Dans la catégorie bande dessinée historique, j’ai nommé Alix. « Extraordinairement habile dans le forfait et la dissimulation. Un très grand fourbe. » C’est ainsi qu’Alix, le Gaulois devenu Romain, qualifie Arbacès le Grec, son ennemi de toujours depuis que l’adulte a tenté de séduire l’éphèbe de 16 ans dans le premier volume. Telle est la réputation des Grecs, que le récent forfait du maquillage des comptes publics pour entrer par effraction dans l’euro a renforcé. L’album a été écrit en 2001, mais l’histoire remonte à mille ans !
Alix et son compagnon Enak, 20 et 16 ans désormais, sont invités dans l’île d’Icarios par Numa, rencontré dans ‘L’enfant grec’. Archéloa, son épouse, est amoureuse d’Alix et son époux en joue pour l’attirer. Les deux garçons vont être embringués dans la prise de la ville par des pirates menés par Arbacès. Ressuscité, il veut se venger à la grecque, dans l’histrionisme et la démesure. Les jeunes lecteurs ont là tous les ingrédients d’un bon scénario d’action, comme Jacques Martin sait en composer. Les passions n’y sont jamais absentes, dans la lignée des mémorialistes latins. Il s’agit d’avidité pour l’argent, le pouvoir ou la gloire. Rien de nouveau sous le soleil, les footeux d’aujourd’hui ne rêvent toujours que de fric, de grosse bagnole, de femme superbe et de baraque qui en jette.
Alix remarque des allées et venues suspectes de bateaux dans le port et alentour, mais le gouverneur romain de la citadelle, bien assis et content de lui, dénigre ces lubies de jeunesse. Lorsqu’il sera mis le nez dedans, il confiera à Alix, en gros politique, le soin d’entraîner les jeunes de la cité pour épauler les troupes trop peu nombreuses. Julia, la fille du gouverneur, aimerait bien qu’Alix et Enak se mettent nus pour se baigner avec elle dès leur première rencontre, mais Alix est un prude Romain et affirme : « c’est simple, les femmes ne se baignent pas avec les hommes. » Julia se déguisera en jeune guerrier pour tenter de le séduire, s’attirant le reproche par son père de « dépasser les bornes ». Il la laisse faire en gros politique pour garder Alix à son service.
Fuyant en bateau et pris dans une tempête, Julia toute excitée saute sur Alix alors qu’Enak gît à quelques pas, écroulé de fatigue. Sa tunique trempée ne cachant rien de ses formes, elle lui propose « aimons-nous… Ce sera formidable malgré la tourmente ! ». Tempête du corps et sur la mer se confondent, mais Alix est sauvé par le « crâââc » du mât qui casse. Tandis qu’Enak, à quelque pas du couple, a sensuellement la main très proche de son sexe.
Julia se tourne alors vers Enak et lui propose de « l’aider » au gouvernail (image freudienne s’il en est). Le garçon refuse et la fille en déchire sa tunique, entraînant une remarque acerbe du gamin : « Ah, celle-là, Elle a encore trouvé un moyen pour exhiber sa poitrine ! »
Une fois à terre, Julia aguiche ensuite le gouverneur de Délos pour qu’il arme des galères et reprenne Icarios aux pirates, afin de venger ses parents précipités du haut des murailles. « Tu agis plus par pulsions que par raison ! » lui dit le sage Alix. Tandis que le gouverneur romain traite Alix, en réaliste, de « blondinet avec son petit prince ».
Des scènes de ce genre auraient pu faire l’objet d’un traitement graphique adapté, comme Jacques Martin savait les faire. Mais Rafael Morales est loin d’avoir son talent et sa culture. Il dessine des corps dégingandés aux têtes trop petites, les traits du visage à la serpe, des nez refaits à la Michael Jackson qui donnent un air de modistes aux éphèbes aventuriers. Ne voilà-t-il pas qu’il dessine des bites circoncises aux pirates qui rejouent Icare ? Les Grecs avaient horreur qu’on mutile le corps et cette faute historique n’est pas la seule. Morales n’aime pas la nudité et a réticence à dessiner les torses nus. Enak reste habillé jusqu’au bout malgré la chaleur, les combats et les épreuves : sa tunique n’est même pas déchirée. Alix laisse entrevoir un pectoral droit de body-builder sans rien de la souplesse jeune des précédents albums. Les Romains de Morales sont revus par saint Paul et bien trop rigidement bibliques pour ce qui en fut.
Le dessin ne joue pas avec les sens et c’est dommage. Sauf lorsque Julia, seins provocants sous sa tunique mouillée, met la main sur l’épaule d’Alix dans la cale où elle veut le baiser et qu’Enak, à moitié endormi, les muscles apparents sous la toile humide, laisse glisser sa main à proximité dangereuse de son sexe. Mais la case est toute petite et en bas de page. Suite au prochain numéro… sauf que les lecteurs attentifs en resteront sur leur faim car on passe éhontément à autre chose !
Le dessin n’aide pas, sauf villes et paysages, mais il reste une bonne histoire, bien menée et à rebondissements. Et la leçon proche-orientale : mieux vaut piller que bâtir et violer que tisser des relations durables.
Aller plus loin :
Jacques Martin, dessins Rafael Morales, La chute d’Icare, 22ème aventure d’Alix, Casterman 2001, 48 pages, 9.51€