Voyage Russie à Kaliningrad… Étrange territoire appartenant à la Russie, enclavé entre la Pologne et la Lituanie. Kaliningrad, une ville aussi fascinante qu’improbable dont le passé de ville royale de Prusse orientale fut glorieux…
Lieu improbable dont le seul nom me faisait fantasmer lorsque mon regard glissait sur le planisphère de mon bureau. Depuis, j’ai découvert que la ville avait été nommée ainsi en l’honneur d’un des fidèles de Staline, Kalinine (membre du Comité exécutif central et président du præsidium du Soviet suprême de l’URSS), qui n’a jamais mis les pieds là-bas, et dont le seul mérite fut de mourir au moment où la ville passait des mains allemandes aux mains soviétiques (1946). Rien de très romantique, finalement. A moins que…
Kaliningrad, l’« autre » bout du monde
Le stress montait doucement. En début d’après-midi, j’avais pris place dans un bus qui assurait la liaison entre Varsovie et Kaliningrad. Le bus devait arriver dans la petite enclave russe à la tombée de la nuit, vers 22 heures, et je n’avais pas réservé de chambre. Je profitai des arrêts pour tenter de contacter les rares hôtels de Kaliningrad, qui me proposèrent des chambres à plus de 100 € la nuit. Pressé par le temps, j’acceptai finalement une proposition de l’hôtel Moskva à peine moins chère (90 €). Beaucoup trop pour le budget d’un routard espérant rejoindre Shanghai par le train quelques mois plus tard, mais cet imprévu budgétaire devait être finalement un mal pour un bien…
Lorsque le bus se gara sur le parking de la gare routière de Kaliningrad, celle-ci était semi-déserte : seuls ronronnaient les moteurs de quelques voitures appartenant aux familles venues chercher leurs proches, et d’un taxi vieillot, qui ne semblait être là que pour moi. Sacha, le sympathique chauffeur du taxi, me conduisit jusqu’à l’hôtel en me questionnant avec empressement sur la raison de ma visite, sur mon travail et sur Paris – il faut dire que les Français ne sont pas nombreux dans l’enclave russe ! Je tentais de lui répondre en combinant les quelques mots de russe que je connais, pendant que de longues avenues inesthétiques défilaient sous mes yeux. Arrivé à l’hôtel, Sacha me tendit une carte avec son numéro de téléphone afin de me faire visiter en taxi la ville ou la région si je le souhaitais. Je pénétrai dans le hall luxueux de l’hôtel, où je croisai quelques hommes d’affaires élégants, et me dirigeai vers la réception. Je demandai à l’une des deux hôtesses si elle parlait anglais. « Non, mais je parle français », me répondit-elle tout sourire dans un français parfait. Divine surprise ! Une demi-heure plus tard, je me prélassais dans une magnifique suite au confort indécent au regard de la plupart des établissements que j’avais fréquentés jusque-là.
L’impression que j’avais éprouvée lorsque j’avais traversé la ville devait se confirmer dès mes premiers pas le lendemain matin – ou mes premières brasses, devrais-je dire, tant il pleuvait ! La cité – l’ex-Königsberg, ville royale de Prusse-Orientale –, qui était, dit-on, une des plus belles d’Europe avant la Seconde Guerre mondiale, fut anéantie par l’action conjuguée des Allemands, des Américains, des Anglais et des Soviétiques. « Wir kapitulieren nie ! » avaient écrit les nazis sur les murs du château ; après des jours et des jours d’une bataille terrible et des milliers de morts de chaque côté, lorsque les Allemands cédèrent enfin, la ville n’était plus qu’un champ de ruines. Une visite du musée Blockhaus, où le dernier commandant allemand de la ville, Otto Lasch, signa la capitulation de ses troupes devant les Soviétiques, permet de prendre conscience du martyre de la ville, qui n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même. Il n’est donc guère étonnant de découvrir des rues sans charme, où les Soviétiques, après avoir pris possession de la ville, ont reconstruit à la hâte des bâtiments destinés à héberger les nouveaux habitants – les autorités soviétiques chassèrent peu à peu les Allemands du territoire pour les remplacer par des populations slaves. Une balade le long de l’avenue Lénine, l’artère principale de la ville, est surréaliste : des boutiques de luxe se succèdent au pied d’immeubles affreux, usés par les années et le climat. La ville, néanmoins, dégage quelque chose d’excitant : peut-être le sentiment d’être hors du temps et loin de tout, « coincé » dans cette enclave dont l’accès était strictement interdit aux étrangers jusqu’en 1991 – le territoire accueillait un des plus importants ports militaires de l’URSS.
