Sur l’île de Yap, Tommy Tamangmed peint des scènes d’une culture vivante et invisible.
A priori, rien ne distingue Tommy de ses compatriotes insulaires. Il mâchouille des noix de bétel (bouche rouge), son goût pour la bonne chair (embonpoint certain) et un sourire timide et tranquille laissent penser que Tommy est un homme comme les autres sur cette île de Micronésie.
Mais il règne en maître sur ses trois mètres carrés d’atelier de peinture, éclairés au néon et sans fenêtre, planqués au fond de la galerie où ses tableaux sont exposés.
Tommy peint depuis 1995 des scènes de la vie quotidienne de son île.
« Je peins depuis que je suis enfant. Mais une artiste-peintre américaine venue vivre à Yap m’a enseignée la magie des couleurs, l’art de manier les ombres et les blancs, tout ça. Elle m’a appris le métier ».
Tommy s’attache à peindre des scènes d’un temps qui n’existe que dans les mémoires. Un temps où la culture unique de Yap s’épanouissait loin des influences extérieures. Aujourd’hui, la culture de l’île reste très présente, mais parfaitement invisible, selon lui.
La culture de Yap, basée sur le village, la famille et le clan, reste unique et dicte le quotidien des habitants. Elle demeure également consensuelle malgré sa myriade de tabous, d’interdits ou de rites.
Il me donne un exemple: il lui est interdit de pénétrer dans un village sans autorisation. Il ne peut rendre visite à quelqu’un sans demander à une autre personne du village de le diriger vers elle. Yap cultive sa culture, les danses ne sont pas du folklore et la manière de s’habiller a une signification très profonde. Seulement, elle demeure invisible car non écrite. A travers ses peintures, Tommy veut illustrer ce fier passé afin de consolider le présent.
Il ne peint pas ce qu’il voit, mais ce qu’il voudrait voir. A l’instar de ces augustes ancêtres comme Gauguin ou Paul Jacoulet, dont certaines de ses œuvress’inspirent, selon moi, ses peintures exposent le mythe de l’île. Les hommes y sont beaux, les femmes gracieuses et tout le monde vit au rythme paresseux des pluies tièdes, des amours suaves et des coutumes ancestrales imperméables au changement. La réalité est différente, maintenant, mais pour Tommy l’essentiel est de cultiver ce passé pour les générations futures.
Tommy se sent seul. La dame américaine a quitté Yap. Le Gouvernement local ne le soutient pas, ou très peu. Les visiteurs se font rares. « Je manque de compétition. Je n’ai personne avec qui comparer mon travail. Je végète, Damien, je végète ».
Il veut partir, persuadé que son talent se monnayerait mieux à Honolulu, Guam, ailleurs. La complainte de l’artiste incompris par ses pairs accable Tommy qui voit les factures s’accumuler et ses enfants grandir.
Ses œuvres suivent le même chemin que son humeur du moment. Avant, elles étaient gaies et fleuries, bucoliques et chatoyantes ; maintenant, elles sont plus sombres et contrastées. Avant, elles embaumaient l’optimisme ; dorénavant elles expriment un certain pessimisme.