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Le « 24 bis » rue Gassendi est un petit cabaret dans le 14ème arrondissement de Paris qui donne leur chance à de jeunes talents. Il était plein comme un œuf, samedi soir, 8 janvier à 21h. Il fallait venir au moins une heure avant pour ne pas écouter debout le récital de Florent Nouvel.
Une symbiose entre artiste et auditeurs
Assis à son piano numérique, chamarré de clochettes qu’il fait tinter à l’occasion, les yeux rieurs sous lunettes d’écaille et sourcils noirs, il remercie d’entrée son public d’être venu écouter « le plus grand chanteur de la chanson française ». Qui peut contredire ? Il mesure 1 mètre 99 ! La sensibilité à fleur de peau, Florent Nouvel se fait de l’ironie une cuirasse en se la retournant aussi contre lui-même.
Le ton est donné et le dialogue noué avec l’auditoire qui saisit aussitôt la main tendue. Des refrains sont repris en chœur, on bat des mains en cadence, Enrico Macias le flagorneur est parodié : « Ah quelles sont joulies les filles de mon pays ! Ah quelles sont joulies les femmes de Sarkozy ! Zaï ! Zaï ! Zaï ! Zaï ». La salle est hilare, Florent Nouvel, un bras en l’air, bat la mesure : et si on montait une chorale ? propose-t-il à ce chœur d’élite !
L’échange dans l’humour entre l’artiste et l’auditoire, est incessant. La chanson « Mariez-vous » tourne même au sketch : invité au mariage d’un ami, Florent y rechigne mais finit par y venir. Mieux le mariage le séduit. Il tente donc sa chance : comme une bouteille à la mer, il lance un bouquet de mariée à la salle. Sera-t-il ramassé ? Oui, le miracle se produit ! Une auditrice s’avance le bouquet à la main et, la chevelure couverte d’un voile de tulle, le rejoint au piano. Un carillon de clochettes sur un accord d’orgue, l’union est consommée.
Ces scènes improvisées ont le charme du négligé apprêté ! De même, l’artiste a-t-il un trou de mémoire ? C’est l’occasion pour lui de se moquer de lui-même : il reprend, rechute, recommence. Va-t-il buter à nouveau sur la même marche ? Non, il l’enjambe ! La salle applaudit. C’est lui qui mène le bal afin d’ être suivi là où il veut emmener son monde. Pour mieux déguster, par exemple, la première chanson du « Livreur de pizza » qui se fait attendre et ne viendra pas, puisque, lassé d’un job sans avenir, il s’est évanoui dans la nature, les auditeurs ont eu droit, samedi, … à une galette des rois.
Un récital conçu comme une ascension
Florent Nouvel a fait ses classes en chantant d’abord les succès de Piaf, de Bourvil, de Brel, de Bécaud, de Perret dans des cafés, dont « La Mère Françoise », l’ancien lupanar que Brel promettait à Jef, l’ami inconsolable ! Il était accompagné d’un accordéoniste mexicain, Sergio Valladez qui lui a appris à faire chanter son public et à construire un récital comme une lente ascension.
Il peut partir d’événements anodins de la vie quotidienne, pourvu qu’ils signifient quelque chose. « Mariez-vous, mais faites-le surtout sans nous ! », s’écrie le célibataire endurci avant de se laisser séduire par l’aventure du mariage. « La panne » ? Quel amant fougueux n’y est pas exposé ? À quoi bon encore ces magazines féminins, « pleins de recettes de cuisine » pour « faire craquer les hommes » et « croquer la pomme », mais dont le papier glacé réfrigère ? En revanche, « la main sur le mulot / ça donne un p’tit coup de chaud ! » : imagine-t-on mine plus déconfite que celle de l’époux surpris par sa femme en train de zieuter des filles en petite tenue sur Internet ?
