L’auteur, américain amoureux du Tibet, poursuit son périple dans la province historique, cette fois aux confins du Changtang et de l’Amdo. L’ex-inspecteur han Shan, flanqué de son compère l’ex-moine tibétain Lokesh, ont pour mission de rapporter l’œil d’une divinité dans sa province d’origine. Œil volé par l’armée chinoise lors de la “pacification”, cet autre nom de l’occupation coloniale.
Le mouvement de « progrès » marxiste se poursuit, visant à éradiquer les Quatre Vieilleries – fort enracinées au Tibet, comme chacun sait. Les hurleurs et les nœuds sont de connivence avec l’armée pour la plus grande gloire du Parti. Les premiers sont des moines-socialistes qui ont pour apparat la religion et pour objectif la productivité ; les seconds sont la Sécurité Publique, paranoïaques et obtus comme partout ; les derniers font régner l’ordre venu de Pékin.
Pas simple quand les gens ne veulent pas se « socialiser » à la mode centrale et que les montagnes font de la résistance. Certains lieux sont les mûrisseries des âmes. Telle est la montagne de Yapchi où les sages de l’ancien temps venaient mourir, veillant sur la vallée aux simples et sur son temple guérisseur. Le Tibet meurtri a bien besoin de remèdes car sa sagesse millénaire est méprisée et déracinée par les néo-curés de Mao. Mais « lorsqu’un grand nombre d’humains se rassemblent en ces lieux, ils alimentent le pouvoir de mûrissement, de sorte que de grands événements peuvent se produire et que les existences de nombreux êtres se stabilisent » p.624. C’est ce qui va arriver et les Chinois, aidés des Américains prospecteurs de pétrole, devront laisser la vallée à la nature.
Shan, comme toujours, n’est que le paratonnerre de forces qui le dépassent. Il observe, met en relations, mais est agi plus qu’il n’agit. Ce qui peut agacer les amateurs de thriller où l’action est première. Mais c’est ce qui fait le charme des récits de Pattison, un labyrinthe oriental avec des élévations poétiques et des ouvertures vers les siècles d’une grande force humaine. Nous sommes emportés vers un destin que nul ne maîtrise, par des puissances dont on ne sait si elles résident en les choses ou dans les êtres. Peut-être, là comme jamais, ces lieux de haute altitude sont-ils des états d’âme ?
Qui veut pénétrer un peu plus le mystère du Tibet et la hargne chinoise contre ce peuple, lira les romans policiers d’Eliot Pattison. Il ouvrira son âme à quelque chose d’inconnu.
Eliot Pattison, L’œil du Tibet (Bone Mountain), 2002, 10-18 2009, 653 pages, €9.12
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