Carthage a connu une histoire passionnante et tourmentée. Site archéologique majeur de la civilisation africo-romaine, Carthage fut pendant des siècles l’une des capitales de l’Empire romain. De la Carthage ancienne à la Carthage punique, de la Carthage d’Hannibal à la Carthage d’Auguste ou de Saint Augustin qui l’avait promue cité de Dieu, découvrons les diverses périodes qui ont fondé la grandeur de Carthage.
Situé sur une colline qui domine le golfe de Tunis, Carthage a joué un rôle de premier plan dans l’antiquité et en conserve des vestiges qui n’ont cessé de nourrir l’imaginaire universel. Ne s’agit-il pas de l’un des centres les plus brillants de la civilisation africo-romaine ?
Carthage, la grandeur d’une des villes éternelles de la Méditerranée
Carthage, au temps de la grandeur romaine, fut l’une des cinq capitales de l’Empire avec Rome, Constantinople, Antioche et Alexandrie. Elle fut fondée par une princesse phénicienne, sœur de Pygmalion, du nom d’Elisa-Didon qui, pour échapper à la tyrannie de son frère, s’était enfuie à la tête d’une petite flotte et, après deux années d’errance, s’était installée sur la lagune de terre qui bordait le lac de Tunis, alors navigable. La légende veut qu’en ce lieu elle fonda la ville, mais, contrainte d’épouser un prince autochtone afin de gagner la bienveillance des habitants et établir l’alliance entre l’envahisseur et l’indigène, elle prétexta qu’il lui fallait d’abord rompre les liens d’un précédent hymen, fit élever un bûcher et s’y précipita, s’immolant plutôt que de lier son sort à un homme qui ne partageait pas ses croyances. Ainsi allait s’élever au fil des siècles une ville-Etat qui, à l’exemple de Didon, ne manquerait ni de panache, ni de fierté, ni de grandeur.
Carthage ferait trembler et pâlir d’envie les pays qui bordent la Méditerranée ; elle exercerait son pouvoir jusque sur l’Espagne, la Sardaigne, la Sicile, l’Italie, la Grèce, succomberait et renaîtrait cent fois sous les Phéniciens, les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabo-musulmans, les Croisés, les Espagnols, les Turcs, les Français ; vieille d’un passé de trois mille ans et riche d’une épopée prestigieuse dont le crépuscule ne parvient pas à dissiper les dernières lueurs, elle reste presque, à l’égale de Rome, une ville éternelle.
A la Carthage punique d’Hannon, qui avait été reine des mers, avait succédé celle d’Hannibal, maîtresse du monde, puis celle d’Auguste, capitale de l’Africa pro-consulaire, enfin, après la Carthage de saint Augustin qui avait promu la cité de Dieu, elle était devenue vandale pendant un siècle, byzantine avec Bélisaire, avait été conquise par les Arabes qui lui préférèrent Tunis.
Visiter Carthage, à travers les temps
Pour le visiteur qui s’attarde sur les lieux de la Carthage ancienne, il est émouvant d’essayer de les imaginer dans leurs différentes configurations, dont le temps les a passagèrement revêtues. Le sol est encore marqué de ces strates qui relatent l’histoire des hommes, leurs combats, leurs victoires, leurs défaites, leurs audaces, leurs croyances, leurs errements. Ainsi la colline de Byrsa, mot phénicien qui signifie « lieu fortifié », était-elle couronnée à l’époque punique par les temples du dieu Echmoun, à l’époque romaine par un monument dédié à la triade Jupiter-Junon-Minerve, au temps d’Auguste par une mosaïque figurant des monstres sans tête ou sans membre, qui intriguait à ce point les badauds qu’ils se pressaient autour d’elle et que saint Augustin, saisi lui-même d’étonnement, en parle dans ses écrits. Ainsi se succédèrent les sanctuaires, tantôt religieux, tantôt païens, comme si le monde ne cessait d’osciller entre ces deux pôles, de s’user entre l’espérance et le désespoir, la foi et le doute, la grandeur et la misère, le durable et l’éphémère. Oui, les hommes ont écrit ici une page mémorable qui leur ressemble, pleine d’effusion et d’indifférence, de douleur et de volupté, d’agitation et d’apaisement.
Le port de Carthage fut longtemps dominé par deux colonnes ioniques qui donnaient à la circonférence constituée par le bassin principal l’aspect d’un portique et voyait accoster les navires marchands, tandis que se croisaient dans les avenues bordées de villas, de temples et de palais, une population cosmopolite. Depuis l’esplanade, on discerne toujours au loin une chaîne de reliefs qui barre l’horizon au sud-est. C’est sur l’un de ces versants que la ville avait été édifiée à l’origine. L’agglomération s’étendit ensuite jusqu’aux rives de la Béhéra, lac salé qui baigne la presqu’île de Carthage. Au-delà, une zone de jardins et de verdure et, sur la bande de terre lagunaire qui sépare le lac de la mer, le port de la Goulette. Après la chute de Carthage, ce site avait toujours conservé une importance stratégique. En 1535, il avait été annexé par Charles-Quint qui y avait établi de puissantes fortifications et en avait fait sa base maritime pour dominer l’ensemble de la Méditerranée.
C’est également à Carthage en 203 qu’avaient été livrées aux fauves Perpétue et sa servante Félicité. On suppose que leurs corps furent inhumés dans la basilica majorum dont, hélas !, il ne reste que des vestiges épars. Au temps d’Hamilcar, père d’Hannibal, le lieu se nommait Mégara et était bâti à l’emplacement des citernes romaines alimentées par l’aqueduc qu’avait fait construire l’empereur Hadrien. Dans ce voisinage se trouvait la sépulture d’un autre martyr saint Cyprien, sur laquelle avait été élevée une imposante basilique à sept nefs, qui se terminait par une abside encadrée de deux sacristies.
Parmi les bouquets de cyprès, il faut se représenter les monuments d’alors : les églises abondamment décorées, les cathédrales imposantes dont les voûtes reposaient sur des colonnes en marbre, les palais aux salles circulaires ouvrant sur des patios, les chapelles tréflées, les atriums en hémicycle entourés de portiques, les stèles votives, les nécropoles, les fontaines peuplées de statues, les thermes aux gigantesques chapiteaux corinthiens, enfin les citernes aux bas-reliefs frappés de têtes d’empereurs et de déesses.
Aujourd’hui, il ne reste que des ruines magnifiques qui se détachent sur le bleu du ciel, symphonie qui mêle la lumière, la mer, les reliefs que l’on devine dans la brume et la minéralité du passé sculptée par le vent et la pluie. Il y a là une ordonnance magistrale comme si le passé s’était juste assoupi, tout prêt à renaître comme une fabuleuse légende inoubliée.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE