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Black Kiss ; faux semblants à Tokyo

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blackkissAsuka Ashino débarque à Tokyo, sans toit ni connaissances sur place, pour travailler en tant que mannequin. Une collègue lui présente Kasumi, elle-même autrefois mannequin, aujourd’hui toute de noire vêtue et caractérielle en conséquence. Puisque sa colloc l’a quittée depuis peu, elle accepte d’héberger Asuka le temps d’une nuit. Mais la jeune femme s’installe et, tant bien que mal, un semblant d’amitié, sans véritable partage, s’installe entre les deux femmes.

Faux semblants.

Un soir, alors que Kasumi l’a une fois de plus laissée seule dans leur appartement – ce qu’elle fait toujours à la suite de coups de fil express qui la mettent en rogne -, Asuka est témoin d’un meurtre dans l’hôtel de l’autre côté de la rue. Un crime hardcore, à la mise en scène savamment morbide, qui marque le début d’une série de meurtres, et la poursuite d’un mystérieux assassin que la police ne tarde pas à surnommer Black Kiss, des traces de lèvres noires que l’on retrouve sur chacune des victimes…

Black Kiss, si l’on en croît son réalisateur Makoto Tezka (Hakuchi), est une tentative de s’écarter des expérimentations de l’auteur pour s’ancrer dans un cinéma de genre – le thriller en l’occurrence – plus immédiatement accessible. Une volonté qui s’incarne d’emblée à l’écran, dans un jeu de références évident à Alfred Hitchcock, qui permet de créer un climat de familiarité à même d’asseoir un genre. Pourtant, en accord avec le titre que le film aurait du porter – SynchronicityBlack Kiss n’est jamais vraiment un film policier, mais une somme de coïncidences qui construisent une apparente trame criminelle ; une collision d’expérimentations, narratives et visuelles, savamment déguisées en autant de signes et indices qui n’en sont pas, pour créer l’illusion d’un thriller – à même de satisfaire, faussement, un très contemporain besoin de catégorisation. On ne se refait pas.

Cette illusion est le fruit d’une maîtrise cinématographique hors-norme, palpable dès la séquence d’ouverture du film. Alors que nous n’avons pas encore fait la connaissance d’Asuka, Tezka anticipe sa fenêtre sur cour en nous emmenant jusqu’au meurtre dont sera ultérieurement témoin son héroïne. Passeuse de ce fait-divers, une idole wannabe que le réalisateur prend son temps à choisir dans la vie nocturne de Kabuki-cho, comme si c’était son regard qu’empruntait la caméra. Une conscience de subjectivité qui va teinter l’ensemble du métrage ; jusqu’à s’incarner dans de faux jump cuts, simples écrans noirs qui s’apparentent à des clignements d’yeux omniscients. La conscience d’une histoire qui n’en est pas une, qui ne peut être que cinématographique, bardée de subjectivité virtuose.

Car Black Kiss est un film biaisé. Alors que l’enquête policière ne parvient jamais à s’inscrire dans le concret, on se rattache comme Asuka à l’interprétation de motifs que Tezka étale ostensiblement sous nos yeux, notamment en matière de nombres, et que l’on transforme, comme la jeune femme, en autant de signes. Ainsi Asuka a-t-elle décidé, du fait d’une tragédie d’enfance – pour le coup vraiment terrain de coïncidences – impliquant le chiffre 9, de se résumer dans celui-ci. Un chiffre unique, comme tous les autres, et donc soumis à des interprétations libre et contradictoires, ainsi que le souligne Kasumi (qui y voit la maternité, mais aussi l’enfer). Kasumi, que d’aucuns surnomment le diable et que l’on serait tenté, suivant la démarche d’Asuka, de marquer du chiffre 6. La réunion des deux femmes, autour d’un meurtre commis dans une chambre d’hôtel portant le numéro 69, ne saurait dès lors être le fruit du hasard… n’est-ce pas ?

Et Tezka de nous embarquer ainsi, sur une piste fragile que l’on se plaît à construire nous-même, puisque l’enquête ne se dote jamais d’indices décisifs à l’écran. 6 et 9, des chiffres jumeaux, qui se ressemblent et s’opposent dans leur inversion ; une gémellité que l’on retrouve chez Kasumi et sa sœur défunte. Et que dire du nom de famille de Kasumi, Kuroki, qui résonne comme une contraction de « kuroi kisu » – « black kiss » en japonais… Ce qui est remarquable dans Black Kiss, c’est que le film ne fixe jamais complètement ces théories, mais semble conscient de les faire naître chez le spectateur. Tezka construit une narration partielle, qui ne peut avancer qu’avec l’aval du cheminement intellectuel du spectateur, et qui n’est donc jamais obligée de se parer d’une justification. Après avoir délimité son terrain du jeu avec un contexte faussement hitchcockien, le réalisateur installe une relation de dépendance inhabituelle et courageuse, laissant le soin au film de se construire en dehors de ses images, incapable d’exister sans un spectateur actif.

C’est pour cela certainement, que Black Kiss est un objet de cinéma si flagrant, avec sa bande son remarquable – l’écoute au casque révèle d’incroyables volumes dans la construction sonore de l’angoisse -, ses images sublimes et ses contrastes explosifs… Les jeux d’ombres de la mise en scène sont constamment présents à l’écran, notamment dans les reliefs de la contradiction qu’est la beauté complexe de Reika Hashimoto, formidable moteur d’une narration expérimentale, film dont nous sommes, en quelque sorte, le héros. On pense, en creux, à la mécanique cryptique du coréen Tell Me Something. Car si Jang Yun-heon a volontairement supprimé des images, que l’on ne saurait conjurer, de son film pour en renforcer le mystère, Makoto Tezka lui, ne les a jamais tournées.

Son fourmillant métrage est, paradoxalement, comme une feuille blanche sur laquelle seraient disposés des points, dont l’attrait contextuel serait tel qu’on ne pourrait les relier que d’une seule et unique façon, à même de révéler un dess(e)in inhérent au support. Sauf que dans le contexte du film – un genre cinématographique balisé -, les points sont des images envoutantes, des références insolentes, des meurtres arty et abjects, des actrices à la féminité remarquable et j’en passe, qui contribuent à faire de Black Kiss une expérience à la fois simple et complexe, lieu d’un dialogue de cinéma qui se joue du quatrième mur pour nourrir une histoire qui, en l’absence d’un regard complice malgré lui, n’existerait pas plus que les coïncidences qu’elle se plaît, d’un même élan, à construire et renier.

Black Kiss est disponible en DVD au Japon, sous-titré en anglais, mais aussi en Angleterre et aux US, à des tarifs plus abordables.
aka Burakku kisu – Shinkuronishiti – Synchronicity | Japon | 2004 | Un film de Makoto Tezka (Makoto Tezuka) | Avec Reika Hashimoto, Kaori Kawamura, Ando Masanobu, Angie, Seri Iwahori, Kikuo Kaneuchi, Hijiri Kojima, Masao Kusakari, Shunsuke Matsuoka, Ken Mitsuishi, Mitsuru Murata, Jo Odagiri, Shinzen Okada, Eiji Okuda, Go Riju, Hideo Sakaki

 

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