Jusqu’en Janvier 2014, le Grand Palais rend hommage à Felix Vallotton, un artiste peintre suisse, aussi inclassable qu’incompris. Cette exposition du Grand Palais est l’occasion de mieux découvrir ce peintre à l’oeuvre singulière.
D’origine suisse, Félix Vallotton (1865 – 1925), auquel le Grand Palais rend hommage jusqu’au début de janvier 2014 en même temps qu’à Georges Braque, a produit une œuvre singulière qui reste aujourd’hui encore difficile à classer. Graveur, illustrateur, peintre, romancier prolifique, Vallotton s’est essayé à tous les arts avec talent et originalité. Il fut entre autre un formidable portraitiste mais, par ailleurs, un homme de contradiction, rebelle, sympathisant anarchiste et solide bourgeois, membre du mouvement nabi, solitaire impénitent et mélancolique. Marqué, dès l’enfance, par un fait douloureux dont il fut sans doute accusé à tort, la mort accidentelle d’un camarade de classe, il s’isola en lui-même et son abord fut toujours ombrageux et sarcastique. On s’en aperçoit dès le premier autoportrait qu’il réalise de lui à l’adolescence et où on le découvre muré et hostile, clos en lui-même comme si son attente ne pouvait être qu’intérieure. Il finira par se marier tardivement à une femme qui lui apportera une tendresse à laquelle il n’était pas habitué et sa fin de vie, vécue le plus souvent sur la côte normande, sera paisible et heureuse. « Le ballon », présenté à l’exposition du Grand Palais, est probablement son œuvre phare, significative d’une originalité qui l’éloigne de ses amis Bonnard et Vuillard par sa composition innovante, proche de la photographie.
Autoportraits de Felix Vallotton adolescent puis adulte | ||
Cette toile présente, en une vue plongeante, une enfant jouant au ballon dans un jardin public, tandis qu’au loin deux femmes devisent à l’ombre des arbres. L’œuvre a été inspirée d’une photo prise par le peintre en 1899 depuis la maison de Thadée Natanson à Villeneuve-sur-Yonne, Thadée étant le cofondateur de la Revue blanche dont Vallotton fut l’illustrateur attitré de 1895 à 1902. La photographie participe en effet au processus créatif de Vallotton dans la mesure où il en exploite le langage spécifique, comme les cadrages audacieux et les contre-jours – explique Katia Poletti, l’une des commissaires de l’exposition du Grand Palais. L’enfant au chapeau est saisi dans un moment d’envol, à l’instant où, les bras tendus, il se lance derrière le ballon rouge qui lui a échappé et dont il tente de se saisir. Ce moment suspendu n’a pu être fixé que par un instantané photographique. Ainsi, en reproduisant ce mouvement, Vallotton a-t-il peint une allégorie du désir, de l’élan fébrile qui nous porte irrésistiblement vers ce qui nous échappe sans cesse.
Par ailleurs, la dualité des deux perspectives, celle de la lumière où évolue l’enfant et celle autre où les deux femmes se tiennent en retrait à l’arrière-plan selon une échelle réduite, exprime sans doute le mode d’existence différent qui existe entre le monde adulte et le monde de l’enfance, entre le peintre angoissé et la petite fille insouciante. Elle est accentuée par le contraste de la lumière et de la couleur, l’une dans les blancs et ocres, l’autre dans les verts foncés. Le peintre, à l’aide des plans et des ombres, signifie que le monde des adultes est dangereux et agressif et que l’enfant s’empresse d’y échapper en s’éloignant de l’emprise dense et sombre de la nature qui projette sur le gravier ses formes menaçantes. Claude Arnaud, dans le catalogue de l’exposition, note que l’arc de cercle, qui divise la scène, évoque un globe terrestre avec une deuxième balle marron chargée de rappeler la lune ou le soleil et évoquant le tourbillon de la vie.
L’année 1899 marquera un tournant dans la carrière de l’artiste qui, de graveur, deviendra peintre. Malgré la dispersion du groupe des nabis auquel il appartenait avec ses amis Vuillard et Bonnard, il organisera sa première exposition personnelle à la galerie Bernheim-Jeune, tandis qu’au salon d’automne 1905, il exposera sept de ses tableaux et fera la connaissance de Marquet avec lequel il partageait des concordances de mélancolie et le goût des grands aplats de couleurs.
Travailleur opiniâtre et taciturne, Félix Vallotton a traité tous les genres avec des périodes dévolues tantôt aux paysages, tantôt aux portraits où il excelle, tantôt aux natures mortes ou aux nus, sans oublier ses impressionnantes compositions inspirées par la Première Guerre mondiale. A sa mort en 1925, ce peintre solitaire ne laissait pas moins de 1700 tableaux. Il semble qu’aujourd’hui on veuille réhabiliter un artiste trop longtemps incompris.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE