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Les Bagnes pour enfants sur les îles françaises ; un monde infernal au milieu de nulle part

Vestiges bagne de l'ile des pins

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Les îles ont servi de prisons. On le sait. Mais connait-on celles qui ont abrité des bagnes pour enfants? Quelles sont les principales îles du bagne pour enfants?

Cela se passe au temps où les enfants gênaient les grandes personnes. Un temps pas si lointain où l’on mettait les enfants indisciplinés et les adolescents dans des centres pénitentiaires, baptisés « colonies agricoles » ou « maisons de rééducation ».

Ils y passaient un moment infernal dans des conditions épouvantables, dans des lieux perdus au milieu de nulle part, cernés par les flots ou par les collines oubliées, sans nouvelles ou presque de leur famille.

C’est dans l’air du temps de ce milieu du XIXème siècle. « On ne veut pas de ça chez nous ». Fort de ce credo peu constructif, des lois sont votées un peu partout en Europe. En autorisant les bagnes privés pour mineurs, Napoléon III veut se débarrasser des innombrables enfants gavroches, prostitués, orphelins vomis par la balbutiante Révolution industrielle. Les petits morveux rapinent les bourgeoises dans les venelles tandis que les morveuses tapinent le bourgeois. Mais ces « petits morveux » sont aussi des orphelins, des mal-aimés, des gênants, des enfants illégitimes de filles-mères, des innocents aux dents jaunes.

On les envoie dans des centres de rééducation, la plupart du temps dans les campagnes, parfois dans des îles qui s’éparpillent le long du beau littoral tricolore ou dans nos colonies.

Les îles constituent des prisons parfaites, des endroits difficiles d’accès, des lieux où la sortie n’est d’aucun secours.  

En février 1861, une soixantaine de mineurs âgés de cinq à vingt et un ans sortent de la prison de la Roquette à Paris, une maison de correction d’Etat, et prennent la direction de la plus sauvage et la plus belle des îles d’Or en Méditerranée. Ils seront suivis par beaucoup d’autres. Une centaine d’enfants, dix pour cent des internés, sont morts au bagne de l’île du Levant, dont quatre avaient moins de dix ans (1). Les conditions de vie ineptes, la malnutrition, les sévices sexuels et la maladie faisaient des ravages.

 

bagne privé Ile du Levant

Ce bagne privé, autorisé en 1860, était légal. Il appartenait au comte Henri de Pourtalès, fils du comte James-Alexandre de Pourtalès-Gorgier, natif de Neuchâtel, père du ministre de Prusse à Paris, résidant en Suisse.

L’île est maintenant coupée en deux. Une base militaire occupe les lieux où sont enterrés ces cent enfants. Une petite stèle rappelle leur histoire. Une toute petite stèle. 

A partir de 1850 et jusqu’à la fin du XIXème siècle, de 1000 à 3000 petits condamnés par an sont envoyés dans ces colonies agricoles, gérées par une administration peu contrôlée ou par des religieux qui mélangeaient doctrine divine (récompense, espérance, épreuve et punition) avec disciplines strictes, trop strictes. Fortes de leur impunité et de leur isolement, ces colonies se sont transformées en bagne.

Fichtre. Bagne ? Le mot n’est-il pas un peu fort ?

Non. Le but était de rééduquer l’enfant et de l’initier au travail agricole. En ce milieu du XIXème siècle, le mythe du travail de la terre comme source d’élévation de l’individu est dans les esprits. L’idée de la vie collective prime sur celle de l’isolement. Ces maisons ou ces colonies sont soit gérées par des administrations, soit par des congrégations religieuses – propriétaires de terres ne demandant que de la main d’œuvre pour être exploitées – dont la mission est de ramener la jeunesse à Dieu.

Les enfants travaillent près de treize heures par jour, sauf le dimanche. Lever 6 heures. Un morceau de pain comme petit déjeuner. Ils ont le crâne rasé pour éviter les poux. La toilette n’existe pas. Ils sont ensuite affectés à des tâches agricoles (épierrages des champs, foin, ramassage des légumes) ou artisanalo-économiques (sandalerie, cordonnerie, charronnage, fromagerie). Interdiction de se parler. Repas à 13 heures, exclusivement du pain trempé dans un bouillon de légumes, le plus souvent secs, appelé « pitance ». Le soir, soupe. Pas de fruits frais, pas de viande, pas de poisson.

Les punitions sont très diverses. Régime au pain sec, piquet à genoux, manège (on fait tourner l’enfant pendant une journée dans la cour), cachot, coups nombreux, voire systématiques, même s’ils sont interdits. Les coups de ceinture et de trousseau de clefs pleuvent, les sévices sexuels sont très répandus. Le taux de mortalité est très élevé. Les maladies pulmonaires et la dysenterie déciment ces enfants privés de tout.(2)

Ils défilent dans les villages ou sur les îles, au pas militaire, en treillis, crâne rasé. On ne plaint pas les voleurs. Les insulaires et les villageois voient ainsi que l’ordre règne. A l’intérieur, on ne moufte pas, on dort sur des paillasses, on vit avec la peur, les poux et le sentiment d’abandon, on négocie une fellation pour un bout de fromage, on force l’enfant dans la profondeur du cachot.

