre ce canon et les munitions qui lui sont nécessaires. Il a une idée bien précise sur l’usage qu’il va en faire et il refuse de le remettre à la résistance, car en Albanie, les Italiens, puis les Allemands qui les remplacent, ne sont que des ennemis de circonstance, les vrais ennemis, ceux qu’on détestent pendant des générations, ceux qui ont martyrisé la famille, exterminé les ascendants, sont les membres du clan adverse qu’il faut éradiquer pour laver l’affront dans le sang afin de pouvoir se présenter devant les ancêtres, le jour venu, l’âme en paix.
Malto cache donc son canon en apprenant son fonctionnement avec un prisonnier italien que les résistants lui ont confié et un jour il peut en faire l’usage qu’il attendait depuis si longtemps déclenchant ainsi toutes les haines latentes qui bouillonnent dans le village. Les « ballistes » qui soutiennent les occupants allemands et les forces nationalistes, s’en prennent aux résistants rouges brouillant les lignes de clivage entre les clans et provoquant une joyeuse pagaille dont les plus excités profitent pour régler de vieilles additions.
A travers cette histoire qui exalte la vaillance, la bravoure et le courage des Albanais face à l’occupant, Agolli dénonce ainsi l’héritage des vendettas ancestrales qui divisent les populations en faux clivages car les véritables fractures sont celles qui séparent les rouges des traîtres qui pactisent avec l’ennemi fasciste. Et, même si le livre a été sérieusement expurgé, on sent encore la propagande qui devait convaincre les Albanais de s’unir, dans une fière nation, face aux forces de ces fascistes qui incarnent le mal.
Toutefois, ce roman ne s’arrête pas au niveau simpliste d’une propagande primaire, il met en scène des personnages étonnamment authentiques, Malto est un homme de la terre, un vrai, car il vit réellement comme un homme de la campagne avec ses animaux domestiques et son environnement qu’il respecte. Agolli devait, lui aussi, bien connaître ces campagnes albanaises car son roman sonne juste et les vendettas ne devaient pas lui être totalement étrangères car elles sont fort crédibles. Une petite odeur de pacifisme flotte au-dessus de ce roman, comme ces relents de guerre qui ne concernent nullement ces paysans préoccupés par les seuls conflits qui opposent leurs familles et par les maigres récoltes qu’ils doivent arracher à une nature pas très généreuse.
Agolli souhaiterait que ces braves paysans subissent moins leur vie, et les manipulations dont ils sont les victimes, et en soient plus acteurs car « … la vie n’est pas seulement comme on la prend, elle est aussi comme on la fait. »