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Manipulation des hommes : rapidité et silence ; les consignes aux policiers de la Rafle du Vel’ d’Hiv’

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« La rafle » est un film auquel France 2 a consacré une pleine émission, mardi soir 9 mars 2010. Réalisé par Rose Bosch, La Rafle relate un événement tragique survenu sous le régime Pétain, les 16 et 17 juillet l’été 1942 à Paris. Il s’appelle dans les livres d’Histoire « la rafle du Vél d’Hiv’ », du nom de l’ancien vélodrome parisien où 13.152 Juifs ont été entassés avant d’être déportés dans les camps d’extermination nazis. Un nombre infime d’entre eux seulement en sont revenus.

 

Des actes méticuleusement prescrits aux « agents capteurs »

L’opération a été effectuée par la police française. La circulaire qui l’organise, signée du directeur de la Police Municipale Hennequin a été conservée (3). On y découvre une savante connaissance de la manipulation des hommes pour réussir à obtenir d’honnêtes agents, censés faire respecter l’ordre et la loi, qu’ils arrêtent sans sourciller des innocents. Datée du 12 juillet 1942, cette circulaire comprend 8 articles qui apportent réponse à tous les problèmes susceptibles de se poser aux gardiens de la paix, appelés « agents capteurs », dans leur œuvre de guerre et de mort.

Ainsi leur est-il instamment demandé de prendre bien soin de la conservation des biens vidés de leurs occupants : ils doivent veiller à ce que soient fermés les compteurs à gaz, d’électricité et d’eau. Les animaux éventuels et la clé du logement sont confiés au concierge qui en devient responsable (articles 3 et 4). En revanche, les enfants doivent être emmenés avec la ou les personne(s) arrêtée(s) si aucun occupant ne reste dans le logement : à la différence des animaux domestiques, il est expressément précisé qu’« ils ne doivent pas être confiés aux voisins ». (article 6).

La consigne du silence

Outre l’inventaire pointilleux des misérables bagages auxquels les victimes arrêtées ont droit, ce qui frappe, ce sont les modalités strictes auxquelles les agents capteurs doivent se conformer pour procéder aux arrestations. Les trois articles 1, 2 et 7 leur sont consacrés :

« 1°) Les gardiens et inspecteurs, après avoir vérifié l’identité des Juifs qu’ils ont mission d’arrêter, n’ont pas à discuter les différentes observations qui peuvent être formulées par eux.

2°) Ils n’ont pas à discuter non plus sur l’état de santé. Tout Juif à arrêter doit être conduit au Centre primaire. (…)

7°) Les gardiens et inspecteurs sont responsables de l’exécution. Les opérations doivent être effectuées avec le maximum de rapidité, sans paroles inutiles et sans aucun commentaire. »

Ainsi silence et rapidité sont-ils les deux consignes majeures données par l’autorité qui conditionnent l’exécution de la besogne criminelle confiée à des agents chargés par fonction du maintien de l’ordre. À bien y réfléchir, c’est vrai, parler et prendre son temps reviendrait à mettre les agents en danger et à compromettre la réussite de la rafle.

Si les victimes se mettent, en effet, à contester leur arrestation et à demander des explications, leurs arguments sont irréfutables : mais qu’ont-ils donc fait pour qu’ils soient traités en délinquants ? Leur propre pays ne les prive-t-il pas sans raison de leurs droits élémentaires de citoyen, la liberté d’aller et venir, la sûreté et la présomption d’innocence ?

Les effets délétères auxquels risquent d’être exposés les agents capteurs sont incalculables et même désastreux. Les malheureux peuvent découvrir subitement que leur autorité les oblige à agir en violant les règles qui fondent leur profession de gardien de la paix. Ils risquent de se retrouver devant un cas de conscience. Qu’arrivera-t-il s’ils en viennent à douter de la légitimité de leur mission ? Par réflexe socioculturel conditionné de compassion et d’assistance à personne en danger, ils peuvent devenir sensibles au mal qu’ils commettent en se comportant en véritables bourreaux envers des victimes innocentes. Qui sait s’ils ne risquent pas de remettre en cause les ordres reçus et désobéir ?

