Il est prudent de se méfier des classifications trop hâtives. Réalisme, cubisme, surréalisme… sont autant de catégories sans doute utiles, mais qui ne permettent pas toujours de situer un artiste sans quelques nuances. Le cas de l’art brut en offre aussi l’exemple car ses frontières demeurent complexes, poreuses, sinueuses et, pour tout dire, assez imprécises.
Jean Dubuffet en donnait cette définition dans un manifeste de 1949 :
« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. »

Roger Chomeaux, dit Chomo, artiste rude et sensible, qui vivait près d’Achères-la-Forêt, en pleine forêt de Fontainebleau où il avait créé, après la Seconde guerre mondiale, son « village d’art Préludien », n’était en rien « indemne de culture artistique ». Il avait étudié aux Beaux-arts de Valenciennes, puis de Paris où il avait remporté plusieurs prix de sculpture, notamment de modelage d’après l’antique. En d’autres termes, il ne pouvait se classer dans la même catégorie que Pujolle ou Séraphine de Senlis.

Ce comportement farouche ne lui permit guère de se faire connaître, en dehors d’un petit cercle d’initiés. Son unique exposition parisienne à la galerie Jean Camion, en 1960, lui valut un beau succès auprès des vieux surréalistes – notamment d’André Breton et Dali – de Picasso, de Michaux. Elle se solda, en revanche, par un désastre commercial, l’artiste, méfiant devant ce qu’il pensait un pur engouement parisianiste, refusant le moindre compromis.
Jusqu’au 7 mars dernier, une exposition s’était tenue à Paris, qui permit au public de découvrir ce créateur étonnant. Et le 7 juin prochain, aura lieu une vente aux enchères où sera dispersée une centaine d’œuvres représentatives de sa production. Le lieu ne manque pas de prestige, puisque c’est le château de Cheverny qui servira de cadre à l’événement. Un tel projet ne pouvait naître que dans l’esprit de Philippe Rouillac, le sympathique commissaire-priseur de Vendôme, désormais rejoint par son fils Aymeric, car il faut une belle dose de perspicacité et un grain de folie bienvenu pour avoir songé transférer tous ces objets insolites du cœur d’une forêt dense à ce château que Mademoiselle de Montpensier appelait « palais enchanté ». Pour les amateurs qui ne pourraient se déplacer, signalons un intéressant site Internet créé par l’étude Rouillac, entièrement dédié à Chomo, sur lequel on trouvera des vidéos de Chomo, des textes et le catalogue de la vente.
Peintures, encrines et sculptures seront au menu de cette vacation dont l’expert est Laurent Danchin, celui-là même qui organisa la récente exposition parisienne et qui eut la chance de bien connaître l’artiste. On trouvera d’étranges bois brûlés qui, pour certains d’entre eux, ne sont pas sans rappeler l’art totémique océanien. Des sculptures de grillage et plastique fondu suivront, ainsi qu’une série d’encrines et d’acryliques. Viendront ensuite des sculptures de béton siporex qui affichent (pour les lots 343 à 348) une relative parenté avec l’art précolombien. Des œuvres en tôle, représentant des personnages ou formant des bas-reliefs, précéderont une série d’encrines, puis des sculptures de bois de Séverine et de tôle. L’une (lot 372) se rapproche assez du style de Giacometti. La vente s’achèvera sur une nouvelle série d’encrines et d’acryliques, certaines étant titrées « mutant ».

Illustrations : Chomo travaillant – Modulation, sculpture en bois brûlé peint – Totem à clous, sculpture en bois brûlé, clous, peinture dorée et argentée – Je qroi a la qreasion dé sétoile, encrine – Les gardiens, sculptures en siporex – Photos © Etude Rouillac.
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