La probabilité que le touriste que vous êtes choisisse de visiter Cetinje lors d’un séjour au Montenegro est très faible voire nulle. A moins que vous alliez jusqu’au Mont Lovcen et y fassiez une pause à l’aller ou au retour. Mais visiter Cetinje dans le Montenegro central n’est pas forcément une évidence pour les voyageurs qui privilégient les parcs nationaux ou les plages et les villes du littoral.
Alors pourquoi moi ? Quelle idée de vouloir visiter Cetinje? Un film « l’homme qui voulait vivre sa vie », inspiré du roman de Douglas Kennedy, m’a donné cette étrange idée. Le héros se réfugiait dans un pays sans nom. Toutefois, la vision des bouches de Kotor dont je ne connaissais pas encore le nom, m’a subjuguée au point d’avoir envie de découvrir les paysages splendides, où ce film avait été tourné. Il n’en fallut pas plus pour que mette le cap sur ce petit pays entre mer et montagne, dont je ne savais pratiquement rien.
Cetinje, ancienne capitale historique du Montenegro
Dire que Cetinje, petite ville du Montenegro central, est une destination touristique improbable n’est pas un euphémisme. Au-delà de sa localisation dans l’arrière pays et de sa taille modeste, Cetinje n’a pas beaucoup de raisons d’attirer les touristes qui décident de découvrir le Montenegro en une semaine ou plus.
Cetinje, l’ancienne capitale du royaume, entre 1878 et 1914, se trouve au pied du Lovcen. C’est en définitive son principal avantage, puisqu’elle peut constituer une étape entre les villes du littoral et le mont Lovcen. A l’aller, et mieux encore au retour, quand la route serpentine a laissé des traces.
L’ambiance, ici, est celle d’une ville d’eaux de la Belle Epoque, avec ses fastes d’opérette, ses ambassades disproportionnées dans ce délirant style Art Nouveau, ses épiceries croquignolettes, son joli Palais Bleu au bord d’un parc municipal un peu négligé.
Faute d’être l’une des destinations les plus touristiques du Montenegro, Cetinje a pour elle le poids de son histoire qui en a fait la capitale d’un royaume au coeur de toutes les convoitises au point que la capitale changea plusieurs fois de localisation, au fil des siècles. Cetinje n’est donc souvent pour les Montenegrins (plus âgés) que le souvenir de la capitale du dernier royaume montenegrin entre 1860 et 1914, tandis que les plus jeunes auront même du mal à se rappeler de cette phase historique de leur petit pays, indépendant pacifiquement depuis 2006, donc bien après les guerres d’ex-Yougoslavie.
Dans un passé lointain, elle fut déjà capitale sous la dynastie des Crnojevic, jusqu’à la chute du royaume en 1496. Et jusqu’à la fin du 19ème siècle, Cetinje fut laissée à l’abandon, plus ou moins livrée à l’influence turque, jusqu’à ce que Napoleon III aide à imposer les bases du nouveau royaume incarné par Nicola 1er.
Celui ci eut à cœur de donner à sa capitale un lustre qu’on peut juger disproportionné, avec des palais raffinés, d’énormes ambassades étrangères de style Art Nouveau, et un tracé urbain digne des restructurations de l’ époque.
Le royaume du Montenegro ne résista pas à la Première Guerre mondiale et on connait la suite. Pour faire court, les guerres des Balkans, l’épisode yougoslave, et enfin l’indépendance acquise sur du velours en 2006. Bien que le Montenegro ne soit pas membre de l’Union européenne, il a été autorisé à adopter l’euro avant même son entrée, ce qui est toujours en discussion.
Petite parenthèse si vous permettez. La stabilité politique du Montenegro est aléatoire, bien que le pays soit relativement sûr. Disons que les communistes après l’éclatement de la Yougoslavie ont souvent retourné leur veste pour garder leur pouvoir et certains s’acoquinent avec des milieux peu recommandables voire des mafias. Osons le terme. La corruption reste une règle.
Mais le Montenegro est indépendant et c’est un peu tout ce qui importe aux habitants aujourd’hui, même si l’économie n’est pas au beau fixe et que les Montenegrins ont été tentés de se vendre aux plus offrants. Les Russes notamment qui composent aussi l’une des principales communautés de touristes!