La consigne du maximum de rapidité

La rapidité d’exécution vise justement à limiter le danger d’enfreindre la loi du silence en réduisant la durée d’un échange possible. Ainsi le temps nécessaire à la réflexion est-il ôté aux agents. On reconnaît le leurre de la prise de décision précipitée qui paralyse toute activité rationnelle. L’agent immobilier l’utilise souvent quand il sent son client intéressé par un logement et qu’il le voit hésiter : en lui annonçant qu’un autre client est sur l’affaire et que le bien est au premier qui signe, il sait contrarier sa réflexion rationnelle qui a besoin de temps pour peser les avantages et les inconvénients. Dans la précipitation – « le maximum de rapidité » – qui leur est demandée, les agents parisiens deviennent dès lors prisonniers du réflexe de soumission aveugle à leur autorité.

Les expériences de Stanley Milgram et la prochaine émission de C. Nick sur France 2

Rendus sourds et indifférents au mal qu’ils accomplissent, il leur reste la satisfaction de faire leur devoir qui leur a été prescrit par leur autorité. Ils se refusent à contrôler la légitimité des ordres qui leur sont donnés. Leur fonction est de les exécuter au mieux. Partant, ils n’assument pas la responsabilité du contenu des ordres reçus – l’arrestation d’innocents – mais seulement celle de leur bonne exécution.

Les expériences de Stanley Milgram à l’Université de Yale entre 1960 et 1963 ont aidé à comprendre cette incroyable soumission aveugle à l’autorité (1). Un documentaire de Christophe Nick qui sera diffusé sur France 2, le 17 mars prochain, les rappelle dans le contexte d’une émission de téléréalité, « Le jeu de la mort » : alors que Stanley Milgram obtenait une moyenne de 63 % de sujets obéissants, pour les 18 variantes de ses expériences, Christophe Nick a enregistré 80 % de joueurs capables d’infliger jusqu’à 450 volts à un autre joueur qui ne leur a rien fait, mais seulement sur l’ordre d’une animatrice et sous les encouragements de la claque réunie dans le studio.

Il reste, cependant, qu’une minorité s’y refuse toujours obstinément. Elle aide à ne pas perdre l’espoir, comme le raconte aussi dans son livre, « La vie à fil tendu », Georges Charpak, physicien français, devenu Prix Nobel de physique en 1992 (2). Il se souvient très précisément de « la Rafle du Vél’-d’Hiv’ », et pour cause : il a pu en réchapper de justesse avec sa famille, grâce à une information secrète qui lui a été transmise par un camarade de lycée : « À partir de juin 1942, écrit-il, ma famille dut porter l’étoile jaune et en juillet, le 15 exactement, un de mes camarades qui s’appelait Jean Demarq, vint me prévenir qu’on allait arrêter les Juifs de Paris dès le lendemain. Son père était policier et lui avait dit de nous avertir. Qu’il en soit remercié. »

(1) Stanley Milgram, « Soumission à l’autorité », Éditions Calmann-Lévy, 1974.

(2) Georges Charpak, « La vie à fil tendu », (écrit en collaboration avec D. Sorinos) Editions O.-Jacob, Paris, 1993)

(3) La préparation de  » la rafle du Vél’-d’hiv’  » des 16 et 17 juillet 1942

PREFECTURE DE POLICE

Direction de la Police Municipale – Etat-major – 1° Bureau B

Paris, le 12 juillet 1942

CONSIGNES POUR LES ÉQUIPES CHARGÉES DES ARRESTATIONS (*)

1°) Les gardiens et inspecteurs, après avoir vérifié l’identité des Juifs qu’ils ont mission d’arrêter, n’ont pas à discuter les différentes observations qui peuvent être formulées par eux.

