J’évoquais l’antipathie viscérale de nombreux calaisiens envers les anglais, en dépit du probable sang mêlé. Sentiment qui peut s’expliquer par une Histoire ancienne que probablement très peu de calaisiens eux-mêmes connaissent. Aujourd’hui, Calais peut être fière d’être le plus gros fabricant mondial de câbles sous-marins reliant tous les continents pour leurs communications, mais où trouver un endroit internet est un véritable défi.
Cette ville, si triste aujourd’hui, où il est difficile de trouver un hôtel digne de ce nom, où le littoral a été saccagé par des constructions d’une laideur rare, a été, dans un passé lointain, une ville très convoitée. Pendant la guerre de 100 ans, Edouard III, roi d’Angleterre revendiquait la couronne de France et recherchait une ville portuaire qui serait la clé pour le débarquement de ses troupes dans le pays. C’est alors que commence le siège de Calais. En septembre 1346. Un siège qui dure 11 mois. La ville est défendue par Jean de Vienne. Celui-ci envoie une lettre au roi de France, Philippe VI de Valois. « Nous aimons mieux mourir aux champs honorablement que de nous manger l’un l’autre ». Lettre interceptée par la marine anglaise, et ne parvint jamais au roi de France.
Calais résiste. Calais a faim. Les vivres ne rentrent plus dans la ville, mais Calais résiste toujours. Edouard III veut massacrer toute la population, et n’accepte finalement de l’épargner qu’à la condition que 6 notables viennent à lui, tête et pieds nus, avec une corde au cou afin d’être pendus : Eustache, Jehan, Jacques, Pierre, Jean, Andrieu, les « 6 bourgeois de Calais » immortalisés par la sculpture de Rodin. Ils seront épargnés grâce à l’intervention de Philippa de Hainaut, son épouse qui se jette a ses pieds et le supplie. En contre partie, Edouard exile tous les calaisiens qui ne lui font pas allégeance, et les remplace par des citoyens anglais. La ville est occupée de 1347 à 1558. Calais, « joyau le plus brillant de la couronne anglaise » fut, enfin, reconquise par les français en 1558. Une perte qui fut considérée par la reine Marie Tudor, « comme un affreux malheur ». Elle aurait prononcé ces mots: « Après ma mort, si vous ouvrez mon cœur, vous y trouverez le nom de Philippe (son mari) et celui de Calais ». Les anglais furent alors renvoyés en Angleterre, et Calais redevint « pays conquis »
Aujourd’hui, Calais, ville oubliée, Calais, ville où le taux de réussite aux examens est le plus bas de France et le taux de chômage parmi les plus élevés, ville repliée sur elle-même et non plus ville ouverte sur le monde, ville non plus « convoitée », mais« traversée » par un tunnel sous la mer qui la relie depuis 1994 à son ex ennemie anglaise,« cette île au large de l’Amérique », comme l’appelait Quentin Crisp un dandy anglais*, ville qui vient de fêter il y a peu, son deux millionième passager sous la Manche (plus des 3/4 sont des anglais) et enfin ville tristement célèbre pour ses milliers de clandestins Afghans, Irakiens, Pachtounes etc…qui tentent au péril de leur vie, de traverser ce Channel, pour rejoindre ce qu’ils croient être un Eldorado anglais.
L’Histoire peu à peu s’est effacée, noyée dans l’oubli ; Mais, tenace – et souvent inexpliqué – le ressentiment, lui, persiste toujours.
Et pour ceux que cela intéresse ‘ 2 mots « ch’ti calaisien », dans leur contexte : « mi, j’va wassinguer ch’cour », « moi je vais wassinguer cette cour » (je vais laver cette cour), et puis : « pach mi l’manique » « passe moi le chiffon, ou le gant de toilette ».
* « Follement British », article lu dans « Liberation » d’hier.
Calais baignade interdite