L’importance des investissements immobiliers russes dans l’économie du Monténégro est connue. Il ne s’agit pas seulement des gens fortunés qui s’y sont installés, mais aussi d’entrepreneurs prétendument intéressés par le développement social et économique du pays. Il n’empêche que de nombreux habitants vivent péniblement avec 200 ou 300€ par mois.
Le littoral se bétonne partout, perdant toute authenticité, mais cela fait tourner l’économie pour quelques uns … On n’est finalement pas très loin de ce qu’était la mentalité de la période socialiste de la Yougoslavie.
Pendant que le touriste constitue comme en Croatie 20% du PIB et que certains dépècent et défigure le bord de mer du Montenegro, des villes comme Cetinje n’intéressent personne et c’est ce qui pour moi lui confère le plus de charme. (fin de la parenthèse).
Sur la route du mont Lovcen : faire étape à Cetinje
Cetinje n’est ni située sur le littoral ni encore vraiment dans les montagnes du Durmitor ; elle est dans cette zone un peu intermédiaire qu’il n’est pas évident de nommer, car on n’est ni dans le Montenegro adriatique, ni dans le Montenegro intérieur. Elle est bâtie au pied de l’impressionnant parc naturel du Lovcen qui attire les touristes en raison de la présence au sommet du mont du mausolée du roi Petar II Petrović-Njegoš, souverain estimé également reconnu pour son amour de la poésie.
Quand on regarde vers l’Est, le Lovcen tutoie les montagnes à perte de vue du Montenegro central. Vers l’ouest, il tombe à pic offrant l’un des plus beaux points de vue des Balkans sur la Via Dinarica ; à savoir le panorama sur les fameuses bouches de Kotor.
Si pour moi, cette balade en voiture de location (prise pour la journée : environ 25€) jusqu’au mont Lovcen depuis Kotor reste inoubliable, c’est avant tout en raison des conditions climatiques qui m’ont plongée dans une atmosphère étrange. Rien ne vaut les caprices du ciel pour forger quelques souvenirs. Car subir un orage d’été tardifs dans les solitudes désolées du parc national, puis retrouver à grand peine la Route Serpentine qui descend sur les Bouches de Kotor, ce n’est pas de tout repos ! Mais la vue sur les Bouches, entre soleil et nuées orageuses, m’a payée de ma frayeur.
Visiter Cetinje, une ville atypique et désuète comme je les aime
Venons en à Cetinje, puisque c’est l’objet de cet article. Cetinje donc, présente une unité temporelle qui en fait tout le charme. En un rien de temps, on semble transporté dans « le monde d’avant ». La seule observation des monuments bâtis tous en même temps dans le but bien précis de restaurer le royaume donne le ton de la ville, telle qu’elle se révèle aux visiteurs.
Il faut se montrer curieux et ne pas se limiter aux apparences d’une ville qui est assez peu attrayante, de prime abord et dont on cherche les divers centres d’intérêt et attractions, en dehors du monastère signalé à juste titre comme l’un des sites majeurs de l’orthodoxie au Montenegro.
Le monastère de Cetinje ; un coeur qui bat pour l’orthodoxie
Le monastère de Cetinje (Цетињски манастир) est devenu comme le monastère d’Ostrog bâti à flan de montagnes, un autre centre névralgique de la foi orthodoxe monténégrine, d’autant qu’il est le siège de la Métropole du Monténégro et du littoral, une subdivision de l’Église orthodoxe serbe.
La religion orthodoxe étant bien trop complexe pour mes modestes connaissances, je ne m’étendrai pas sur le sujet, si ce n’est pas signaler que Cetinjski Manastir s’avère être le monument actuel le plus vieux de cette ancienne capitale pourtant pluriséculaire, ce qui est assez surprenant.
Le monastère orthodoxe de Cetinje est situé un peu à l’écart de ce qu’on peut désigner comme le centre-ville, mais il est facilement accessible à pied. Il date du XVIIIème siècle et a été bâti sur l’emplacement de l’ancien palais d’
Le Montenegro semble aimer entretenir les légendes et les mythes et la religion s’en fait un précieux relais. Le monastère attire les curieux car il recèle un trésor, dont la main momifiée de Saint Jean Baptiste, des icônes et le tombeau de Saint Pierre de Cetinje et du prince héritier Danilo.
