
Ce pourquoi le lecteur familier de l’œuvre retrouve sans peine quelques unes de ces histoires devenues livres. Mais cette redondance, loin d’ennuyer, donne des clés pour comprendre le processus d’écriture de l’auteur. Il part souvent d’un mot, d’une expression ou d’une situation qui, décalés, stimulent son imaginaire. Il lâche alors les chiens sur la folle du logis pour écrire de façon fluide, comme inspiré. Jusqu’à ces carrefours où la plume hésite, ne sait pas continuer, attend le déclic pour trouver la chute. Les romans sont les nouvelles qui ont abouti ; les nouvelles pures restent souvent sur un équilibre précaire qui les fait paraître inachevées à nos yeux trop formatés au tout ou rien, Bien et Mal, happy end.
Les 23 nouvelles traduites ici ont été publiées dans divers périodiques japonais et américains. La traduction n’est pas celle de Corinne Atlan, ce qui peut changer l’habitude de ton qu’un lecteur français a pu prendre de Haruki Murakami. Comme la plupart des langues asiatiques, la traduction ne peut être littérale, elle est plutôt transposition. Chaque traducteur (ici traductrice) recrée l’univers de l’auteur différemment. Je trouve la traduction Morita plus « sèche » que celle d’Atlan, plus proche d’un équivalent anglais, peut-être.
Mais nous reconnaissons bien l’univers si particulier de Haruki Murakami : un mélange de réalisme précis, allant jusqu’à citer les marques de chaque vêtement et le modèle de la voiture ou du morceau de jazz – et un décalage vers l’étrange, comme en passant un pli d’espace-temps. Nous sommes dans la modernité occidentale vue au travers d’une âme asiatique : où le sexe est naturel mais les fantômes évidents, où agir n’est pas une nécessité pour vivre mais imaginer l’est, où la réalité la plus crue coexiste sans schizophrénie avec le rêve le plus ancien. Tel est Murakami, tel est le décalage japonais, tel est l’attrait asiatique.
Le titre du recueil est celui de la première nouvelle, onirique sur une fille du passé mais commencée dans le réel le plus net au présent avec un jeune cousin de 14 ans accompagné pour un examen d’hôpital. « L’espace de quelques secondes, je me tins en un lieu étrange, légèrement obscur. Un lieu où les choses que je voyais n’avaient pas d’existence, où les choses invisibles existaient. Mais très vite le bus 28, très réel, stoppa à côté de nous. Sa porte très réelle s’ouvrit. Je montais dans le véhicule qui m’emmènerait ‘ailleurs’ » p.29. Nous sommes en plein dans l’univers Murakami.

Contrairement aux romans de Murakami, ces nouvelles ne sont pas à lire en continu mais de temps à autre – avec modération – comme on prend un verre d’alcool fort. Elles sont à chaque fois à méditer, ou plutôt chacune fait rêver à sa manière. Si le lecteur les enchaîne, leur sens se bouscule, laissant une impression d’inachevé et de déconcertant. A réserver aux connaisseurs de Murakami ; pour ceux qui abordent cet auteur si particulier, je conseillerais plutôt de commencer par ‘Les amants du spoutnik’ ou ‘Kafka sur le rivage’.
Haruki Murakami, Saules aveugles, femme endormie – 23 nouvelles, traduction du japonais d’Hélène Morita, 2006, 10-18 2010, 504 pages, €8.36
Existe aussi en audio-livre, 8 nouvelles dites par Sylvain Machac, Audiolib 2009, €16.43
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