Voilà un livre original pour ne pas dire étrange. (Ce qui, en même temps, est plutôt logique.)
Susanna Clarke écrit un livre de fantaisie historique ou un roman historique fantaisiste. Voilà un genre original. Nous sommes en Angleterre alors qu’elle livre une guerre acharnée à Napoléon. C’est alors, en plein coeur de l’hiver 1806, qu’à York, un magicien du nom de Mr. Norrell se fait connaître, pour mieux écraser les autres magiciens qui eux s’avèrent incapables de lancer le moindre sort, le plus petit charme ou le plus minuscule enchantement, aussi inoffensif soit-il.
Dès lors, Mr. Norrell va se rendre indispensable auprès du gouvernement, en resuscitant
l’épouse du premier ministre, Lord Pole, et devenir ainsi le plus grand magicien de son époque tout en s’assurant qu’aucun autre magicien peut chercher à rivaliser contre lui jusqu’à ce qu’un certain Jonathan Strange, un dandy aristocrate quelque peu vain, ne soit conduit sur le chemin de la magie par une rencontre fortuite avec un certain Vinculus, un vagabond prophète auto-proclamé chassé de Londres par Norrell. Evidemment, ainsi que le remarque un ministre, « deux magiciens, cela signifie qu’ils sont condamnés à s’affronter. »
Cette amorce d’intrigue met en fait quelques 270 pages voire peut-être plus à se mettre en place. Car Clarke écrit en affectant le style des romans à rallonge de l’époque victorienne (même si l’action de son roman se passe dans la période pré-victorienne). En fait, des chapitres entiers sont consacrés, tout au long du roman, aux moeurs et aux petites habitudes quotidiennes de certains de ses personnages et non pas à leurs actions.
Jonathan Strange & Mr. Norrell : une aventure dans une Angleterre magique
Ce qui, dans un roman naturaliste ou un roman social pourrait être intéressant ne l’est guère ici car — et c’est sans doute mon plus grand problème avec Jonathan Strange & Mr. Norrell — ces personnages ne sont pas intéressants. Ils sont prévisibles et creux. Sauf les serviteurs (Stephen, le serviteur jamaïcain de Pole est excellent; Childermass, le serviteur de Norrell également), mais ceux-ci ne sont hélas pas détaillés. D’ailleurs, alors qu’elle leur consacre un nombre incalculable de pages, Clarke ne nous fait jamais pénétrer dans la psyché de ses personnages, suivant sans doute l’adage selon lequel les actions d’un homme ou d’une femme parlent plus que ses mots. Sauf que là, d’action, il n’y en a guère.
Et quand il y en a (un chapitre est consacré à la guerre d’Espagne dans laquelle Strange devient magicien de l’armée aux côtés de Wellington contre les troupes napoléoniennes), elle passe dessus rapidement, là encore affectant un ton détaché envers les évènements. Le côté méprisant de l’aristocrate britannique qui se s’attarde pas face à de telles trivialités. Oui, mais pour le lecteur, c’est pénible.
En fait, ce roman vaut surtout pour son histoire parallèle de l’Angleterre magique. En effet, Clarke imagine qu’au Moyen Age, un magicien appelé le Raven King a fondé un royaume au nord de l’Angleterre (et un autre en Faerie où il a été élevé suite à son enlèvement par les fées et un dernier en Enfer). C’était le plus grand magicien de tous les temps. Les autres magiciens de cet
âge d’or de la magie, les Aureates, étaient capables d’exploits magiques (contrôler le temps, invoquer des fées, enchanter des villages entiers, etc.) mais déjà, à la Renaissance, les Argentine magiciens n’étaient plus capables de beaucoup de magie. Dès le XVIIIe siècle, la magie n’était devenue qu’un domaine d’étude théorique et non plus pratique.
En retraçant cette histoire imaginaire de la magie anglaise, Clarke invente un galerie de magiciens mais également les livres dont ils sont supposés être les auteurs (car il y a également, ainsi qu’il se doit, des apocryphes et des faux). Cet aspect est passionnant et très bien fait. Il me fait dire que Clarke aurait dû, une fois n’est pas coutume pour ma part, diviser son roman en plusieurs tomes. Un
premier tome aurait raconté l’Angleterre médiévale du Raven King, un second tome le déclin et la mort (temporaire) de la magie anglaise puis un dernier tome la renaissance de la magie.
Jonathan Strange & Mr. Norrell aurait été parfait en dernier tome concluant une trilogie. Cela aurait permis de faire des romans plus courts (ici la longueur est souvent inutile) et donc, dans ce cas, plus pertinents. Je pense également que l’impact dramatique de la résolution finale aurait été bien plus prenant alors que là, pour le coup, la prophétie de Vinculus qui sous-tend l’ouvrage m’a paru totalement prévisible et transparente. En fait, c’est constamment qu’un évènement que le lecteur devine comme devant arriver soit annoncé à plusieurs reprises par des personnages mais mette 100, 200, 300 pages à arriver effectivement.
Enfin, le livre a fasciné les critiques car il est écrit dans la veine d’une Jane Austen alors que c’est un livre de fantaisie. Mais encore faut-il que le style soit en adéquation avec le fond. Or, souvent, ce style ne m’a paru être qu’une affectation. Ainsi, les formes « has shewn » ou « is come » ou encore « Buonaparte » ne me font l’effet que de gimmicks quelques peu surfaits qui relèvent plus de l’imitation superficielle que d’un réel intérêt.
Pour terminer, afin d’atténuer quelque peu mon propos qui peut sembler trop sévère, il convient de préciser que ce roman est néanmoins d’une lecture agréable, ne serait-ce que parce qu’il est caractérisé par une ambition qui l’élève au-dessus de la plupart des romans de fantaisie. Une critique qui en faite sur Goodreads démontre bien cet aspect (quoi, pas de femme en cuir marchant à travers les flammes et répandant du lait maternel giclant de ses seins? C’est quoi ce livre qui prétend être un livre de « fantaisie »?!?). Malheureusement, le pari n’est pas entièrement relevé et tombe dans quelques travers regrettable, de l’autre côté du fossé: affectation littéraire trop poussé, narration basée sur des personnages quelque peu creux et montrant un peu trop son côté « regardez, j’ai fait mes recherches sur les objets quotidiens de l’Angleterre georgienne ».
Et puis, il n’y a qu’une fée (les autres sont des éléments du décor), le « gentleman with the thistle-down hair » (mais comment diable traduire cela en français?), qui, s’il est appréciable dans sa délicieuse cruauté, reste limité. J’aurais aimé voir d’autres fées, d’autres palais, d’autres forêts enchantées. Ce qui plaide encore pour une trilogie. Ou alors pour lire le recueil de nouvelles que Clarke a publié qui semble presque plus intéressant à mes yeux que le roman dont ces
nouvelles sont le prolongement.
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