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Vivre en Thaïlande : une Farang en pays Isan

isan thailande fleuve

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L’eau apparaît souvent dans le vocabulaire thaï et se retrouve dans de nombreuses associations. Plus qu’un élément, l’eau peut créer des liens au sein des communautés qui constituent l société thaïlandaise.
isan thailande fleuve

L’art d’offrir son coeur en terre Isan

Celui qui voyage ou réside en pays tropical, connaît l’importance de l’eau dans ces régions. La pluie nourrit la terre des rizières. Dans le passé, les canaux (khlongs) étaient les autoroutes qui reliaient régions et villages. Aujourd’hui Bangkok a « bétonisé » ses khlongs et la capitale s’est transformée en ville de gratte-ciel construite sur des marais asséchés (pas de parkings de voitures en sous-sol à Bangkok, et pour cause). Bangkok n’aime pas vraiment la pluie, elle paralyse la circulation, déjà démente en temps ordinaire.

La pluie est promesse de bonnes récoltes, donc de vie. La sécheresse, c’est la misère.

La région Isan (Nord-Est de la Thaïlande) subit chaque année, et de plus en plus avec les changements climatiques, des périodes extrêmes d’inondations et de sécheresse. C’est une réalité géographique et climatique, donc sociale. Pourtant, c’est à Bangkok la capitale que tout paraît sec, « comme dans un désert ». Évocation métaphorique bien sûr, car on parle ici de  «l’aridité du cœur». Celle des gens pressés qui s’ignorent, du monde des affaires et du fric. De l’inhospitalité insupportable d’une capitale qui fait ressortir la terre d’Isan comme la terre des « verts pâturages », en tout cas pour ceux qui ont été obligés de la quitter.

Dans le vocabulaire thaï, beaucoup de mots sont associés à l’eau (น้ำ : ton haut) Comme « Nam djaï » par exemple. Belle association de « eau et cœur » et qui veut dire, en traduction imagée, donc thaïe : « cœur mouillé ». Mais bien sûr, si l’on traduit en français dans son contexte, ça donne : généreux, attentionné. Nam Jaï c’est, par exemple ramener un petit souvenir de voyage à sa famille, à ses amis ou collègues. (Dans tous les arrêts de bus en province, on vend des spécialités de la région : pas pour grignoter en route, mais pour offrir à quelqu’un à l’arrivée). C’est céder sa place à une personne âgée….

« Nam Jaï » est donc un acte facile qui ne demande pas beaucoup d’effort. Comme l’eau de la rivière coule dans son lit.  Ce sont des mini attentions qui relient – comme l’eau – et créent des liens entre les personnes d’une même communauté, d’un même village, d’une même famille et rendent la vie un peu moins désagréable. L’autre existe et on lui fait savoir.

« Nam Jaï « c’est donc ce qui nous rend plus humain en Thaïlande.

L’inverse de « Nam Jaï » c’est « Nam haeeng » cœur sec : donc égoïste, celui qui manque d’égard ou de reconnaissance envers les autres.

Je cherchais un titre pour mon dernier roman et j’avais pensé un moment à « Cœur mouillé », mais difficile à comprendre en dehors du contexte thaïlandais.

Dans ce même roman, j’ai repris le texte d’une chanson plutôt triste. Un père et son fils ont été obligés d’émigrer vers la capitale pour trouver du travail :

« Père, il va bientôt pleuvoir

« Rentrons à la maison (sous-entendu au village)

« Le père avale sa salive avec peine

« Et répond à son fils :

« J’ai vendu notre terre mon fils »

« Nous n’avons plus besoin de la pluie maintenant

C’est parfois difficile d’expliquer pourquoi je continue – en dépit des bouleversements dus à la mondialisation – à aimer la Thaïlande. Et je ne peux m’empêcher d’avoir les larmes aux yeux en écrivant les mots de ce père à son fils.

Eh, vous voulez savoir comment on dit « larmes » en thaï : « nam taa » : l’eau des yeux.

ET comment on traduit une émotion qui vous fait passer du rire aux larmes : « yim thaang nam taa » : le sourire qui prend le chemin de l’eau des yeux

Et un petit dernier pour la route : sperme se dit «nam kaam » l’eau du désir !

Souris et tue… mais ça n’est plus une plaisanterie

Pourquoi ce titre pour ma chronique « Une farang en Isan » écrite  il y a plus de 6 ans, a laquelle j’avais ajouté- pour adoucir le propos – « Plaisanterie thaïlandaise » ?  C’est une amie, rencontrée à Khorat qui m’en avait soufflé l’idée. J’étais alors à la recherche des parents de ma fille adoptive et venais de découvrir, avec une émotion qui ne me quittera plus, qu’elle était –  non seulement thaïlandaise – mais aussi isan. Sur la route, que je remontais par petites étapes, entre Bangkok et Nongkhai, je m’arrêtais donc à  Korat.

Dans le restaurant, une chanteuse habillée en garçon ,costume et mocassins noirs, et s’accompagnant à  la guitare,  passait du répertoire folk isan à des rengaines américaines. A la fin de son tour de chant, elle  rejoignait ma table, étonnée de m’y trouver seule, en la seule compagnie du livre de l’écrivain Pira Sudham, « people of isan », celui-là même qui m’avait fait prendre conscience un peu plus tôt, de l’origine paysanne de ma fille.

