Retrouvons-nous aujourd’hui, voulez-vous, à nouveau dans la crypte du Sphinx du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre pour y découvrir deux bas-reliefs de Ramsès II. Mais aussi pour évoquer un certain Caviglia ; la Stèle du Songe de Thoutmosis IV ; le nom véritable du Sphinx de Guizeh et pour apprendre à lire et déchiffrer une inscription hiéroglyphique.
De part et d’autre du sphinx, sur les murs latéraux de la crypte, chacun derrière une solide protection de verre, deux bas-reliefs (± 150 cm x 110 cm) en calcaire anciennement polychrome, ayant fait partie de la collection Salt, représentent Ramsès II offrant de l’encens au dieu Harmachis, « Horus de l’Horizon » (une des formes du dieu solaire), sous l’aspect du sphinx.
En 1817, au service du consul Henry Salt, l’ex-capitaine Giovanni Battista Caviglia (1770-1845), Génois passionné d’archéologie, fouille le plateau de Guizeh, à l’apex du Caire. Et notamment au niveau du sphinx, toujours en partie ensablé. Souvenez-vous, amis lecteurs, de la représentation qu’en fit Dominique-Vivant Denon et vous aurez l’idée exacte de ce qui était seulement visible à cette époque : la tête.
En effet, et depuis la fin de l’Antiquité, le corps, comme le reste du site d’ailleurs, avait été, au fil des siècles, de plus en plus enseveli sous les sables du désert. La fin de l’Antiquité ? En fait, très exactement depuis que disparurent les cultes locaux jugés païens par cet empereur Théodose qui, au IVème siècle de notre ère, imposa le christianisme à tout l’Empire romain – dont l’Egypte, depuis la mort de Cléopâtre VII, faisait partie intégrante. Ni la conquête arabe, quelques siècles plus tard, ni l’islamisation du pays ne changeront la donne. Bien évidemment, le côté positif de cette particularité climatique fut que le monument sculpté dans le roc demeura intact jusqu’à ce que les archéologues du XIXème siècle entreprennent leurs campagnes de fouilles. A la différence, par parenthèses, des pyramides elles-mêmes qui, dans une certaine mesure, – je devrais plutôt écrire « démesure », – servirent de carrières pour la construction de bon nombre des premières habitations cairotes, dès le VIIème siècle.
Pour en terminer avec « Abu’l Hol » (c’est ainsi que les Arabes le nomment : « Le Père la Terreur »), permettez-moi d’encore préciser un point et d’ainsi mettre fin à différentes légendes ou allégations (de celles que rapportent encore aujourd’hui certains guides fort peu scrupuleux de respecter la vérité historique) : non, le nez cassé du sphinx ne fut pas le résultat d’un acte haineux perpétré par les Mamelouks qui gouvernaient le pays au XIVème siècle. Pas plus que celui de coups de canon qu’auraient tirés sur l’énigmatique tête les soldats de Bonaparte quatre siècles plus tard. Et encore moins d’un geste malencontreux de ce cher Obélix !
L’étude complète du monument publiée en 1991, dans sa thèse de Doctorat, par l’égyptologue nord-américain Mark Lehner prouve de manière définitive que le visage présente des traces très nettes de destruction par outils à une époque qui se situerait entre le IIIème et le Xème siècle de notre ère. Toutefois, on en ignore complètement l’origine.
Revenons-en, après cette petite mise au point, aux travaux de Caviglia. Il entreprend donc de dégager l’imposant monument en creusant une première tranchée qui l’amène jusqu’à l’épaule nord. Puis de là, il descend jusqu’au rocher qui constitue le sol sur lequel il repose : pour la première fois depuis des millénaires, une partie du corps proprement dit était ainsi remise au jour.
Caviglia poursuit ses investigations, dégage les pattes avant et découvre entre elles un petit sanctuaire à ciel ouvert dont le mur du fond est constitué d’une stèle de granite rose d’une hauteur de 3, 61 m que les égyptologues nomment « Stèle du Songe » parce qu’y est gravé un texte dans lequel Thoutmosis IV, alors qu’il n’était encore que prince d’un rang relativement éloigné dans l’ordre de succession au trône, évoque un rêve qu’il aurait fait un jour qu’il se serait reposé à cet endroit, après une chasse dans le désert – (texte de circonstance uniquement destiné à légitimer son accession à la puissance suprême) – : le dieu lui aurait ainsi promis qu’il deviendrait souverain du pays s’il le désensablait.
Ce que ne manqua évidemment pas de faire Thoutmosis IV !
Sphinx de Guizeh avec, toujours in situ, la Stèle du Songe
Contre les pattes du sphinx, Caviglia remarque, posés chacun sur un muret de manière à former les côtés latéraux du petit sanctuaire, les deux bas-reliefs de Ramsès II exposés dans la crypte du Louvre ; Ramsès II qui, lui aussi, après Thoutmosis IV, avait fait désensabler le sphinx.
et les deux bas-reliefs ci-dessus, vous remarquerez aisément une similitude incontestable entre les trois monuments : Ramsès II a manifestement voulu reproduire et le geste et l’iconographie thoutmosides, la différence résidant simplement au niveau de l’offrande : Thoutmosis n’offre pas de l’encens comme le fait Ramsès.
