Nous nous croisons chaque matin dans ma coffee-shop préférée et nous nous disputons souvent « l’International Herald Tribune ».
Ce matin, après m’avoir cédé le quotidien, car il est arrivé avant moi, et après m’avoir souhaité, comme à l’accoutumé, « happy day » ! (je ne sais pas pourquoi mais nous nous parlons toujours en anglais), il croit bon m’avertir que si je veux une belle journée, il est préférable que je ne lise pas le journal aujourd’hui. J’hésite, écume les gros titres ,et finalement me replonge dans mes notes d’hier soir.
« Une famille, un restaurant… et le rire des Chinois »
Pendant combien de temps la Chine va t‘elle encore être l’atelier du monde ? Les femmes chinoises demandent le droit de former des syndicats, ce qui est interdit en Chine (sauf quand ils sont pour les patrons), les coûts de fabrication augmentent et le turn-over est élevé…en dépit de cela, peu de pays peuvent entrer en compétition avec elle. Dans les pays occidentaux on a depuis longtemps remplacé l’homme par la machine, l’homme coûtait trop cher, et puis on a délocalisé. L’homme des pays pauvres coutait encore moins que la machine. Des ateliers gigantesques ont été créés en Chine, le chinois est besogneux c’est bien connu. Il y a bien eu quelques tentatives de remplacement de l’homme par la machine, mais finalement le mouvement s’est inversé. Même si les hommes sont plus lents que les machines, globalement moins rentables pour les patrons, ils restent préférables aux machines car ils ne nécessitent pas de gros investissements de capitaux. A l’inverse des machines. Terrible.
A chaque fois que j’ouvre mon ordinateur fabriqué en Chine, comme presque toute l’électronique, j’y pense maintenant. Il est passé entre les mains de chinoises habiles, dociles et silencieuses. Pour combien de temps encore ?
La Chine, atelier du vieux monde moderne et adepte du « Feng Shui » (litt. Vent et Eau), cet art ancestral basé sur l’harmonie des énergies, science de la géomancie et de la décoration. Et parmi les joyeusetés recueillies ce matin dans mes journaux en ligne, je découvre dans « The New York Time » (édition Asie Pacifique), que le gouvernement thaïlandais a, dans le but de ne rien laisser au hasard, décidé d’améliorer le « Feng Shui » du bureau du Premier Ministre. « On a réajusté le positionnement de certains ornements du bureau d’Abbhisit, afin de contrecarrer la malchance, lui assurer bien-être et postérité, et lui assurer le calme ».
Que peut le Feng Shui contre la paranoïa qui mène à l’isolation ? Eh bien, d’après quelques psy de mes amies, paranoïa + isolation = confusion, désarroi, panique. Et, ce n’est pas moi qui l’ajoute : danger.
Pour ceux qui auront le courage de me lire, et pour rester dans la note, vaguement ou faussement « chinoise » de ce matin, ce petit ajout. Quelques lignes sur des chinois justement. Ceux rencontrés dans les provinces du sud, loin des grandes villes et des ateliers et pour – peut-être – casser une image stéréotypée. C’était à mon retour du Guizhou et d’un drôle de trip sur les « routes du thé et des chevaux » des contreforts de l’Himalaya. A Kunming, Yunnan.
« Une famille, un restaurant… et le rire des Chinois »
Après six heures de route sans histoire depuis Dali, les embouteillages sont au rendez-vous de Kunming, mais vite oubliés par l’accueil chaleureux des parents de Yangyang. On grimpe les cinq étages d’un bâtiment gris et délabré d’un quartier populaire situé à quelques centaines de mètres de l’avenue qui mène au « Camellia Hôtel » et nous sommes reçus mains tendues et sourire affectueux dans l’appartement coquet de ses parents. La mère s’affaire tout de suite autour du thé. Yangyang me pèle un fruit étrange, au goût légèrement fruité sous la dent mais dont la consistance croquante rappelle la poire pas mûre. Le père, la cinquantaine sereine, prend place, silencieux, en face de moi, près d’une verrière qui laisse entrer une lumière généreuse. Avec ses grandes lunettes d’écaille, son nez droit, ses traits plein de douceur, sa force tranquille et ses petits chaussons d’appartement, il m’évoque les Chinois d’une autre époque. Il laisse parler sa femme sous le prétexte qu’il ne parle pas anglais. Mais elle non plus ; Peut-être comprend-elle tout juste quelques mots. Vêtue d’une veste traditionnelle aux couleurs de pivoine, elle sourit en permanence et m’observe avec admiration. Ma peau est si claire, mes cheveux si blonds ! Ses yeux pétillent de malice. Mon oreille saisit les mots « pioling, pioling », « jolie ». Yangyang me dit que sa mère aime mes joues toute rouges piquées depuis le début du voyage par l’air vif des montagnes, les cigarettes et le soleil. Les deux garçons sont assis sur le bord de leur fauteuil, intimidés, silencieux, déférents. Ils ne parlent que lorsqu’on leur pose directement une question. De vrais petits écoliers en visite chez une tante lointaine….
On se quitte après que j’ai fait la promesse solennelle de venir habiter chez eux à ma prochaine visite au Yunnan. La mère me montre une chambre minuscule près du salon. Ce sera pour moi quand je voudrai, autant de temps que je voudrai…
Mon amie veut sceller ce voyage par un dîner d’adieu près du stade olympique. On se retrouve donc à quatre, mon chauffeur, mon guide tibétain et Didi, une amie de Yangyang, autour d’une table, dans un restaurant gigantesque, avec nappes en tissu, une armée de serveuses en uniforme et un éclairage de salle de bal. Ce n’est plus à « Petit Miao » de décider des plats du banquet cette fois, mais à Yangyang ma jeune amie artiste peintre. Un restaurant traditionnel chinois, c’est ça : un rideau de fumée de cigarettes, une cacophonie de sons et de cliquetis, des appels téléphoniques qui n’en finissent pas… c’est une usine en perpétuel mouvement, une ruche de petites abeilles qui vont et viennent au pas de course, portant des soupes fumantes, versant des pots de thé, hurlant des ordres d’un bout à l’autre de la salle. Et c’est surtout ce rire qui gronde, éclate et revient par vagues. Ce rire qui plisse les visages mélancoliques des Chinois, ces éclats de vie qui pètent et permettent aux moins favorisés de supporter le pire des fardeaux, les plus dures tâches, les coups injustes du sort. Moins joyeux que celui des Thaïlandais qui se réjouissent de tout dans la plus grande insouciance, ce rire chinois restera pour moi la marque indélébile de ce voyage au Guizhou.
…. Rires d’hommes et de femmes croisés sur mon chemin, rires offerts, généreux, sans calcul, rires doux ou tragiques de femmes ridées et pourtant si belles, rires moqueurs d’hommes, ou rire d’hommes moqueurs, rires timides de jeunes filles parées de leur costume traditionnel…..Rires fixés définitivement et pour toujours sur le papier glacé de mes photos. Pour me les rappeler encore. Et pour longtemps.
Et s’il ne restait plus que le rire ? (une blogueuse désespérée)
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