Louer un voilier ( quillard ou catamaran ) pour une croisière aux Antilles, c’est là le meilleur moyen de s’assurer un périple inoubliable, à condition d’avoir à bord un équipage confirmé. Pour nous, ce fut un quillard à quatre pour une croisière vers les Grenadines.
Revenant des îles Caraïbes en février dernier, j’ai aussitôt consigné en quatre chapitres, sans gommer les aléas que cela supposait, les images, les émotions, les surprises, les éblouissements, les recueillements, les découvertes qui en ont fait l’attrait et qu’aujourd’hui je vous propose de partager avec moi. Je vous promets qu’il y aura de l’action, de la couleur, du rhum, des parfums et des embruns et que le dépaysement est garanti. Alors, montez vite à bord du CONCHE et go …! larguons les amarres !
Les îles Grenadines en voilier ; une aventure sportive
Aujourd’hui dimanche 10 février, notre bateau va quitter la marina du Marin à La Martinique. Il y a un vent bien établi et une forte houle avec des vagues de 2m50 à 3m. Décidément, je ne suis pas abonnée au temps de demoiselle. Dès que je mets les pieds sur un bateau, la mer se montre, belle mais impérieuse. C’est sportif et un peu rude. Les passages entre les îles sont connus pour être agités. Les courants s’y croisent, s’y heurtent et provoquent une houle hachée. Heureusement nous avons une bonne quille de 2m de tirant d’eau qui nous assure une excellente stabilité. Le monocoque n’est-il pas un vieux routier des mers ? On n’a jamais fait mieux que ces carènes profondes qui ont sillonné les océans et fait leur preuve. Notre ami nous met de la musique de Wagner dont il est amateur, ne ratant pas un festival de Bayreuth ( il est vrai qu’il demeure à 60 km du temple wagnérien ) et j’avoue apprécier, dans cet amphithéâtre marin, d’entendre cette musique si bien inspirée des grands espaces et des éléments.
A la rencontre de la belle Sainte Lucie
La Martinique s’éloigne et c’est Sainte-Lucie qui apparaît après 7 heures de nave, semblant sortir des eaux. Comme elle, elle se compose de reliefs harmonieux, lustrés d’une végétation abondante, allongeant sur les flots sa silhouette de naïade. Des anses, des baies ont été dessinées avec art par l’océan sculpteur. Eau et vent ont travaillé patiemment cette matière avec laquelle ils n’ont cessé de faire alliance. L’île de Sainte-Lucie a la réputation d’être belle et, de loin, on la devine déjà élégante et racée, toute en courbes, fuselée et souple, sous un dais de nuages, gonflés comme des spinnakers régatant dans l’azur. Découverte comme La Martinique en 1502, lors du quatrième voyage de Christophe Colomb, les Caraïbes restèrent néanmoins les maîtres de leur terre jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Après avoir massacrés une colonie d’anglais en 1639, ils acceptèrent un traité avec les Français en 1660. A partir de cette époque, les combats entre Français et Anglais furent continuels et Sainte Lucie changea plus de 14 fois de mains pour devenir définitivement britannique en 1814, mais a conservé l’empreinte de la présence française. Aujourd’hui, l’île vit principalement du tourisme, de la culture du cacao, de la banane et des agrumes.
Marigot Bay, premier bain merveilleux et le jardin Botanique
A l’approche de notre premier mouillage à Marigot Bay, la mer se fait plus calme et nous entrons sans problème dans ce goulet étroit où se balancent quelques sloops avec, pour toile de fond, une mangrove et une forêt de cocotiers. Premier bain merveilleux autour du bateau dans une eau à 27° et premier punch.