Les îles du bagne pour enfants ; entre atrocités et scandales  

Sur l’île de la Réunion, un bagne a également vu des centaines d’enfants périr dans des conditions atroces. Celui de l’Ilet à Guillaume dans les hauts de Saint-Denis était géré par la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie. Les enfants, victimes de racisme de chômage ou tout simplement de pauvreté, étaient facilement condamnés à plusieurs dizaines d’années de bagne pour des petits larcins comme des vols de fruits ou pour vagabondage. 

graine de bagnardCette jeunesse dite délinquante effrayait les classes dirigeantes lesquelles, en pleine crise sucrière, ne voyaient pas où était le problème. La plupart de ces enfants ont construit   des ponts, des canalisations ou des routes carrossables à flanc de falaises dans des conditions indignes. Aujourd’hui, le site est à l’abandon et le petit cimetière d’enfants qui s’y trouve est dans un état désastreux (3). Il n’y a pas de stèle. 

Le scandale des bagnes pour enfants éclata en 1934, au lendemain de l’évasion collective des enfants du bagne de Belle-Île, dans le Morbihan. Avant de manger sa soupe dans un silence absolu, un enfant avait osé mordre dans un morceau de fromage. Il fut immédiatement roué de coups par les surveillants. Une émeute et une évasion collective s’ensuivirent. Les gens de l’île et les touristes, alléchés par une prime de 20 francs par tête d’enfant, aidèrent les autorités à les chercher. Les 56 enfants « mutins » furent tous retrouvés.

« C’est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant » écrit Jacques Prévert. Les journalistes s’emparent de l’affaire. Le grand public ouvre les yeux.

Réformes des bagnes pour enfants en France

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Mais ce n’est qu’en 1946 que les bagnes sont réformés. Toutefois, certaines structures et le personnel resteront en place quelques dizaines d’années mais dans des conditions d’hygiène et de discipline sensiblement améliorées. 

Le bagne de Belle-Île, renommé colonie pénitentiaire pour enfants, ne ferme ses portes qu’en 1977.

On le sait, l’Administration adore la paperasse, les notes, les archives, les chiffres et les lettres. Or, il n’existe que très peu d’informations concernant les bagnes pour enfants.

En 1937, Jacques Prévert a écrit un scénario basé sur l’histoire de ces enfants de Belle-Île et en 1947 Marcel Carné en a partiellement tourné un film jamais achevé intitulé « La fleur de l’âge ». La brochette des acteurs laissait supposer une chouette toile. Il n’a jamais vu le jour. La censure, des producteurs aux abonnés absents et le mauvais temps ont eu raison de sa détermination. Ensuite, la bobine de 28 minutes contenant les premières séquences s’est volatilisée. Le film devait être joué avec Serge Reggiani, Arletty, Paul Meurisse, Martine Carole et Anouk Aimée à leurs débuts.

Le film de cette mauvaise conscience oubliée a disparu. Tout comme les témoignages de ces enfants maltraités.

Dans certains cachots, on peut lire encore des graffitis gribouillés par ces âmes en peine : « Vive Dieu. Vive qui vaincra Dieu. Ne meurs pas. » (4)

Damien Personnaz

 

1 – Les enfants de l’île du Levant, Claude Gritti. (Jean-Claude Lattès 1999). Lire également un compte-rendu récent de cette période

2 – Les enfants du bagne, Marie Rouanet (Payot 2002)

3 – Graine de bagnard, Pascale Moignoux (Editions Azalées, 2006)

4 – Cité dans les enfants du bagne, ibid

 

 

5 commentaires sur “Les Bagnes pour enfants sur les îles françaises ; un monde infernal au milieu de nulle part”

  1. quand j’étais en primaire la maitresse nous menaçait de finir à Tatihou si notre travail n’était pas bien, une école privée a Tourlaville

  2. Sur l’île de Tatihou dans le Cotentin (au large de Saint-Vaast-la-Hougue), un centre de redressement a fonctionné de 1948 à 1984.
    Voir le site https://www.lamanchelibre.fr/actualite-895233-histoire-des-maisons-de-correction-pour-les-enfants-pas-sages-d-autrefois
    Site consulté le 2/2/2022
    Une photo est visible là https://www.wikimanche.fr/index.php?title=Cat%C3%A9gorie:Centre_de_r%C3%A9%C3%A9ducation_de_Tatihou_(image)
    Le Centre de rééducation de Tatihou a fait l’objet d’un livre de Pierre Le Brun. « Tatihou 1954 » « île pour enfants rebelles ». voir ici –> https://www.wikimanche.fr/Fichier:PLebrun-IleEnfRebe.jpg

  3. Cela doit se savoir, la connaissance de ce qu’un peuple à fait à ses enfants, ces choses horribles, cela doit se savoir !
    Et justice doit être demandée au nom de tous ces enfants,
    Je ferai connaitre votre article

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