Il est difficile d’établir la cote d’un créateur sur le marché de l’art lorsque l’artiste s’est toujours refusé à commercialiser ses œuvres. Tel était le cas de Roger Chomeaux, dit Chomo. Devant sa production, singulière par essence et multiple par les supports employés, le monde de l’art s’interrogeait. Que valait une sculpture ou une peinture de Chomo ? Certains pensaient que son déficit de notoriété, qu’il avait volontairement entretenu de son vivant, en limiterait le prix à trois ou quatre cents euros et, ce, en dépit de la belle exposition parisienne qui s’était tenue il y a quelques mois. Voilà pourquoi la vente publique organisée le 7 juin dernier, que j’avais annoncée dans ces colonnes, constituait non seulement un test, mais un véritable défi.
Or, ce défi a été relevé avec succès par Philippe et Aymeric Rouillac, commissaires-priseurs de Vendôme, dans le cadre prestigieux du château de Cheverny, cette belle demeure qui inspira à Hergé le château de Moulinsart. La salle de l’Orangerie s’était remplie dès avant l’ouverture de la vente. Fallait-il y voir un signe favorable ? Justement. Car, parmi le public présent, se trouvaient des amateurs venus de la région, mais aussi de bien plus loin, dont bon nombre avait connu et visité Chomo dans son improbable « village Préludien » d’Achères-la-Forêt. Voilà sans doute pourquoi il régnait, dans cette salle, une atmosphère particulière, presque familiale, renforcée par la présence des enfants de l’artiste, Michel et Geneviève. Pour la circonstance, Philippe Rouillac avait laissé le marteau à son fils Aymeric qui a récemment rejoint son étude. A la manière chaleureuse dont il conduisit les enchères, nul doute que ce jeune homme ne tardera pas à se faire un prénom dans la profession. Il bénéficiait également de la complicité érudite d’un expert, Laurent Danchin, grand connaisseur, notamment, de Dubuffet, et qui fut longtemps un ami de Chomo. Sa participation à la vacation ne la rendit que plus intéressante, dans la mesure où il put commenter en détail les œuvres dispersées et pimenter ses interventions de multiples anecdotes inédites.
Les premiers lots, des bois brûlés dont certains avaient suscité l’admiration de Picasso et d’André Breton, furent adjugés entre 1.200 et 4.500 € ; le lot 309, Modulation sacrée, fut même acquis pour 11.000 €. Parmi les autres sculptures, en grillage et plastique fondu, notons une Tête de femme (6.000 €), Extraterrestre (5.000€), La Grande chimère bleue (5.400 €), Le Centaure (8.500 €) et Le Grand Totem (15.000 €). Des figures sculptées en siporex connurent un beau succès : Le Baiser termina à 6.800 €, un Totem à sept têtes à 7.000 €, tout comme La Grande empreinte, une tôle lacérée de près de deux mètres.Les peintures, furent aussi bien disputées : Lé Jumèle fut adjugée à 6.000 €, L’Homme triste (un probable autoportrait), 7.500 €, d’autres partirent entre 1.000 et 4.200 €. Quant aux encrines, œuvres sur papier, elles se vendirent entre 450 et 1.500 €. L’ensemble de la vacation, soit 99 lots, rapporta 320.040 € frais inclus.
L’analyse de ces chiffres permet deux remarques : si quelques œuvres pouvaient, à tort ou à raison, rappeler par leur style celles d’autres artistes (Giacometti ou Germaine Richier), les plus fortes enchères se concentrèrent sur des créations que l’on peut considérer comme typiques de Chomo, ce qui, en soit, indique que ce créateur, disparu en 1999, est désormais parvenu à trouver sa place sur le marché. Par ailleurs, l’examen des œuvres montre combien, sous une apparente spontanéité, se révèle le soin apporté par l’artiste à la réalisation de ses sculptures. S’il avait fait table rase de sa formation académique, celle-ci ne lui était pas moins utile d’un point de vue technique, consciemment ou non. Ainsi en est-il du plastique fondu apposé sur ses structures de grillage, que l’on pourrait qualifier, selon le mot d’Aymeric Rouillac, de « dripping en trois dimensions » – ce procédé mis au point par Max Ernst qui le conseilla à Jackson Pollock. Le chemin de la liberté, pour un bâtisseur d’imaginaire, emprunte parfois un parcours sinueux. Et l’art de Chomo nous suggère ce que la notion d’art brut peut avoir d’ambigu et reste à définir (en tout cas, s’agissant de l’ermite d’Achères), dans la mesure où elle désigne une multitude d’approches différentes.
Un autre signe vient confirmer l’impression que Chomo vient, par cette vente, de trouver sa place : un musée privé britannique fit, par téléphone, l’acquisition de plusieurs sculptures, parmi les plus importantes. La ville de Melun, seule collectivité territoriale présente, acheta en outre plusieurs lots, dont deux très beaux siporex, Les Gardiens. On pourra regretter qu’aucun musée national n’ait participé aux enchères. Lorsqu’il était ministre de la Culture, André Malraux avait été prévenu que des voisins de Chomo, irrités par les constructions qu’il avait entreprises dans la forêt où il s’était retiré, voulaient lui chercher griefs. Malraux avait immédiatement dépêché son ex-femme Clara qui revint de sa visite pleine d’enthousiasme. Le ministre avait alors pris les mesures nécessaires pour protéger l’artiste. Autres temps ! Cela fait maintenant une dizaine d’années que les pouvoirs publics hésitent à classer le « village Préludien » alors qu’il présente une valeur artistique évidente. Souhaitons que le succès de cette vente aux enchères participe à faire avancer le dossier.
Je ne pouvais terminer cette chronique sans lancer un appel : Laurent Danchin, en collaboration avec Philippe et Aymeric Rouillac, s’attachent actuellement à rédiger le catalogue raisonné de l’œuvre de Chomo. Si, parmi les lecteurs de ce blog, se trouvaient des collectionneurs possédant des sculptures ou des peintures de cet artiste, je les invite à se mettre en relation avec l’étude Rouillac, Hôtel des ventes, Route de Blois, 41100 Vendôme (tel. 02.54.80.24.24), courriel : vendome@rouillac.com.
Illustrations : Chomo, photo D.R. – Tête de femme, photo © Rouillac – Mutant à trois têtes, photo © Rouillac.
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