Lundi 11 février, quittons Marigot Bay pour longer la côte Ouest de Sainte Lucie jusqu’aux deux Pitons où s’ouvre, dans une passe exiguë, l’anse de la Soufrière. Deux noirs, coiffés d’épaisses rastas sur lesquelles sont posés des bonnets tricotés de couleurs vives, viennent à notre devant à bord de leurs périssoires et nous proposent toutes sortes de services : nous amarrer à une bouée, ce qui est appréciable, ensuite nous conduire à la douane pour les papiers, enfin nous retenir un taxi qui nous mènera au jardin botanique et à la Soufrière. Nous sommes d’accord et visitons le jardin avec émerveillement, subjugués par la diversité des fleurs, plantes, arbres, végétaux qui s’y épandent. Certaines fleurs comme les gloriosa évoquent la crête d’un oiseau de paradis et arborent des colorations bigarrées du plus bel effet. J’aimerais les cueillir toutes, mais il est signalé à l’entrée que l’on n’a le droit de toucher qu’avec les yeux… Aussi, nous contentons-nous d’apprécier leurs corolles précieuses comme de la soie, fines et délicates comme de la porcelaine ou, encore, transparentes comme du cristal. Elles ont noms : shrimp plant, petrea, thumbergia, croton. Quant aux arbres, ils sont si nombreux que je ne pourrais les nommer, mêlant leurs épais feuillages, se dressant sur leurs racines comme sur des échasses, déployant leurs palmes, agrippant des morceaux de ciel comme des confettis de lumière. On reste ébloui par les ressources de la nature que l’imagination de l’homme ne pourra jamais ni égaler, ni surpasser.
La nature éblouissante de Sainte Lucie
Après le jardin botanique, le cratère de la Soufrière est bien décevant, chaudron soufré, d’où s’exhale une odeur caractéristique et dont les entrailles fermentent des grondements peu avenants. Toutefois, il ne s’est pas manifesté depuis 3 siècles, contrairement à ceux de La Guadeloupe et de La Martinique et, plus proche de nous, de Montserrat. Pour finir, une cascade qui unit, en un savant désordre, roches et végétation, et forme une baignoire d’eau chaude dans laquelle des touristes barbotent visiblement comblés. Retour au quai où nos deux pilotes nous reconduisent au bateau. Ils nous avaient, dès le matin, proposé de nous préparer un dîner typique local que nous devions prendre dans un restaurant du village.
A 17h30, ils nous confirment qu’à 19h ils viendront nous chercher pour le dîner. Mais à 19h, la nuit est noire d’encre, leur barque glisse doucement éclairée par des torches, ils se présentent à notre bord : changement de programme. Nous devons mettre dans leur canot couverts, assiettes et verres pour aller prendre le repas, non plus au village, mais sous une paillote à la plage, à cette heure-ci complètement déserte, en lisière d’une véritable jungle. Prudents, nous refusons et leur demandons de nous apporter le repas au bateau, sentant le contrat louche et craignant de nous faire détrousser. Ce qui est sage car, au final, ils nous réclameront 6OO dollars US (400€) pour les services de la journée, note extravagante qui sera ramenée à 250.
Les îles Grenadine se méritent
Mardi 12 février, départ à 8 heures. Tout est calme mais la nuit n’a pas été bonne sur un mouillage rouleur qui nous a balancés d’un bord sur l’autre. Et à peine sortis de la baie, nous allons être pris à nouveau dans le courant d’une mer nerveuse, pâle et écrêtée, de force 7/8 avec rafales et cela ne cessera pas jusqu’à l’île Saint-Vincent qui – dans le train de celles qui s’égrènent de La Martinique à Grenade, succède à Sainte-Lucie – si bien que nous allons vivre une traversée musclée, pour la raison que les vagues contrariées qui se croisent et s’entrecroisent, se choquent et s’entrechoquent, malmènent le bateau. Le vent siffle dans les haubans et c’est à peine si nous nous entendons parler tellement le bruit est assourdissant. Les îles se méritent à coup sûr, mais n’est-ce pas par la mer que l’approche est la plus belle, la plus conforme à leur singularité ? Après Sainte-Lucie et ses pitons majestueux, voici Saint-Vincent, âpre et sauvage qui dresse au-dessus des flots sa silhouette austère, chapeautée de nuages, belle isolée comme le sont toutes ses soeurs dans leur altière insularité. Nous mouillons dans l’anse de Wallilabu qui serait plaisante si l’équipe de cinéma, qui a tourné ici le premier film de la série des » Pirates des Caraïbes « , n’y avait laissé son décor qui, en se dégradant, abîme le paysage. Celui-ci se compose d’une ravine profonde où s’engouffre une végétation débordante comme un fleuve végétal mal canalisé et ourlée d’une palmeraie. Nous sommes une quinzaine de bateaux au coucher du soleil sagement alignés grâce à l’aide active des jeunes gens du cru. Bon bain et un petit punch savoureux après une journée de navigation mouvementée.