Le monastère originel avait été construit par Ivan Crnojević au XVème siècle, à quelques mètres de la zone où a été fondée la chapelle de la Naissance de la Sainte Vierge, mais sa taille initiale était bien plus réduite. L’ouvrage n’a pas survécu à l’envahisseur ottoman qui a détruit le monastère en 1692. Par chance, des fragments de mosaïques et de fresques et des restes de six chapiteaux de style Renaissance furent retrouvés et restaurés pour être utilisés et intégrés en façade, dans le présent monastère et témoigner des affres de sa longue histoire.
Le monastère de Cetinje est entouré de forêts et je ne saurais trop vous recommander la balade du Rocher de l’Aigle en dépit d’une montée assez raide réservée aux bons marcheurs ou voyageurs plus sportifs. Cardiaques s’abstenir. Le site mérite plus qu’un détour et si vous ne deviez limiter votre visite de Cetinje qu’à la découverte du monastère et de cette gracieuse chapelle construite en 1886 et dédiée à la naissance de la Vierge, vous ne le regretterez pas.
L’entrée de la chapelle est aujourd’hui payante : 2,5 €. Savoir qu’elle sert de tombeau royal, renferme deux reliques aussi importantes que la main droite de saint Jean le Baptiste et un fragment de la croix du Christ, cela impose au mieux le respect, au pire une certaine impression de petitesse face à autant de Mystère et de Sacré. Que l’on soit croyant ou pas, on reste admiratif devant la ferveur qui règne dans les lieux.
L’environnement bucolique jonché de grosses pierres provenant de l’ancienne église confère la petite touche supplémentaire qui invite à la méditation.
Contrairement à beaucoup d’églises en France où les touristes ont tendance à se croire dans un parc d’attractions et à s’agiter et photographier à tout va même pendant les offices ou entrer sans se soucier de leur respectabilité, il faut entrer en tenue modeste (châles disponibles pour les jeunes filles en short!) et avec recueillement. Le silence est prégnant. Si essentiel. J’aime cette atmosphère empreinte de religiosité.
La résidence du métropolite est riche en objets et ouvrages anciens précieux ; elle n’abrite pas seulement le sceau d’Ivan Crnojević, dont on rappelle qu’il est aussi le fondateur de Cetinje. On y retrouve une collection de coiffes (mitres), de vêtements liturgiques (chasubles), ornés de pierres de grande valeurs et autres bijoux. Que dire quand on aperçoit L’Octoèque, un ouvrage fondamental écrit en cyrillique du sud dont le monastère de Cetinje possède le premier ton?
Considéré comme un chef d’oeuvre de l’imprimerie religieuse au XVème siècle, ce livre liturgique également appelé Livre des huit tons pour qualifier le ton et le rythme des offices et des prières sur un cycle de huit semaines a eu une portée bien au-delà du Montenegro et des Balkans.
Le palais du roi Nicolas Petrović-Njegoš
Il temps de quitter le monastère pour visiter Cetinje à travers ses monuments historiques. Il suffit de zyeuter les abords pour vite repérer le palais du roi Nikola Ier. En réalité il ressemble plutôt à une demeure bourgeoise qu’à un château, mais son élégance est manifeste et la peinture aux tonalités rouge bordeaux évoque cette majesté.
Le palais a été transformé en musée ; l’une des parties étant destinée à rendre hommage à l’histoire du lieu et de la ville grâce à une collection d’étendards pris aux turcs, de médailles et d’armes, tandis qu’à l’étage, on peut observer une reconstitution fidèle des appartements du roi et de sa nombreuse famille.
Une agréable façon de se replonger dans l’époque où il était habité et incarnait une certaine grandeur des familles princières et royales, que s’efforce aussi de restituer le Musée National du Montenegro (Narodni muzej Crne Gore). Ce musée à la fois dédié à l’Art, l’Histoire, l’Archéologie, est imposant avec ses airs typiques de l’influence Mittleuropa et immanquable en raison de sa façade colorée en jaune d’or.
Les pays des Balkans ont toujours entretenu des relations avec la France et pour certains, cultivé une véritable admiration que la France leur a rarement rendu. C’est ainsi que dans ce petit coin d’Europe du sud-est, si méconnu, le style Napoléon III, tout en grâce raffinée et tarabiscotages, avait les faveurs des puissants. Il était teinté d’une inspiration exotique. Une superbe collection de vaisselles et de tableaux complète le joli effet.
