
Rien ne prédisposait cette fille de médecin née à Tomsk en 1910 et qui, tôt orpheline, passa son adolescence en Mandchourie, à devenir la muse du maître. Emigrée en France en 1928, elle s’installa à Nice, lieu de prédilection de la communauté russe. Quatre ans après son arrivée, à la recherche d’un emploi, elle entra au service de Matisse comme aide d’atelier. Celui-ci travaillait alors à la Danse, immense composition décorative réalisée pour le docteur Barnes. Elle y resta six mois, puis revint, dès 1933, cette fois pour servir de dame de compagnie et garde-malade à Madame Matisse. Commence alors pour elle une nouvelle aventure qui bouleversera son destin : progressivement, elle deviendra le modèle favori et la secrétaire du peintre, qu’elle assistera jusqu’à sa mort, en 1954. Fidèle et dévouée, elle le délestait des contraintes quotidiennes pour qu’il pût se consacrer entièrement à son art. Et, surtout, elle posa pour lui. Fut-elle aussi sa maîtresse ? Elle s’en défendit toujours, et, d’ailleurs, cela a-t-il vraiment de l’importance ? Dans ses relations avec les femmes, le grand Fauve Matisse n’avait guère à voir avec le Minotaure Picasso. Seule compte la relation étroite, esthétique, presque mystique entretenue entre le peintre, son modèle et la peinture.

Portraits élaborés, nus ou habillés, fusains et photographies confirment ces témoignages. Mais ce sont peut-être les dessins (dont de nombreux inédits), travaillés ou synthétisés en quelques traits d’encre ou de crayon jetés d’une main assurée sur le papier, qui font prendre conscience au visiteur du rôle de muse qu’occupa Lydia D. A ces œuvres, il faut encore ajouter des documents, notamment de petits mots, souvent illustrés, des lettres, des photographies qui offrent une vision de la personnalité du peintre – généreux, attentif, volontiers taquin – et renseignent sur la vie quotidienne de son atelier et de la Villa Le Rêve, à Vence, où il s’était établi durant la Seconde Guerre mondiale. Parmi les plus belles toiles exposées, citons la Blouse verte (1935-36), Jeune femme au corsage bleu (1939), Portrait bicolore (1938) ou encore le célèbre Nu rose, intérieur rouge (1947).

Illustrations : Couverture du catalogue de l’exposition – Nu rose, intérieur rouge, 1947, huile sur toile, dépôt du Centre Pompidou, Paris, M.N.A.M/ CCI, Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis © Succession H. Matisse, Photo Philip Bernard – Rolando Ricci, Lydia Delectorskaya, Fonds Lydia Delectorskaya, Musée Départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis, Photo D.R.
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