Mercredi 13 février, réveil à 6 heures. C’est au lever du jour que l’on apprécie le mieux la nature tropicale qui se dore comme une galette et dégage une lumière indescriptible.Tout y est calme, comme si le premier matin du monde se levait sur ces paysages dont certains sont encore vierges de civilisation.
Là encore, la traversée de 5 heures entre les deux îles ( Saint-Vincent et Béquia ) nous réserve quelques surprises, » La table du diable » étant fidèle à sa réputation de secouer le plaisancier, avant de lui permettre l’accès à des baies paisibles. Celle où nous entrons à Port Elisabeth est superbe, bien dessinée avec des arrière-plans en terrasses, où la végétation s’épand en grappes abondantes et où les toits des maisons jettent leur note claire. Tout y est charmant, bien distribué, avec les bateaux au mouillage qui embellissent encore le décor. Nous amarrons le nôtre, toujours avec l’aide des petits gars du port, efficaces et aimables, qui nous aident à tendre les cordages, puis déjeunons tranquillement à bord, à l’ombre du bimini.
L’après-midi, nous mettons à l’eau l’annexe pour nous rendre sur l’une des plages ravissantes et quasi désertes qui ourlent la baie, d’où la vue est enchanteresse sur l’ensemble du paysage. Nos amis ont choisi, quant à eux, de se rendre au village faire quelques emplettes et reviendront les bras chargés de fruits, dont des papayes qui rafraîchiront notre dîner.
Jeudi 14 février, la nuit a été tempétueuse et le sommeil rendu difficile par les bruits occasionnés par les bourrasques qui font vibrer les gréements et grincer la chaîne de mouillage. Au réveil toujours autant de vent, mais le baromètre amorce une remontée. Nous nous rendons au village de Béquia qui nous rappelle la petite ville des Saintes, joliment encadré par les arrière-plans de collines qui s’échancrent sur la mer. Béquia est une escale très appréciée des plaisanciers, aussi rien d’étonnant à ce que l’on y croise le bateau du Club Med ou le Royal Clipper. De nombreuses vedettes du show-biz international et des célébrités du cinéma ont ici une résidence secondaire, raison pour laquelle s’étagent sur les collines autant de jolies demeures coloniales. L’après-midi, nous retournons sur la plage faire un peu de farniente et nous baigner, les rouleaux nous assurant une excellente friction. Comme nous sommes le jour de la Saint Valentin, nos amis nous ont fait la surprise de langoustes cuisinées qu’on nous livre le soir à bord. Délicate intention à laquelle nous faisons honneur de bon appétit.
Direction l’île Mustique ; repaire de la gentry society
Vendredi 15 février, départ à 8h15 pour l’île Mustique. Trois heures d’une navigation moins venteuse que ces jours derniers. Nous longeons Béquia, avant de nous engager dans une passe entre de hauts récifs et d’approcher de Mustique, festonnée de sable rose comme d’un collier de corail. On a beaucoup écrit sur cette île de 5 km2 que le riche promoteur Colin Tennant investit dans les années 60, attirant la gentry internationale grâce à son carnet d’adresses prestigieux, dont celle de la princesse Margaret ( qui fut l’une des premières à y faire construire une luxueuse résidence ) suivie par plusieurs célébrités, parmi lesquelles Raquel Welch, Mick Jagger ou David Bowie. Mais si Mustique est en partie privée, elle réserve néanmoins aux plaisanciers que nous sommes des coins encore sauvages.