En cas de doute, ils les conduisent de toute façon au Centre, dont l’adresse leur sera donnée par le Commissaire de Voie Publique, et en s’assurant qu’ils ont bien pris les objets indiqués plus loin. Seul, le Commissaire de Voie Publique est qualifié pour examiner les situations. Pour les cas douteux, les gardiens mettent sur la fiche la mention « à revoir ».

2°) Ils n’ont pas à discuter non plus sur l’état de santé. Tout Juif à arrêter doit être conduit au Centre primaire.

3°) Les agents chargés de l’arrestation s’assurent, lorsque tous les occupants du logement sont à emmener, que les compteurs à gaz, de l’électricité et de l’eau sont bien fermés. Les animaux sont confiés au concierge.

4°) Lorsque tous les occupants du logement sont à emmener, les clés sont remises au concierge (s’il n’en existe pas, au plus proche voisin) en signalant que ce dernier est considéré comme responsable de la conservation des meubles, objets et effets restés dans le logement. Dans les deux cas il sera mentionné, comme il sera indiqué plus loin, les nom et adresse de la personne dépositaire des clés.

5°) Les Juifs arrêtés devront se munir :

a) de leur carte d’identité d’étranger, de tous autres papiers d’identité et de famille jugés utiles ;

b) de leurs cartes d’alimentation, feuilles de tickets et carte de textile ;

c) des effets et ustensiles suivants :

2 couvertures,    1 paire de draps,

1 paire de chaussures,   1 gamelle,

2 paires de chaussettes,  1 gobelet,

2 chemises,    1 bidon (si possible),

2 caleçons,    1 jeu de couvert pour les repas,

1 vêtement de travail (ou usage) 1 nécessaire de toilette,

1 tricot ou pull-over,   (le rasoir est autorisé) ;

d) de deux jours de vivres au moins. Ils peuvent en emporter davantage s’ils le veulent (pas plus de deux valises grandeur moyenne, ne contenant que des provisions de bouche) ;

e) les couvertures seront portées en bandoulière, les effets et objets de la liste ci-dessus seront placés dans un seul sac ou valise ; soit au total 2 valises ou paquets, dont un pour les vivres.

6°) Les enfants vivant avec la ou les personnes arrêtées seront emmenés en même temps, si aucun membre de la famille ne reste dans le logement. Ils ne doivent pas être confiés aux voisins.

7°) Les gardiens et inspecteurs sont responsables de l’exécution. Les opérations doivent être effectuées avec le maximum de rapidité, sans paroles inutiles et sans aucun commentaire.

8°) Les gardiens et inspecteurs chargés de l’arrestation rempliront les mentions figurant au dos de chacune des fiches :

indication de l’arrondissement ou de la circonscription du lieu d’arrestation ;

« Arrêté par », en indiquant les noms et service de chacun des gardiens et inspecteurs ayant opéré l’arrestation ;

le nom et l’adresse de la personne à qui les clés ont été remises ;

en cas de non-arrestation seulement de l’individu mentionné sur la fiche, les raisons pour lesquelles elle n’a pu être faite et tous renseignements succincts utiles ;

et selon le tableau ci-après :

SERVICE :

Agents capteurs :

Nom _________________________________ Service ___________________________________

Nom _________________________________ Service ___________________________________

Clés remises à M. ______________________

N°_____  rue ___________________________________________________________________

Renseignements en cas de non-arrestation : ___________________________________________________

______________________________________________________________________________________

Le Directeur de la Police Municipale

Signé : HENNEQUIN

* SOURCE : « La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l’Ouest présentée par la France à Nuremberg », recueil de documents publié sous la direction de Henri Monneray, substitut au Tribunal Militaire International, Préface de René Cassin, Vice-Président du Conseil d’Etat, Introduction d’Edgar Faure, Procureur Général adjoint au Tribunal Militaire International, Editions du Centre, Paris, 1947, p. 145.

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