Ultime témoignage du passé glorieux de Königsberg – et raison principale de mon séjour –, la cathédrale, qui renferme le musée dédié au philosophe Emmanuel Kant, est une des grandes attractions de la ville. Le long de la cathédrale, je découvris avec émotion le tombeau de ce génie, qui avec sa fameuse et volumineuse Critique de la raison pure fit parfois cauchemarder l’étudiant en philosophie que j’étais.
Bravant encore un peu le mauvais temps, je me rendis jusqu’à la gare routière, où je devais acheter un billet de bus pour Vilnius, ma prochaine étape – une véritable aventure quand il faut s’exprimer en russe au guichet ! Après un dernier arrêt chez le coiffeur – une chaîne française –, je regagnai ma confortable chambre, dont le luxe me permit d’oublier le temps maussade et contribua sans doute à la très bonne impression que m’aura laissée mon séjour à Kaliningrad.
Le lendemain, j’abandonnai un peu la grisaille du centre « historique » pour flâner dans les nombreux parcs, havres de paix que l’on retrouve dans toutes les villes de l’Est, avant de découvrir les quartiers épargnés par la guerre où les petites maisons de bois allemandes bordées par des allées de tilleuls offrent un bon bol d’air.
L’après-midi, je visitai le Musée océanographique mondial, la seconde grande attraction touristique de la ville. Celui-ci se compose d’un pavillon, d’un aquarium et d’un ensemble de trois navires – dont un sous-marin et un célèbre bateau d’exploration, le Vitiaz –, qui abritent dans leurs cales trois expositions passionnantes.
Malgré leur intérêt, ce musée et le musée Kant ne sauraient, à mon sens, justifier un séjour à Kaliningrad, lieu difficile d’accès – en raison des visas notamment –, où l’on croise peu de touristes en dehors des Russes et des Allemands venus à la recherche de leur passé. Non, la véritable merveille de l’enclave, c’est Kourchskaïa Kossa, une spectaculaire bande de terre de 98 km de long séparant la calme lagune de Courlande de la mer Baltique : la succession des forêts, des dunes de sable et des petits villages est si enchanteresse que l’Unesco l’a inscrite au patrimoine mondial de l’humanité. Hélas, il est très difficile de se rendre dans ce site protégé. Le dernier jour de mon séjour, je décidai donc de rechercher une excursion ou un guide particulier : une réceptionniste de l’hôtel me mit en contact avec Micha, un vieux monsieur qu’elle connaissait.
Une demi-heure plus tard, je prenais place dans sa voiture, une Mercedes presque aussi vieille que lui. Notre virée dura près de huit heures, pendant lesquelles j’écoutai avec envie les récits de Micha : il avait été capitaine d’un navire et avait eu la chance de parcourir les mers du monde et de faire escale dans de nombreux pays. Nos discussions – un mélange d’anglais et d’allemand – passaient sans transition de Pouchkine aux femmes, de la vieillesse à Maupassant, de Sénèque à l’URSS…
« Je regrette l’URSS », m’expliqua-t-il, « à cette époque, le niveau d’instruction était meilleur et tout le monde avait du boulot » avant de conclure en souriant : « C’est ma jeunesse ! Ce sont des bons souvenirs. Les jeunes d’aujourd’hui ne pensent sans doute pas ainsi… » Alors que nous étions pris dans un embouteillage, il poursuivit, l’œil malicieux : « Autrefois, à la télévision, on nous montrait des bouchons gigantesques dans les villes occidentales pour illustrer les méfaits du capitalisme et de la voiture individuelle. Tout le monde croyait que c’était de la propagande. En fait, c’était vrai ! »
Pour être franc, les pages littéraires, historiques ou politiques, bien que passionnantes, étaient vite refermées à la vue d’une femme. Micha se lamentait d’être si vieux, d’autant que son attrait pour les – jeunes – femmes n’avait point faibli. Il me demandait souvent quand nous croisions une femme : « Et celle-là, t’en penses quoi ? »
Nous finîmes par arriver aux dunes, ce qui n’était guère évident au début de notre « épopée », la Mercedes de Micha montrant des signes de faiblesse inquiétants. Il fallut même recourir par deux fois à de la ficelle ! Heureusement, le paysage valait le – long – déplacement et le prix – fort. Le retour fut plus laborieux encore que l’aller, Micha s’avérant aussi peu fringant que son véhicule. Mais, au fond, tout cela contribua à rendre la journée sympathique.