Une fois assuré notre mouillage, grâce à l’aide de plaisanciers suisses car, avec le vent et le courant, la bouée est difficile à prendre et qu’ il n’y a personne pour vous accueillir, seulement un taxi-boat qui vient soutirer sa contribution exorbitante pour le peu de service offert, soit 130 dollars US au lieu de 15 à 20 dollars ailleurs, et avalé notre déjeuner, Jean-Philippe nous dépose gentiment avec l’annexe à terre pour une grande balade le long de la côte inhabitée de l’île, laissée à sa splendeur originelle, celle que connut sans doute Christophe Colomb lors de son premier débarquement ( en l’occurrence sur l’actuelle Haïti ) et qui lui fit s’exclamer : O quelle merveille ! C’est ce que nous inspire le paysage que nous parcourons entre eau turquoise et mangrove et où le sable est semblable à de la farine sous nos pieds. Pas âme qui vive ! Seulement le vol gracieux des pailles-en-queue et le chant des petits bananaquits. Et pour compléter l’illusion, nous voyons se profiler au large un trois-mâts barque. Nul besoin de se rendre dans une salle obscure pour imaginer la découverte du Nouveau Monde. Nous avons sous les yeux un spectacle digne de ce que dut être, pour ces hommes venus de si loin, l’apparition des îles Caraïbes, qui semblent avoir été semées sur l’océan par un artiste inspiré. Nous revenons à pas lents vers le ponton. Nous aurons vu de Mustique, l’île des milliardaires, ce visage qui doit leur être inconnu : un morceau de littoral encore préservé dans son paisible isolement.
Tobago Cays ; un air des Maldives
Samedi 16 février : Finalement nous nous voyons dans l’obligation de renoncer à faire des escales prolongées dans les Tobago Cays, comme nous le souhaitions, à cause du vent et des mouillages incertains en milieu corallien et nous contenterons de les approcher et de les longer, de sorte qu’elles resteront l’objet d’un rêve inaccessible…Que sont les Tobago Cays ? Cinq petits îlots égarés parmi les coraux et entourés d’une barrière de corail nommée » fer à cheval « . Les Tobago font penser aux Maldives avec leurs plages splendides, leurs fonds clairs et les poissons multicolores que les amateurs de plongée se plaisent à admirer. Mais ce sont vraiment des mouillages du bout du monde, perdus au milieu de la houle atlantique et qui nécessitent une mer relativement calme, ce qui n’est pas le cas actuellement, puisque nous sommes affligés, en permanence, d’un vent d’Est qui ne cèdera pas d’un pouce pendant toute la durée de notre croisière. Nous n’aurons donc qu’une approche lointaine et émerveillée de ces lieux idylliques qui invitent à la robinsonnade.
Nous voici donc sur le chemin du retour à Béquia où nous retrouvons sans peine notre bouée dans cet environnement accueillant où viennent mouiller, en toute sécurité, des bateaux magnifiques : des trois-mâts, des vedettes somptueusement profilées et des pur-sang des mers, comme » nuage de mer « , battant pavillon de la Royal Navy. Une nuit de 9 heures qui nous remet en forme après celle de Mustique où nous avons été victimes d’un roulis incessant et nous voilà prêts à partir en taxi à la découverte de l’intérieur de l’île qui offre aux visiteurs des panoramas exceptionnels.
Béquia ; un paysage volcanique et impressionnant
Béquia, d’une superficie de 18km2, est la plus grande des dépendances de St Vincent. Son relief d’origine volcanique est très accidenté. La population d’environ 6000 habitants est panachée entre caraïbes noirs et métis, anglais, espagnols, canadiens, américains, français et allemands ; cet échantillonnage impressionnant par sa diversité s’entend très bien, les uns ayant besoin des autres et vice versa, tout le monde s’accepte et se supporte ; les pauvres étant reconnaissants aux riches de leur fournir du travail et de favoriser, par leurs investissements, le tourisme qui est leur seule ressource, car l’île, ne disposant que de l’eau du ciel ( pas la moindre cascade ou rivière ), est impropre à l’agriculture.
