Le bus traversait la ville encombrée et je n’avais aucune raison de porter un regard attentif au passager assis à côté de moi, sur ma gauche, contre la vitre. Dans la froideur citadine que je recevais par mes cinq sens déployés, la routine des transports en commun avait toute la lourdeur d’une journée sans surprise. Et pourtant…
Mon passager me demanda soudainement de lui faire de la place pour s’engager dans le couloir du bus. Je le vis se pencher sur une femme, une amie certainement. J’attendais son retour, debout dans l’allée. Au bout de quelques minutes, il revint s’asseoir près de moi et prit une position méditative. Le coude ramené sur le genou, le menton appuyé sur sa main gauche refermée, il jetait un regard inquisiteur au monde urbain qui défilait sous ses yeux. A ce moment-là, je remarquai un tatouage, non, pas une image mais des mots, inscrits avec opiniâtreté sur la face interne de son poignet…
« Crève ou crée ! »
En une seconde, ce passager, insignifiant jusqu’ ici, prit un relief inattendu. Je le regardai plus précisément, scrutai son regard d’un bleu magnétique, tentai de le situer socialement…Trois mots d’une violence inouïe et qu’il porterait à jamais comme un oriflamme, comme l’étendard d’une nation. Trois mots sans tendresse mais qui en disaient long sur sa détermination, sur sa perception de la vie, sur ses choix, sur son acharnement à exister vraiment.
EXISTER, rebelle s’il le faut, aux modes et tendances, au politiquement-correct, à la pensée monolithique, libre de toute façon. Etait-ce un artiste, un sociologue, un philosophe, un intello rêveur, un expert en développement personnel ? Peu importe…Il portait dans sa chair un message révolutionnaire mais pas de ceux qu’on peut lire dans les manif ou qui ont fait la gloire de Mai 68.
Ce message incisif, outrageant, concis, claquant comme une cravache, résonnait en moi étrangement mais pleinement. Il fracassait mes neurones, il me flagellait, me sortait de ma torpeur, me faisait prendre d’assaut toutes les citadelles du savoir, chevaucher toutes les compilations humaines. Il me renvoyait en fait à une vérité profonde, à un enseignement de grande sagesse.
CREER pour mieux comprendre le processus de la vie, couler dans son mouvement permanent, alternatif, rotatif, fugitif. Créer, comme l’abeille qui fait son miel, créer pour embrasser les forces de l’Incommensurable, du Sacré, de l’Infini. Créer pour ne pas se scléroser, pour rester dans la joie, dans cette vibration unique avec les autres, avec Soi. Créer pour répondre aux Idées, pour les incarner, se dépasser, tirer le meilleur de ses talents, de son intuition, et prendre un goût d’éternité. Créer enfin à la manière de Lao-Tse…
« Créer, non posséder ; œuvrer, non retenir ; accroître, non dominer. »
Crève ou crée… l’ inconnu du bus martelait innocemment son sceau au fronton de ma conscience, quel cadeau !
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