« Je m’appelle Nong » m’avait dit la chanteuse aux allures de garçon en s’asseyant en face de moi, « mais mon vrai nom est Duang Jaï ». Elle m’avait ensuite parlé de Phongsit Khampi, ce chanteur isan qui faisait partie de son répertoire. « Il écrit sur son village. C’est beau et triste ». Elle avait alors fredonné quelques mesures les yeux fermés. « Ça parle de la « maison » (baan), celle qu’on emporte toujours dans ses rêves et que l’on a été obligé de quitter pour aller travailler au loin ». 

Je m’étais étonnée des mots « départ », « éloignement », « séparation »… « C’est le lot des isan : quitter leurs racines pour gagner de l’argent ailleurs. Loin ».  « Est-ce que parfois ils reviennent chez eux « ? avais-je demandé. Nong avait alors fredonné a nouveau –  parodiant le chanteur ou l’écrivain –  « Ah ! Revenir aux valeurs anciennes… à la boue des commencements ». Puis  : « Non,  ils y reviennent seulement pour mourir ». « Pourquoi cette résignation »? – « Qui sait » ? avait répondu Nong avec un sourire énigmatique, « les paysans isan sont peut-être résignés, comme ces buffles des rizières que l’on frappe et qui ne se révoltent jamais ».

Plus tard, Nong m’a rejoint à Udon avec sa petite voiture. Elle ne portait plus son costume de scène sévère mais un tee-shirt qui annonçait fièrement son homosexualité : « Rebels of love ». Sur la route, elle m’avait raconté le conflit entre armée laotienne et forces Thaïlandaises –  qui, en 1988 – et pour  un petit bout de colline à cheval sur la frontière des deux pays, avait provoqué un vrai massacre. Tout avait commencé avec des insultes, puis  perte de face des généraux, puis tuerie. Et la mort de jeunes soldats. Des deux côtés.

Incrédule, j’avais remarqué : « Et moi qui croyais que les Thaïlandais ne prenaient jamais rien au serieux, qu’ils souriaient toujours » ! « Oui, mais ne t’avise pas de les insulter » avait répliqué Nong, « Sinon le sourire, qui n’est qu’une façade, s’efface. Et alors le sang coule. La mort n’impressionne pas les thaïlandais tu sais grande sœur ! » Et puis, philosophe : « Après tout, la mort n’est jamais qu’un état transitoire entre deux néants ».

Blog MIXED ETHNIES10

(avec mon assistant Ek, entre deux frontières : Thailande/Birmanie)

« Aujourd’hui, qui dirige la Thaïlande »? interroge Arnaud Dubus, correspond français à Bangkok pour le journal Liberation. « L’homme du moment au pouvoir est le colonel Sansert – beau gosse, porte parole du régime d’Abbhisit. Il affiche en permanence un sourire beat, sauf quand il lit les communiqués du CRES (l’organe de répression). Son fan club sur facebook a explosé. Les minettes apprennent avec ravissement qu’il taquine la guitare et avait entamé une carrière de crooner lorsqu’il était ado ».

Alors Nong avait raison : On peut tenir une guitare et un AK-47 ? On peut chantonner faux et tirer ? On peut sourire et tuer. « Yim laeaw ko ying »…

« Mais derrière ce sourire », ajoute Arnaud Dubus, « se cache une campagne de répression sans précédent en train de se dérouler dans les provinces ».

Mon ami, mon « chéri », my « thee rak », avait raison d’avoir peur l’autre jour au téléphone, au point d’en renier ses propres convictions. Parce qu’en Thaïlande aujourd’hui, on sourie et tue. A moins que ça ne soit l’inverse : on tue et sourie »

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La photo n’est pas de moi, mais j’ai reconnu le prisonnier aux longs cheveux, croisé sur ma route lorsque je me promenais parmi les chemises rouges.

Je ne sais pas pourquoi, mais ces derniers temps, je ressens – moi qui ne suis pas Isan ( ma fille Amnuay, l’est) – mais originaire du nord et le revendiquant (voir mes notes sur Calais), c’est-à-dire
plus ou moins « cht’i », je ressens quelque chose qui relève de la fierté
d’appartenir à  une région  (à  force d’être diluée dans une Europe aux frontières incertaines, et dans un monde encore plus incertain). Comme ce slogan lancé il y a une vingtaine
d’années  (et remis à  la mode par le film de Danny Boon) :


« Ch’ti et fier de l’être », les Isans, au lieu de courber le
dos sous le poids des difficultés, des moqueries des citadins de la capitale,
devraient relever le front (mais peut-être sont-ils en train de le faire en
sourdine ou en secret), et clamer : « Isan et fier de
l’être » ! S’ils ne l’ont jamais formulé aussi clairement, – ils ont
’humilité dans leur gènes ces thaïlandais qu’on considère à tort comme de
seconde zone –  ils ont pourtant cette
fierté dans le sang.

Michèle Jullian

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