Notre chauffeur nous conduit d’abord au Fort Hamilton qui rappelle les conquêtes anglaises et d’où l’on peut embrasser l’étendue d’Admiralty Bay où nous sommes ancrés, puis nous promène dans des paysages d’une beauté suffocante où se côtoient, dans une luxueuse efflorescence, les hibiscus, lauriers, bougainvilliers, frangipaniers, fleurs du matin, ainsi que les manguiers, amandiers, bananiers, pamplemoussiers et le mancenillier, dont le fruit et les feuilles contiennent un acide proche du vitriol, capable de provoquer de redoutables brûlures à ceux qui auraient l’imprudence de goûter à son fruit ou de s’abriter sous son feuillage. On imagine facilement les dégâts que cet arbre a dû causer aux premiers navigateurs qui posèrent le pied sur ces îles. Décidément, le paradis n’existe nulle part ! Nous finissons par un élevage de tortues marines, dont certaines ont dépassé depuis longtemps l’âge de l’adolescence. En général, le responsable ne les rend à la mer qu’au bout de 5 ans, quand elle sont en mesure d’affronter les dangers qui les menacent : oiseaux prédateurs qui se régalent des bébés tortues et gros poissons qui ne dédaignent pas d’en faire leur repas de fête.
Avant de nous déposer au port ( il est midi ), notre guide nous fait assister à la sortie du lycée qui est un modèle du genre : une cinquantaine de jeune gens et jeunes filles en uniforme, d’une tenue irréprochable, sortent en ordre et en silence de leurs classes. Pas de cris, pas de bousculade, une souriante bonne humeur, un comportement élégant et discret qui pourrait servir d’exemple à nos collégiens français.L’après-midi, baignade sur notre belle plage et le soir, dîner en ville. Mais oui, pour une fois nous nous accordons une petite folie, nous réservons une table au Gingerbread afin de goûter à la délicieuse cuisine locale : tranches de papaye à la sauce au miel, espadon grillé accompagné de riz, légumes et bananes sautées, enfin une succulente glace à la vanille, cela au son d’un orchestre qui joue et chante avec autant de conviction que de ferveur. Certains airs me rappellent les chants maori, mais cela n’a rien de surprenant lorsqu’on sait les relations étroites qu’entretiennent ces îles atlantiques avec les îles pacifiques depuis que le capitaine William Bligh, après la mutinerie du Bounty, introduisit les plants de l’arbre à pain dans les Caraïbes.
Nous rentrons à notre bateau vers 22 heures sous une presque pleine lune qui illumine la baie, alors que les lumières des mâts des voiliers et celles des habitations qui constellent les reliefs, laissent croire qu’une pluie d’étoiles s’est abattue sur les lieux.
Saint Vincent ; et si on jouait aux Pirates des Caraïbes
Mardi 20 février : il y a eu des rafales de vent toute la nuit et nous nous demandons ce que la mer nous réserve pour notre traversée de ce matin entre Admiralty bay et l’anse Cumberland à St Vincent. Par chance, elle sera moins agitée que prévu malgré un ciel plombé et une mer plus grise que bleue, ce qui prouve que le mauvais temps existe sous toutes les latitudes. Mais ce qui est plaisant ici, c’est que la mer est chaude et l’air tiède. Là où nous serions équipés de pulls et de vestes de quart en Manche, en mer caraïbe un tee-shirt suffit amplement.
Partis à 7h, nous entrons dans l’anse Cumberland à 10h30. Celle-ci est creusée dans un rivage à la végétation dense, appuyé contre des versants abrupts et impénétrables, nous donnant l’impression d’un retour à la vie sauvage. Quelques cabanes de pêcheurs et le » tavern black baron » qu’a monté récemment un couple de français, visiblement très marqué par le film Pirates des Caraïbes, dont une partie fut tournée dans l’anse voisine de Wallilabu où nous avions ancré, il y a quelques jours. Et il est vrai que celle-ci évoque peut-être plus encore ce que pouvait être le repaire de ces écumeurs des mers, végétation abondante qui monte à l’assaut des reliefs de cette île réputée austère à cause de ses roches sombres, mais qui se pare quelquefois de couleurs surprenantes d’une rare beauté. L’île fut aperçue en 1498, le jour de la Saint Vincent, par Christophe Colomb, qui ne s’y attarda pas. C’est là que le capitaine Bligh, comme je le signalais plus haut, transporta sur le voilier » La Providence « , plus de 500 plants d’arbre à pain en provenance de Polynésie, qui eurent vite fait de se répandre dans toutes les Antilles. Dans ces anses où rien n’est vraiment prévu pour l’amarrage, la difficulté est d’opérer avec précaution afin de stabiliser le bateau par un mouillage en bermudienne ( cela signifie que le bateau est fixé par son ancre et retenu à la terre par une haussière le plus souvent enroulée autour d’un tronc de cocotier ). Aussitôt deux ou trois embarcations s’approchent de la nôtre et les petits gars viennent nous proposer des fruits, du pain, des colifichets. L’un d’eux est si craquant ( il doit avoir 13 ans ) que je lui achète un lot de bracelets en perles de bois colorées que sa maman fabrique et que j’offrirai à mes amies au retour. L’air est si doux, le soir, que nous dînons dans le cockpit. La mer est comme un lac et l’air imprégné de parfums. Quant à la lune, qui n’était qu’un croissant à notre arrivée, elle profile, dorénavant, au-dessus de quelques nuages blancs et de l’éventail des palmes de cocotiers, sa belle face lumineuse, tandis que nous écoutons des rythmes caraïbes à la lueur tremblotante d’une bougie.