Le soir, je tentai une dernière fois de dénicher un café Internet dans la ville, en vain, avant de prendre mon bus pour Vilnius. Lorsque nous quittâmes l’enclave russe dans la nuit après nous être soumis aux formalités de douane, j’eus le sentiment de revenir soudain à la réalité. Comme si Kaliningrad n’avait été qu’un lieu imaginaire, une sorte de bout du monde qui n’aurait jamais existé que dans mes rêves…
Textes et photos : Emmanuel Hergot
Après cette visite de Kaliningrad, passons à une page d’histoire qui prête à la réflexion et qui est exposée par Gilles Dutertre, auteur du blog Gilles en Lettonie.
Et si Kaliningrad redevenait Königsberg ?
En 1255, l’Ordre Teutonique rasa le vieux village borusse de Tvankste et édifia à son emplacement une ville du nom de Königsberg (Mont du Roi) dont les premiers édifices en pierre datent de 1257. Königsberg obtint une charte en 1286, rejoint la Ligue Hanséatique en 1340, devint la capitale de l’Ordre Teutonique en 1457, après la chute de Marienburg, puis capitale du Duché de Prusse en 1525, lorsque le Grand-Maître de l’Ordre Teutonique, Albrecht von Brandenburg-Ansbach, sécularisa l’Etat monastique et se convertit au Luthéranisme. La première université de Königsberg, l’Albertina, ouvrira ses portes en 1544.
Qu’elle ne fut pas la surprise de voir la Fédération de Russie fêter, du 1er au 3 juillet 2005, les 750 ans de Kaliningrad (sic), avec une affiche improbable : Poutine-Schröder-Chirac, les Présidents voisins, polonais (Kwaśniewski) et lituanien (Adamkus), n’ayant pas été invités.
C’est qu’entre temps, la deuxième guerre mondiale (la « Grande Guerre patriotique contre le fascisme allemand », selon l’hagiographie soviéto-russe) était passée par là. Le 13 Janvier 1945, l’Armée rouge lança son offensive vers Königsberg, qui résistera jusqu’au 11 Avril. Des atrocités furent commises de part et d’autre. Les accords de Postdam du 26 Juillet 1945 officialisèrent le partage de la Prusse orientale : le sud revint à la Pologne, le nord à l’URSS, Königsberg devint Kaliningrad, du nom d’un proche de Staline, Mikhail Kalinin, membre du Politburo de 1926 à 1946, et Président du Présidium du Soviet suprême de 1922 à 1946 et, à ce titre, un de ceux qui ont soutenu la décision du massacre de Katyn.
Si l’on calcule bien, Königsberg a été 690 ans teutonique, prussienne puis allemande, mais seulement 70 ans russe. Voilà ce qui, au vu des critères qui ont présidé à l’occupation puis à l’annexion de la Crimée par les Russes, donnerait des arguments à l’Allemagne pour récupérer la ville de Kant.
Il semblerait d’ailleurs que des émissaires de Mikhaïl Gorbatchev aient approché, après l’éclatement de l’URSS, le Ministre allemand des Affaires Etrangères, Hans-Dietrich Genscher, pour lui proposer l’achat de l’oblast ! Genscher avait décliné la proposition, compte tenu de la charge financière que constituait déjà la réunification des deux Allemagnes. Mais imagine-t-on le problème que constituerait aujourd’hui un territoire allemand peuplé d’un million de Russes, séparé du territoire national allemand par la Pologne ?
