Le 13e arrondissement est loin de figurer au palmarès des secteurs de Paris les plus visités, faute de monuments remarquables, la manufacture des Gobelins et l’hôpital de la Salpêtrière mis à part. Cet arrondissement n’en recèle pas moins des quartiers pleins de charme, au premier rang desquels la Butte-aux-Cailles, principal point d’attraction de l’arrondissement avec le Chinatown parisien. Zoom sur la Petite Alsace et, beaucoup plus secrète encore, sa voisine la Petite Russie…
De la naissance de la Petite Alsace à Paris
Début du 20e siècle. Venue du plateau de Guyancourt, la Bièvre, un très modeste affluent de la Seine, pénètre dans Paris à la Poterne des Peupliers, s’étire le long de la Butte-aux-Cailles, longe la manufacture des Gobelins, puis se transforme en égout dans sa traversée des quartiers Saint-Marcel et Saint-Victor. Il ne lui reste plus qu’à déverser ses eaux usées dans la Seine au sud du Jardin des Plantes. La partie qui nous intéresse ici concerne le flanc ouest de la Butte-aux-Cailles. Au pied de la colline, la rivière a, au fil des siècles, été envahie par des activités artisanales porteuses de nuisances. On trouve sur les rives de la Bièvre des boucheries, des triperies, des tanneries, des teintureries et des blanchisseries, l’eau étant indispensable à l’exercice de ces activités. La puanteur est redoutable, et les eaux repoussantes.
En 1910, la rivière est, après de longs travaux engagés des années plus tôt, couverte d’une dalle pour d’évidentes raisons de salubrité. Dès lors, le quartier change rapidement. Débarrassé de ses activités artisanales polluantes, il s’offre à la construction d’habitations et de locaux à usage professionnel : la Butte-aux-Cailles, auparavant limitée à un hameau du 19e siècle (dépendant jusqu’en 1860 de la commune de Gentilly), peut s’étendre vers l’ouest.
Ailleurs dans le 13e arrondissement, et notamment dans sa partie est, ont été installées durant les précédentes décennies, d’importantes usines dont la raffinerie de sucre Say et l’usine automobile Panhard constituent les deux plus importants gisements d’emplois. Les constructions de logements pour les salariés de ces usines se multiplient, le plus souvent à l’initiative d’associations, de coopératives ouvrières ou de sociétés d’habitations à bon marché. Parmi elles L’habitation familiale, fondée en 1912 par l’abbé Jean Viollet.
À la demande de l’abbé Viollet, l’architecte jurassien Jean Walter est chargé de réaliser un ensemble d’habitations individuelles destiné à des familles ouvrières nombreuses pouvant aller jusqu’à… 12 personnes par foyer ! En accord avec le prêtre bâtisseur, l’architecte, dans le sillage de ses précédentes créations pour les ouvriers de Japy à Montbéliard, conçoit une cité-jardin originale : autour d’une cour arborée de 550 m², 40 petites maisons mitoyennes à colombages inspirées de l’habitat alsacien sortent du sol à la fin de l’année 1912. La Petite Alsace est née.
Pour l’apprécier de l’extérieur, ou en admirer partiellement les maisons sur cour, rien de plus facile : la Petite Alsace se situe au n°10 de la rue Daviel, face à la séduisante villa Daviel, elle-même constituée de jolies maisons individuelles. Difficile en revanche de pénétrer dans la cour de la Petite Alsace, les habitants du lieu étant, à juste titre, très attachés à leur tranquillité. Il est toutefois d’usage que les visiteurs puissent profiter de l’entrée d’un résident pour, avec son accord, franchir la barrière de bois bleu et se glisser sous le porche jusqu’à la limite des premiers pavés de la cour. De là, c’est la quasi-totalité de la cité qui se dévoile, charmante en diable, particulièrement au printemps lorsque les arbres s’habillent de vert tendre avec, à leur pied, primevères et narcisses.