Mercredi 20 février, réveil à 6h et départ à 7h15. Il y a du vent et la mer force dès que nous nous éloignons sous le vent de l’île et que nous gagnons au large, une mer formée, nerveuse, qui vient frapper l’étrave et nous balance des paquets d’embruns, rendant nos visages et nos lèvres salés. Le bateau gîte et nous sommes tenus de nous attacher en mettant nos harnais de sécurité, afin d’éviter le pire accident qui soit : un homme à la mer. Nicolitta s’est couchée dans sa cabine ; je préfère rester à l’extérieur en me calant dans la descente du carré, en compagnie de nos deux marins qui ont déroulé une partie du foc et la grande voile, ce qui nous assure une allure régulière de 6,5 noeuds. Nous longeons la côte Ouest de St Vincent sur tribord et déjà nous devinons au loin Ste Lucie. Le canal, qui les sépare, est, à cette saison, un couloir à vent qui nous vaut quelques embardées, mais l’air n’est jamais froid et plein de cette vigueur marine que j’aime.
Ce vent, venu d’Afrique, est, à l’évidence, particulièrement violent cette année et dépasse la force 5 habituelle. Il se fait sentir aux débouchés des vallons et entre les îles où les rafales, surtout sous grains, nous obligent à réduire la toile sans tarder. Et voilà qu’apparaissent au loin les deux Pitons, laurés de quelques nuées. Ces cônes, visibles à plus de 20 milles, sont l’emblème du pavillon national de Sainte Lucie. Hauts de près de 800m, leurs parois plongent à pic dans les eaux sombres. Ils sont là comme deux vigiles, protégeant l’île qui se dessine sur l’horizon avec ses reliefs arrondis, sa croupe légèrement soulevée et sa tête penchée sur le côté, telle une belle alanguie. Si différente de sa voisine Saint Vincent, hérissée de roches et couverte d’épaisses forêts. L’une est toute volupté, l’autre toute rébellion.
Finalement, nous renonçons à aller jusqu’à Marigot bay que nous connaissons déjà et entrons dans l’anse des deux Pitons, occupée désormais par le luxueux hôtel The Jalousy Hilton qui va quérir ses clients en hélicoptère. Le site est beau et impressionnant entre ces deux pitons et se borde d’une superbe cocoteraie, dont les palmes immenses, manteau vert et mordoré, recouvrent les flancs du vallon. Devant nous, une propriété splendide, peut-être celle du directeur de l’hôtel, rappelle les demeures des plantations de coton de la Louisiane d’antan. Ce soir, je vais m’écrouler dans ma bannette, saoulée par nos 7 heures de voile, nez au vent. Mais pas avant d’avoir pris, dans cette baie éclairée par la lune, un dernier bain de nuit.
