Du 19 février au 8 août 2010, Edvard Munich s’expose à la Pinacothèque de Paris. Tout le monde connaît « Le Cri » ; rares sont les amateurs qui connaissent autre chose. Il est donc remarquable que l’institution privée de la Pinacothèque ait réussi à faire sortir le public de l’ornière scolaire en inversant une contrainte (le refus des musées norvégiens de prêter « Le Cri » par crainte de vol) en lecture nouvelle.
Edvard Munch (on dit « Mounk »), peintre norvégien de l’entre deux siècles (1863-1944) vaut en effet d’être mieux connu. Environ 150 œuvres fort diverses en rendent compte, installées dans un labyrinthe sombre aux spots bien ajustés près de Fauchon, le temple de la bouffe chic. Cette présentation réservée, tamisée, toute en détours et dédale, convient parfaitement à l’œuvre sombre et multiforme de Munch.
Le jeune Edvard n’a pas eu une existence facile. Sa mère est morte lorsqu’il
avait 5 ans, sa sœur aînée Sophie lorsqu’il avait 14 ans, toutes deux de tuberculose. Élevé par sa tante dans une Norvège isolée conformiste, puritaine et bourgeoise, il est peu aidé par son père, médecin militaire rigoriste qui se réfugie dans la Bible.
Edvard commence des études techniques mais décide de devenir peintre à 17 ans. Il est doué mais les malheurs le suivent : son père meurt lorsqu’il a 26 ans, son frère Andrea juste après son mariage alors qu’Edvard a 32 ans, il tombe en dépression à 45 ans, est soigné pour alcoolisme autour de ses 50 ans, enfin sa sœur Laura meurt alors qu’il a 63 ans. Il a l’impression de tous disparaissent avant lui.
D’où sa crainte des femmes et du mariage malgré Tulla Larsen, une Norvégienne fortunée qui l’a pourchassé dans toute l’Europe pour l’épouser. La femme est pour lui la Mort, depuis celle de sa mère et de sa sœur (« L’enfant malade ») jusqu’à la Tentatrice, la Madone offerte autour de laquelle nagent les spermatozoïdes et qui se moque bien de son bambin-fœtus quasi mort-né.
Entre ces deux extrêmes règnent la douloureuse Solitaire qui cherche l’amour fusionnel, le Vampire aux cheveux roux qui accrochent l’homme pour le baiser, ou l’Amour à mort qui est celui de la passion selon Charlotte Corday.
D’où son rejet de la bigoterie malgré son angoisse existentielle. La nature est cruelle, le soleil rouge sang, la mer mouvante, les nuits molles. Son tableau préféré était loin du « Cri » (1893) : Edvard Munch préférait son « Enfant malade » (1886), souvenir exacerbé par l’adolescence qu’il gardait des derniers moments de sa sœur Sophie. Sa chevelure étique qui s’épand sur l’oreiller est la vie qui s’éteint, la mort qui rôde et qui teinte d’angoisse toute l’existence. Qui a perdu sa mère jeune reste en perpétuelle insécurité, instable, cherchant toujours un absolu qui ne vient jamais.
Ce pourquoi Edvard Munch va essayer de tout : peinture, collage, gravure sur bois, pierre et cuivre, affiche, photo, films… Il va user de toutes les techniques : l’huile, le lavis, le soufflage à la paille, le grattage, l’exposition aux éléments (soleil, neige, pluie, fientes). Il s’ouvre à la diversité des expressions artistiques à Paris (1890), fait scandale à Berlin (1892), revient à Paris (1896) où il se concentre sur les moyens graphiques, avant de faire retour en Norvège (1898). Les nazis le traiteront d’artiste dégénéré et ôteront ses œuvres des musées allemands. Il lèguera son œuvre à la ville d’Oslo.
Ses œuvres sont pour lui des enfants créés dans la douleur. Il veut peindre des hommes qui respirent et s’émeuvent. Toute son âme retentit dans la nature. Edvard Munch est en peinture le dernier descendant des romantiques. Il est dominé par l’angoisse et par la passion, la lumière lui est un cri de souffrance. Il est atteint de ce pessimisme radical « fin de siècle » comme Nietzsche (qu’il a peint), mais sans cette joie de midi des paysages méditerranéens, ni la grande santé des montagnes suisses, deux domaines qu’Edvard n’a pas connu, au contraire de Friedrich.
A la fin des années 1880, sa rencontre avec les anarchistes radicaux de Jaeger le révèle. Il est bien de son siècle, anarchiste fin de siècle anti-bourgeois et anti-industriel, qui cherche le bonheur dans des formes anciennes de la paysannerie et de la nature, de l’émotion contre la raison. Une série exposée montre des ouvriers, un cheval au galop : ce sont ses rares témoignages du monde réel. Il préfère les solitaires sur la plage, les hommes ou les garçons au bain, les filles nues pleurant ou d’autres sur un pont se promenant sans but.
Il y a toujours des envieux ou des jaloux pour « faire polémique » : « ah, mais ya pas le Cri ! », « les conservateurs nationaux auraient fait plus pédagogique ! », « Munch, c’était pas un admirateur des bons Allemands nazi ? », « la pine à Kotek est riquiqui et fourre-tout ! ». Nous laisseront aux pisse-froids jamais contents de rien leur fiel aigre – pour dire que nous avons aimé cette exposition.
Edvard Munch ou l’anti-Cri, exposition à la Pinacothèque de Paris, 28 place de la Madeleine, du 19 février au 8 août 2010, de 10h30 à 18h (nocturne le mercredi jusqu’à 21h), 10€, tarif réduit 8€, gratuit pour -12ans, RMI et ASS, minimum vieillesse, invalides et profs avec réservation de groupe (sur justificatifs). Audiophones louables, iPhone et iPod touch guides téléchargeables. www.pinacotheque.com 01.42.68.02.01
Extrait téléchargeable gratuitement de l’audio de l’exposition.
Lunettes rouges (blog favori) sur l’exposition 2005 à la Royal Academy
Edvard Munch sur Wikipedia
Toutes les expos de la Pinacothèque sont fortes en pub mais faibles pour tout le reste. A éviter en général.
A dire vrai, j’attendais beaucoup de cette expo et j’ai été déçue!Ce n’est pas tant le peintre qui m’a déçue que le lieu : la Pinacothèque n’offre aucun recul, on défile dans un parcours étroit et sombre qui ne met pas en valeur le œuvres.