La ville a gardé le nom de son hiérarque stalinien, même si des tentatives de lui redonner son ancien nom ou de l’appeler Kantgrad (Le philosophe Emmanuel Kant y a vécu de 1724 à 1804) ont été faites dans les années 1991 – 1995. Alors que Stalingrad était devenue Volgograd en 1961 et que Leningrad redevenait Saint Pétersbourg en 1991, il est étonnant que Kaliningrad n’ait pas changé de nom. Mais l’emploi du nom originel allemand a été massivement rejeté par la municipalité et par la population locale (bien que l’appellation familière courante en Russe soit Кениг pour König), et aucun consensus ne s’est fait sur un autre nom.
Pour l’anecdote, si vous voulez aller de Lituanie à Kaliningrad, il faudra suivre les panneaux Karaliaučius ou parfois Kaliningradas !
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Hej !
Merci pour ce petit récit de ton périple à Kaliningrad..
Nous allons partir cet été en Lituanie, et comme toi, cette enclave m’a toujours titillé le regard sur une carte ..
Mais voilà, demandes de visa, difficultés de logement (nous sommes en camion aménagé, le camping est-il réellement un camping ??), sont des choses à réfléchir d’ici là ..
Au moins, ton récit me rassure sur le fait que le détour vaut vraiment le coup !
Notre périple à nous sera à suivre sur le site : http://www.Atchoumation.net, dans environ un an et demi ..
Saluté
et bons voyages !
Pourquoi les Russes mettent – ils autant de bâtons dans les roues ( visas , enregistrement … ) aux touristes souhaitant visiter et enrichir leur pays , même ne serait – ce que l ‘ enclave de Kaliningrad , grande comme deux départements français ? Incompréhensible … Inexplicable , sinon par le plaisir d ‘ embêter le monde …
Bonjour,
comme beaucoup, je ne connaissais pas Ekaterinbourg, meme de nom. J’aurais été bien incapable de citer une ville dans l’Oural… meme la 3eme de russie…
Mais heureusement, j’ai vu « Pekin Express », la saison 1… j’ai trouvé que c’était une belle pub pour la russie et ses habitants que celui de cette année sur les chinois.
Bref, j’ai pris l’habitude depuis 3 ans à faire 1 semaine à l’est chez l’habitant.
et cette année, j’aimerais bien mettre le cap vers Ekaterinbourg. Qu’en pensez-vous ? Me conseilleriez-vous un meilleur endroit en Russie dans le coin ?
Si vous êtes de là-bas et que vous voulez accueilir des suisses francophones de 30 ans, contactez-moi 🙂
Bonsoir,
Ekaterinbourg est une étape intéressante, même si la ville en elle-même n’a pas trop de charme. C’est une ville assez moderne avec de larges avenues rectilignes. Les gens, en revanche, y sont vraiment charmants (comme partout en Russie, cela dit).
Je vous donne un lien vers mon blog où vous pourrez voir mes photos et mes commentaires sur Ekaterinbourg. Si vous naviguez un peu sur le blog, vous pourrez découvrir mes posts sur les villes « proches » (tout est relatif, vu la taille du pays !) d’Ekaterinbourg (Kazan, Tobolsk, Tomsk…), qui ont sans doute plus de charme…
Désolé, normalement, je n’irai pas Ekaterinbourg cette année…
Bonne soirée
Emmanuel
http://les-7-soeurs-en-rient-encore.com
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I wish I could understand this article devoted to Kaliningrad. But I speak only English, Polish and Russian
Merci à toi ! Ta proposition de collaboration, alors que le transsibérien m’éloignait toujours un peu plus de la France, était aussi sympa qu’inattendue… Je suis heureux de voir que ton site se développe et qu’il gagne en qualité.
Merci pour cet excellent article qui m’a transporté vers une destination qui comme toi me fascine… Je suis très heureuse que tu aies accepté de contribuer au site IDEOZ et que tu nous fasses profiter de tes expériences… Je reviendrai ultérieurement pour des questions et diverses remarques, car je suis en ce moment vraiment débordée.