La beauté peut vous laisser sans voix parfois… « speechless ». J’aime bien cette expression anglaise. La chaleur peut aussi occasionner cet effet d’accablement muet, avec, plus grave encore, l’impression de vous griller les neurones ou plutôt d’en faire grésiller les circuits comme les prises électriques époque coloniale que j’utilise pour recharger les batteries de mes appareils photos, probablement à cause du courant électrique sauteur et sporadique.
J’ai pris mon dernier gin tonic hier soir, sur la terrasse de mon pavillon de chasse « maharadjien », en la seule compagnie du responsable des lieux. Le soleil se couchait derrière les montagnes dures et dénudées, l’air devenait enfin respirable. « Vous êtes sentimentale » ? m’a demandé mon hôte. Foutue question que seul un indien pouvait me poser. Sûrement pas un thaïlandais. Comme je ne voulais pas tomber dans le piège de ce genre de conversation, j’ai répondu plutôt sèchement : « Non, j’intellectualise tout », « Ah bon, » a répliqué mon interlocuteur, qui, entre nous, s’était imposé à ma table, devant mon gin tonic glacé. C’est ce qui se passe souvent ici, on ne vous laisse jamais seule. « Méfiez-vous des autres » ils disent. Suspicion permanente ? Je ne sais trop. Il a continué : « Quel age avez-vous » ? Comme je ne répondais pas, il a avancé un chiffre de 20 ans en dessous de la réalité. Là j’ai éclaté de rire : « Vous avez vu mon passeport, alors pourquoi faire semblant ? Pour me flatter ? » Ce que je n’ai pas encore dit c’est que pendant les deux jours de mon séjour au « Gateway Rambagh » pavillon de chasse du dernier maharadjah de Jaïpur, mon hôte m’a accompagnée dans tous mes déplacements appelés « safaris » – à cause de la jeep pourrie mais efficace cahotant à travers le désert de pierres et de sable ? Et que, en dehors de mon premier mari, personne ne m’avait autant photographiée. Ça me changeait de mon « chéri » thaïlandais qui adore se faire prendre en photo – lui – devant tous les monuments touristiques.
Bref, des heures et des kilomètres plus loin, je m’arrête devant le « Palais des vents » à Jaïpur. Je l’avais photographié en noir et blanc il y a 10 ans et l’envie m’a prise de le fixer sur mon écran dans sa couleur originale : terra cotta, ocre rose, couleur de l’accueil, dont toutes les maisons de Jaïpur sont parées, décret du gouvernement, d’où son nom de « ville rose ».
Le Palais des vents, comme le Taj Mahal font partie des sites très visités, bien que pour ce dernier, on ne le visite guère car il s’agit d’une simple façade en trompe l’œil, avec ses moucharabiés derrière lesquels les femmes pouvaient observer la rue et les passants, sans être vues d’eux. Pile en face de ce palais, aussi magique que curieux, s’empilent des boutiques pour touristes dont une avec terrasse à partir de laquelle la vue sur le palais est « juste parfaite » comme dirait cet allumé d’André Manoukian.
Je grimpe à l’invitation des vendeurs entassés là, dans l’attente de touristes-acheteurs. Je me ferme complètement à toute tentation de bijoux ou pashmina, écharpes en soie, puis finalement cède sous la pression. Et accepte un the dans une des minuscules boutiques. Par pure politesse, parce que « pas d’argent » je dis. Et ça recommence : « Vous êtes seule ? Comment se fait-il ? Quel âge avez-vous » ? Et puis la, je jure que tout est vrai, un des vendeurs vient vers moi et me dit : « Je vous reconnais ». J’éclate de rire. « Vous êtes déjà venue ici ». « C’est probable, voyons, est-ce que c’était hier ou la semaine dernière ? » j’interroge pour le piéger. « Non, non c’était il y a longtemps, au moins six ans ». Bon, il ne s’est trompé que de 4 ans.
Soit je suis vraiment « inoubliable », et cet indien a les mots pour le dire, ou alors ce type est le roi des bluffeurs, ou diablement malin ou étrangement manipulateur. Je n’avais pas d’argent sur moi, mais je suis quand même sortie de la boutique avec une jupe.
Qui a gagné à ce petit jeu de mots ? Allez, inoubliable peut-être, mais décidément, même avec le temps, je ne ferai jamais le poids avec les indiens !
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Photos sublimes et lecture agréable. Merci de nous faire partager ça.
Tes photos sont merveilleuses… Elles emportent le lecteur dans un monde qui change des clichés des voyages en Inde et ça fait du bien.