Parmi ces scènes de farce, Florent Nouvel ne perd pas de vue pour autant le sommet vers lequel tendre et emmener son public. Sont peu à peu introduites des chansons graves, sinon tragiques comme autant de degrés à gravir dans la montée du récital. Ce sont des souvenirs personnels, une blessure d’enfance comme à « La cantoche » où les grands humilient les petits, la redécouverte de celui que l’artiste aperçoit dans une salle, discret au dernier rang, et qu’il nomme « L’homme du fond » dont il porte le nom, son propre père ; il est sensible aussi aux tragédies des autres comme celle des travailleuses précaires, observées par Florence Aubenas sur « Le quai de Ouistreham ». (2)
L’artiste alterne les inflexions vocales les plus contraires, du cri au murmure. Il passe sans prévenir de l’éclat de rire caustique au soudain recueillement d’une mélodie lentement égrenée en arpège que, d’une main courant sur le clavier effleuré, du registre le plus grave à la note la plus aiguë, il fait s’envoler. Brel aspirait dans « L’Homme de la Mancha » à « l’inaccessible étoile ». Florent Nouvel clôt son récital par un cri : « Je pars vers l’infini… », repris en écho dans un murmure sur quelques notes qui s’éteignent en silence.
Un « Pierrot terrien », « la tête accroché aux étoiles, les pieds retenus par la terre »
Mais le public ne l’entend pas de cette oreille : il ne veut surtout pas le laisser partir. Docile, Florent Nouvel qui a beau être en nage après une heure et demie de chansons en s’accompagnant lui-même au piano, se laisse faire : il entonne son hymne au « Vélib’ », « le vélo pour tous », fustige ensuite ce « Petit homme public / totalement cynique », pour terminer par une interprétation toute personnelle de « Lili » venue de Somalie, la chanson de Pierre Perret.
On ne parvient pas à ce degré d’excellence sans s’y être préparé de longue date. Florent Nouvel a pratiqué depuis l’enfance chants choral et lyrique tout en jouant d’abord du piano, puis, surtout, pendant douze ans, de la flûte traversière à quoi il doit le goût de la mélodie. Quant à l’observation de soi et du monde, on devine chez ce jeune homme de trente ans une solide formation initiale dont peu de chanteurs aujourd’hui peuvent se prévaloir. Il faut en privé le pousser dans ses retranchements pour qu’il avoue ses forfaits : il est ancien élève de l’École Normale Supérieure de Cachan et agrégé en sciences économiques et sociales. La sociologie lui a appris, dit-il, à jouer avec le jeu, à ne pas s’y laisser prendre, à au contraire distancier, à ne pas confondre vie et spectacle. La formation la plus académique n’a donc pas réussi à gâter cet artiste à « la tête accrochée aux étoiles, les pieds retenus par la terre », comme ce « Pierrot terrien » qu’il chante et qui lui ressemble. On comprend pourquoi l’ironie lui va si bien.
C’est à reculons, battant des mains, qu’on se résout à quitter des lieux dont, par la seule vertu de son art raffiné, Florent Nouvel a fait pendant deux heures un sanctuaire : la tête pleine de ses mélodies enjouées ou graves, on découvre tout bonnement qu’en l’écoutant on a été heureux. Mais puisqu’il faut bien partir, comme il se l’est dit à lui-même, c’est fredonnant l’une d’elles qu’on entre dans la nuit pour affronter pluie et froid sitôt franchie la porte du « 24 bis » où il faisait si chaud. Paul Villach
(1) Florent Nouvel est sur les sites suivants :
– Secondé par le Collectif « Les Beaux Esprits » attaché à promouvoir une chanson française de qualité, il publie un album « Les petits et les grands » le 20 janvier 2011 (toutes plateformes de téléchargement)
– Il se produira sur les scènes suivantes :
* le 19 mars 2011« Le Sentier des Halles », 50 rue d’Aboukir – 75002 Paris ;
* le 19 mai 2011, « Le Bateau El Alamein », Quai François Mauriac, au pied de la BNF, Paris 13e
– Le site de « Les Beaux Esprits »
(2) Paul Villach, « Du « Port d’Amsterdam » de Jacques Brel au « Quai de Ouistreham » de Florent Nouvel »
Crédit photos : Jessy Rakotomanga.
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