Les Russes blancs de la Butte-aux-Cailles
C’est de ce point d’observation que l’on découvre l’autre lieu insolite du flanc ouest de la Butte-aux-Cailles : la Petite Russie, perchée en arrière-plan, en surplomb de la rangée des maisons à colombages qui ferment au nord la Petite Alsace. Comment diable les maisonnettes blanches de la Petite Russie sont-elles allées se percher dans les hauteurs, à une bonne quinzaine de mètres au-dessus du sol ? Une maison ne doit-elle pas avoir ses fondations ancrées dans le sol ? Certes, et c’est là que réside le principal sujet d’étonnement car la Petite Russie a été construite non sur un banal terrain donnant sur la rue, mais sur le toit-terrasse d’un grand garage !
Pas n’importe quel garage, et pas pour n’importe quels résidents. En 1912, pour faire face au développement croissant du transport automobile, la société des Taxis Citroën cherche un local de remise et d’entretien pour ses véhicules. Son choix se porte sur un terrain attenant à celui de la Petite Alsace. Encore faut-il pouvoir disposer facilement des chauffeurs de ces taxis afin qu’ils puissent prendre tôt leur service ou, au contraire, le terminer tard dans la nuit sans se trouver eux-mêmes dans l’impossibilité de rentrer à leur domicile. D’où l’idée de construire à leur intention des petites maisons. Pas question pour autant de dépenser plus en foncier dans un secteur où les prix augmentent rapidement après la couverture de la Bièvre. C’est alors que surgit l’idée originale de bâtir au-dessus du garage, sur une grande dalle-terrasse commune, un ensemble de 16 maisons mitoyennes réparties en deux rangées de 8 adossées l’une à l’autre.
La Cité Citroën est née. Dès le début figurent parmi les chauffeurs des opposants russes ayant fui la dure répression tsariste lors de la révolution de 1905. Quelques années plus tard, ils sont rejoints par des Russes blancs ayant, à leur tour, fui la révolution bolchévique de 1917. Parmi eux, des officiers de l’armée tsariste qui se révèlent des employés précieux pour leur sérieux au travail. C’est à cette époque que la Cité Citroën prend le nom de Petite Russie, par analogie avec sa voisine la Petite Alsace.
Il n’est malheureusement guère possible de visiter cet ensemble protégé par un digicode au n°22 de la rue Barrault, sauf à emboîter le pas à l’un de ses habitants. Si tel est le cas, il suffit alors de suivre un couloir d’une douzaine de mètres puis, après quelques marches, de prendre à gauche le grand escalier cimenté extérieur qui mène à la Petite Russie, au niveau du 3e étage de l’immeuble sur la rue, occupé par un établissement de la chaîne Timhotel. La meilleure occasion de visiter ce lieu insolite réside toutefois dans les journées portes ouvertes organisées une ou deux fois par an par les artistes du 13e arrondissement. Au plaisir de découvrir la Petite Russie et, en contrebas de la terrasse sud, la Petite Alsace, s’ajoute celui de la visite de l’atelier du peintre néerlandais Jos Verheugen, installé dans ce havre de paix parsemé de jardinières fleuries et de parasols.
Redescendu dans la rue Barrault, il ne reste plus qu’à monter la rue Alphand pour se rendre au cœur de la Butte-aux-Cailles dont les murs sont, ici et là, décorés d’œuvres éphémères de street-art et de slogans de Miss Tic. Après quoi s’impose un verre ou un casse-croûte dans l’une des institutions de la Butte : Le merle moqueur, Le temps des cerises, ou (rue des Cinq-Diamants) le bistrot Chez Gladines. J’ai habité quelques années la Butte-aux-Cailles dans les années 70. J’y achetais mon pain dans la boulangerie de Mme Gsell et mes légumes au cour des halles de M. Clauzade, j’y buvais mon café au bar-tabac Le Longchamp, j’y rencontrai fréquemment M. et Mme Soleil, entièrement vêtus de cuir noir. La Butte était alors un village tranquille en plein Paris. Depuis, elle est devenue l’un des quartiers branchés de la capitale et constitue un lieu de rendez-vous très prisé des bobos parisiens. Les temps changent !
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