Il y a, à Belgrade, dans sa partie la plus proche de la rivière, celle qui est encore truffée de vieilles maisons attendant vainement une éventuelle réparation, entre lesquelles s’érigent de hauts bâtiments gris d’allure socialiste, un tout petit plateau, bien clair et vierge de toute marque de civilisation d’aujourd’hui.
La résidence de la princesse Ljubica (en serbe Конак кнегиње Љубице/Konak kneginje Ljubice) est une très belle découverte que vous pourrez faire à Belgrade, au coeur du centre de la vieille ville, à quelques enjambées du parc et de la forteresse de Kalémegdan et de de Knez Mihailova, juste en face de la cathédrale Saborna.
C’est là, sur cet îlot de verdure, que se trouve une maison franchement inattendue, surtout quand on arrive du côté de la rivière: construite dans un mélange de styles quelque chose entre l’architecture turque et celle de l’Occident (ce qu’on appelle le style centre-balkanique), toute blanche et vierge de tout décor, si ce ne sont ces quelques frises rudimentaires, et un joli arbre qui donne le cadre à tout. C’est la résidence de la Princesse Ljubica, et également le musée qui fut, pendant très longtemps, celui que j’aimais visiter à toute occasion.
Qui était la Princesse Ljubica?
Pour faire court, la Princesse Ljubitca fut l’épouse du Prince Miloš Obrenović un personnage haut en couleur, qui eut le privilège d’être le premier souverain de Belgrade (et ses alentours) libéré de toute présence Ottomane, après les soulèvements serbes. On dit d’elle qu’elle fut celle qui emmena à Belgrade l’air moderne de l’Occident de l’époque, tout en élevant à un niveau plus noble les traditions et coutumes citadines des Belgradois. A un moment, Milos décida de s’en séparer, et ce fut à ce moment là qu’il fit construire sa demeure en plein centre ville, par rapport à la sienne qui se trouve dans ce qui est aujourd’hui considéré comme le parc de Topcider.
Cette bâtisse est, avec le restaurant « ? » qui se trouve à deux pas de là, considérée comme l’une des plus anciennes de Belgrade. Le tout se trouve juste en face de la Cathédrale de l’Archange Michel (Saborna crkva), là où l’on sent encore le parfum envoyé par les arbres qui peuplent le parc de Kalémegdan. Pour ceux qui ont envie d’autres horizons, et surtout d’autres centre d’intérêts, la rue commerciale et piétonne de Knez Mihailo est là aussi et en descendant un tout petit peu vers le bas, on atteint les quais de la Sava.
Pourquoi faut-il visiter la résidence de la Princesse Ljubica?
Tout d’abord à cause de son architecture. Personnellement, j’adore! Bien que le rez-de-chaussée est fait de façon, je dirais, presque rudimentaire, le petit balconnet fermé du premier étage et l’espèce de tour de garde qui se trouve sur le toit, sans parler des cheminées typiques pour l’époque, donnent à ce bâtiment une sorte de charme inouï. De même, les moulures, bien que très discrètes, apportent à cette demeure une touche de noblesse, tout en douceur. Et le blanc immaculé confronté au contraste de la porte principale et des fenêtres en bois très sombre, font de tout une unité très harmonieuse. Mais si l’extérieur, faisant un si gros contraste avec les bâtiments l’entourant attire l’œil le meilleur se passe à l’intérieur.
En effet, une fois franchi la grosse porte en bois, on arrive dans une sorte de vestibule, où l’on s’acquitte de notre ticket, qui est franchement donné surtout quand on vient de l’étranger, et/où optons pour une visite guidée. Et déjà de là, il est possible de voir ce que je considérerais comme le cœur de cette demeure – le selamlik (sorte de salle de séjour publique) – on est transporté dans une autre époque. Tapis turcs, persans et serbes, le long ottoman entourant de petites tables basses en bois, façonnées en filigrane oriental, des gobelets, tasses, bocaux et théières, sans oublier le plateau de café tout en argent ou en bronze, tout finement ciselé en fait, il suffirait d’un pas et de traverser la barrière et on s’y imaginerait déjà. Pourtant, en tant que femme, cette pièce ne serait pas pour moi – elle était réservée au Prince quand il y résidait, en rendant visite à sa femme, ou aux fils…
D’autres pièces sont réservées aux femmes, remplies de bibelots typiques pour l’époque, sans parler du superbe hammam en pierre grise, où j’imagine que l’on pourrait carrément faire des mini-concerts de musique classique. Ici l’on verra des exemples de costumes traditionnels, dont certains réellement portés par la princesse. Cette partie à récemment péri dans un incendie, et a du être entièrement restaurée. Heureusement, les costumes n’y étaient pas, vu que le hammam servait comme décor pour un film!
Ce qui est intéressant, c’est que tout ce rez-de-chaussée est arrangé de manière à ce qu’on aie l’impression qu’on est des intrus, visitant la maison en catimini, alors que les hôtes ne vont pas tarder à débarquer et à nous y trouver une véritable intrusion dans la vie privée des gens, bien qu’ils vécurent bien longtemps avant nous!
Un étage tourné vers la modernité et les influences occidentales
Le premier étage est, disons, plus moderne. Là, bien qu’une partie de meubles appartenant à la princesse est bien présent, on nous explique qu’un certain nombre d’objets provient des donations. Et ici, c’est résolument des salons Ocidentaux qui s’offrent à nos yeux, remplis d’exemplaires majeurs de leur époque et style: secrétaires baroque, canapés Louis XV,XVI et co, tableaux des contemporains. A noter nombre de bibelots personnels de la Princesse, et cette atmosphère sereine dans le salon principal, celui qui s’ouvre sur cette espèce de balconnet fermé et ovale le nombre de fenêtres s’y trouvant, faisant de tout un espace très clair et accueillant… Je note, et cela m’émerveille à chaque fois, la quantité de soin et d’amour avec lequel chaque objet est mis en valeur.
Il n’y a rien en trop, ce n’est pas surchargé, et pourtant, on pourrait y passer des heures à décortiquer chaque petit objet posé sur l’une des nombreuses tables ou vitrines. De même, comme on l’a vécu à l’étage inférieur, tout y est exposé de façon à nous faire vivre un moment dans une vie qui n’est pas la notre, à imaginer comment les choses se passaient avant. J’imagine bien, que la pauvre petite princesse, aménagea cet étage-là, pour jouer à la vie occidentale, bien enfermée dans sa cage dorée. Et cela me rend triste aussi bien que selon les documents que j’ai pu dénicher, elle fut vraiment exceptionnelle, et bien devant son temps.
La visite de ce musée de la résidence de la princesse Ljubica se fait assez rapidement, guidée souvent par une très gentille dame prête à répondre à toutes les questions. Bien sûr, on peut, comme je le fais souvent quand des amis étrangers débarquent, se munir de petits guides sur papier, et y glaner pendant des heures tout dépend ! Et bien sur on ne peut pas, en parlant de ce musée, parler d’une ou des collections bien spécifiques. C’est plutôt une immersion dans les temps passés, qu’une suite d’objets fichés. Mais en tout cas, ce petit musée reste un de mes préférés, me faisant repenser aux rêves de petite fille, quand je voulais y habiter!
C’est grâce à toi que j’ai pu en apprendre l’existence au fil des lectures de tes articles sur Belgrade et que j’ai pu la découvrir. Merci.