Vous noterez par exemple – sans que je me perde en de longues et fastidieuses considérations philologiques – qu’au-dessus de la tête de l’animal, vous retrouvez à chaque fois les trois mêmes signes hiéroglyphiques. De haut en bas : un oiseau, une sorte de U horizontal et enfin un cercle posé dans un rectangle.
– Le premier hiéroglyphe
figure le faucon Horus; et se lit Hor.
– Le deuxième, une côte
constitue la préposition « dans »; et se lit èm.
– Le dernier
représente le soleil entre deux collines; et se lit Akhet.
Le tout, Hor-em-Akhet signifiant « Horus dans l’Horizon« , Horus de l’Horizon » ou encore « Horus à l’Horizon« , suivant les traductions les plus courantes. Hor-em-Akhet que les Grecs de l’Antiquité rendirent par « Harmachis », à savoir le nom que les Anciens donnaient au sphinx de Guizeh.
Ces trois seuls signes hiéroglyphiques, placés à cet endroit précis – au-dessus de la tête de l’animal -, constituent donc, un peu comme les phylactères des bandes dessinées, une sorte de carte d’identité : ils fournissent son patronyme sans aucune discussion possible.
Quant aux nom et prénom du souverain, ils figurent dans les cartouches gravés au-dessus de lui.
Bien que passablement abîmés, les deux bas-reliefs B 18 et B 19 de cette crypte sont donc eux aussi facilement identifiables dans la mesure où l’on retrouve et la dénomination du sphinx et celle de Pharaon au-dessus de la tête de chacun d’eux.
Un dernier point, si vous me le permettez.
Prenez par exemple, pour mieux comprendre mon propos, le bas-relief B 19, ci-dessus, plus « lisible » car moins abîmé dans sa partie supérieure : couché à droite, le sphinx regarde vers la gauche. Au-dessus de sa tête, la transcription de son nom commence par la représentation du faucon Horus dont la tête est elle aussi tournée vers la gauche.
En revanche, juste à côté, un hibou a la sienne tournée vers la droite. Il figure dans une colonne qui précède les cartouches de Ramsès II, regardant lui aussi vers la droite.
Qu’en déduire ? Que les quatre colonnes de textes visibles sur la stèle B 19, au-dessus du corps du sphinx, se lisent de gauche à droite ; et que celles qui se rapportent au souverain se lisent de droite à gauche.
Vous aurez aussi constaté, je présume, que si toutes les colonnes sont gravées côte à côte, un espace vide sépare celles dont le texte concerne le sphinx de celles se rapportant à Pharaon. Il est donc aisé, même pour celui qui ignore la signification des hiéroglyphes égyptiens, de faire la distinction entre les textes de l’un et ceux de l’autre.
Que nous disent ces quatre petites colonnes de signes placées au-dessus du sphinx et qui, en fait, lui donnent la parole ? Il s’agit d’un ensemble de formules, très classiques, destinées à maintenir la permanence du pays, assurée par le roi en tant que seul détenteur du pouvoir d’exercer le culte : Ramsès II, en faisant offrande au dieu Harmachis, attend ainsi en échange que ce dernier lui accorde vie, santé, etc.
De gauche à droite, donc :
Colonne 1 : Horus-dans-l’Horizon :
Colonne 2 : qu’il daigne accorder toute vie,
Colonne 3 : toute pérennité, tout pouvoir, toute santé,
Colonne 4 : toute allégresse comme Rê, chaque jour.
« Vie, santé et joie« , n’est-ce pas ce que nous lisons parfois sur des cartes de voeux reçues au moment du Nouvel An ?
(Barbotin/Devauchelle : 2005, 29 ; Fiechter : 1994 ; Zivie-Coche : 1997, passim)
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Frustrant ? Certainement pas !
Mes connaissances ne sont que livresques, certes, et muséales, mais au moins elles me permettent de reconstituer « mon » Egypte d’antan.
Beaucoup de collègues et amis m’ont déjà par exemple fait part de leur désarroi d’hommes et de femmes devant la misère qui règne là-bas et qui, d’une certaine manière, a quelque peu oblitéré leur plaisir de découverte des monuments du pays.
D’autres, et tout dernièrement, m’ont expliqué que suite aux travaux d’excavation entrepris pour mettre au jour les 12 nouvelles statues de l’allée des sphinx à Louxor, le temple devient pratiquement inaccessible !
Et devant tant d’inconvénients semblables, je ne suis nullement frustré de ne visiter l’Egypte que par l’intermédiaire des musées et de mes bouquins …
Je comprends, c’est la force des passionnés et d’une certaine manière, l’imaginaire que permet ce genre de voyages a quelque chose d’exaltant… Il m’arrive aussi souvent de voyager de la sorte et c’est même ce qui m’a inspiré le projet d’Ideoz, en espérant ne pas trop mal parvenir à faire partager ma passion pour l’Europe, les cultures et les voyages! Merci pour ta réponse…
Comme tu t’en doutes, je me joins à ces compliments tout à fait mérités. Petite question : n’est-il alors pas frustrant d’être passionné par l’art égyptien et de n’être jamais allé en Egypte?
Merci à vous pour ce commentaire laudatif.
A bientôt vous lire …
Bonjour,
J’ai lu votre article avec grand intérêt. J’ai appris beaucoup de choses! Je suis allé sur votre blog et il est excellent, je viens de l’ajouter dans mes favoris aussi.