A l’occasion de notre visite du palais, une des princesses, la belle Ksenija Petrović-Njegoš, fille de Nicola Ier et de Milena Vukotic, née en 1881 à Cetinje, est particulièrement attachante et intéressante par sa curiosité intellectuelle : grande voyageuse, bonne photographe, lettrée, elle fut une des premières femmes » libérées » et conductrice d’automobile !
Musée ethnographique de Cetinje
En face du palais de Nicolas Ier, l’ambassade serbe a été transformée en musée ethnographique. J’ai toujours été surprise par l’intérêt que les pays des Balkans portent à l’ethnographie et l’ethnologie. Presque tous les pays ont conservé des musées consacrés aux traditions, folklores et habitudes de vie anciennes et même certains villages mettent en valeurs quelque objet, maison, outil ou vêtement pour rappeler son histoire locale à travers le temps.
Ce musée ethnographique de Cetinje est l’un des nombreux musées que compte une ville pourtant petite. S’ajoutent le musée des Beaux Arts, le musée d’Histoire, le Bijlarda. On ne manque pas la statue monumentale du roi fondateur, Ivan Crojnevic, inaugurée en 1982.
Flâner dans Cetinje ; des couleurs, des ambassades et une ambiance surannée
Après ces premières visites historiques, prenons un peu de bon temps pour visiter Cetinje au rythme de ses habitants, en flânant sur l’ulica Njegoseva, sorte de Champs Elysées locaux, bordée de grands arbres, d’hôtels particuliers voisinant avec de petites maisons colorées et de nombreux cafés dont l’un porte un nom français : le Cap d’Antib’ !
L’ambiance est joyeuse, on retransmet dans plusieurs établissements, en terrasse, la demi finale de Roland Garros, et c’est un peu surréaliste.
Je choisis le Café Gradska, qui est paraît il un must, de par son intérieur années 30 et sa popularité.
Il fait beau, je m’installe sur l’esplanade ombragée (les parasols publicitaires seraient presque inutiles!) et je demande un café, mais le garçon quand même un peu hésitant m’apporte une sorte de café au lait glacé servi dans un grand verre avec un paille ! Renseignements pris à grand peine, je comprends qu’il fallait commander un « deutsche cafe » !!
Pas grave, c’est rafraîchissant et délicieux.
Puis je pars à la découverte des douze ambassades, là encore, les distances sont très faibles et il est facile de se repérer. Je vous présente les trois plus belles :
L’ambassade de France est en face du Palais du Gouvernement, orné de cariatides modernes : elle a été conçue dans le style Art Nouveau par deux architectes français, et on aimera ses rondeurs, ses mosaïques colorées tranchant sur le gris des pierres.
L‘ambassade de Russie, elle, est une symphonie en rose, et son portail en forme de papillon géant est une merveille.
A coté du parc municipal un peu ensauvagé, se trouve l’ambassade britannique, qui abrite le conservatoire de musique. J’ai pu entrer dans les premières pièces, au son du piano d’étude. L’ensemble est mal entretenu, les murs s’écaillent un peu et l’herbe est haute dans le jardin, mais quel charme envoûtant !
Il y a encore le théâtre Zetski Dom (1888) de style néo classique bien léché, encore en activité, et l’étrange Palais Bleu, un petit bijou construit pour le prince Danilo à l’orée du parc.
Je ne regrette pas un instant d’avoir décidé de visiter Cetinje en prenant mon temps. Cette petite ville qui semble figée dans le temps, et dont on se demande de quoi vivent ses habitants, m’a fascinée par son coté surréaliste et parfois un tantinet folklorique jusque dans le cocktail de couleurs de ses maisons et monuments. Il y a bien une petite zone « moderne » sur la route du parc national du Lovcen, mais cela reste très limité.
Ma note tout à fait personnelle car j’aime l’esprit atypique et le côté assez surprenant et déconcertant de Cetinje
Comment y aller ?
Cetinje se trouve à 45 km (en lacets!) de Kotor, à 32 km de Budva (mon lieu de séjour) et 10 km de Rijeka, autre petite ville fantôme au charme prenant. On peut s’y rendre en voiture ou en bus.
Tous les accès en sont difficiles en raison de la géographie locale, mais il y a des parkings gratuits aux abords de la ville. Il suffit de marcher un peu pour éviter les stationnements tous payants à l’intérieur du centre.
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C’est un must pour comprendre l’esprit monténégrin