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Jeudi 21 février : A 8 heures, une fois pris un petit déjeuner copieux qui nous permettra de tenir jusqu’au soir, nous quittons la baie des deux Pitons, car nous avons encore 48 milles à parcourir et que nous nous attendons, ayant le vent de face, à faire un près serré mouvementé. Ce sera le cas, en effet. A peine quittons-nous la protection de la côte de Ste Lucie et commençons la traversée du large chenal qui la sépare de la Martinique, que les nuages, les grains, les rafales sont au rendez-vous et je suis même obligée, pour ne pas être trempée, de rester un long moment dans le carré à respirer l’odeur de gaz-oil – car toutes les ouvertures ont été fermées pour éviter aux vagues, qui submergent la proue, de pénétrer à l’intérieur. Par chance, je suis allergique au mal de mer. J’attends de tenir à peu près en équilibre pour préparer des sandwichs à mes deux marins, qui officient sur le pont, négociant de front, et le mieux possible, les rouleaux hachés qui se succèdent. Tout craque, crisse, vibre, geint. Bien que le bateau soit d’excellente tenue, les secousses, sous 35 noeuds de vent, sont suffisamment fortes pour que la coque, en frappant durement les lames, ébranle sa membrure. Il y a toujours quelques risques quand on s’aventure en mer, car les mers d’huile et les temps de demoiselle sont rares. Mais qu’avons-nous à nous plaindre ? De nos jours, la navigation est tellement facilitée par les cartes détaillées, les GPS, les focs enrouleurs, le confort des bateaux, les ancres sur guindeau électrique. Mais, oui ! le plaisancier de 2008 n’a plus à subir ce que subissait celui d’autrefois qui découvrait ces îles, venant de la lointaine Europe, à bord de caravelles rudimentaires où la vie était dure, l’aventure totale, les conditions d’existence terribles et qui n’était guidé que par son instinct, sa connaissance de la mer et sa foi en la Providence…ils ne furent pas moins nos devanciers et nos initiateurs. Aussi, salut à vous marins d’hier ! qui avaient ouvert et balisé les routes des océans pour nos générations, à force de courage, d’intrépidité et d’intelligence !
A 15 heures, nous jetons l’ancre dans la magnifique baie de Ste Anne à la Martinique, qui nous découvre un vaste panorama depuis le rocher du Diamant jusqu’à la Pointe Dunkerque, juste à l’entrée du cul de sac du Marin où, demain, nous ramènerons le bateau à son quai. C’est dans l’anse Ste Anne que le club Méditerranée a choisi d’installer son village » Les Boucaniers « , bénéficiant de la beauté du paysage et d’une plage de sable.
Vendredi 22 février : Voici arrivé le dernier jour de cette croisière. La nuit a été bonne sur le mouillage de Ste Anne qui n’est pas rouleur et, bien que le vent n’ait cessé de souffler, la baie est bien protégée des vagues du large et garantit un abri agréable dans un cadre enchanteur. Après un dernier bain, une ultime photo, nous lèverons l’ancre pour ramener le bateau à sa base. Ce sera l’inventaire, les bagages et, demain, après un tour dans l’île de La Martinique, si charmante et accueillante, l’aéroport et le retour vers Paris- Orly- Ouest.
La croisière a été réussie, même si le temps a parfois contrarié certains de nos projets. Merci à vous skipper et co-skipper, vous avez bien mené le bateau. Pas une avarie, pas une égratignure à déplorer. Et salut à vous, mes chères îles, qui avez sans cesse aiguilloné notre voyage et vers lesquelles ont porté nos regards, avides de vous découvrir dans votre silencieuse beauté !
Les îles Grenadines en pratique
QUELQUES RENSEIGNEMENTS UTILES :
A partir du Port du Marin, location facile de catamarans avec ou sans skipper, où, comme nous, d’un monocoque à partager à 4, 6 ou 8, avec l’un des participants responsable en tant que skipper – entre autre pour la caution à verser au départ, rendue au retour s’il n’y a pas d’avarie grave.
Air-France, 8 heures de vol et 5 heures de décalage horaire.
Période la plus favorable : du 15 mars au 15 juin. Pas de risque de cyclone en principe.
Nécessaires : passeport pour les îles anglaises, dollars US et euros en liquide, cartes bancaires acceptées pour hôtels, restaurants et achats en boutique.
Vêtements légers bien sûr, mais toujours prévoir un imper et un lainage. Les douanes au départ de La Martinique, à Ste Lucie et à St Vincent pour le reste des Grenadines.
Le ravitaillement en eau et gaz-oil est possible, à Béquia entre autre.